mardi 11 avril 2023

3) Bases socio-économiques de sociétés primitives d'abondance: anarcho-grégarisme et chayanovisme

 Première partie

Deuxième partie

 

Institution dominante                                         Forme d'économie           Structure sociale

maisonnée                                                             économie primitive             anarcho-grégaire

manoir                                                                   économie féodale               hiérarchique

société anonyme(à responsabilité limitée)               économie de marché          anarcho-bordélique

 

Sens de la démarche

Utiliser le concept d'anarcho-grégaire, d'après le terme forgé par l'anthropologue C. Macdonald, pour qualifier au mieux les bases socio-économiques d'une société primitive d'abondance.


 

 Ce concept présente l'apparence d'un paradoxe: il demande à penser une forme d'anarchie qui, non seulement ne tourne pas au bordel, contrairement à celle qui nous est familière, mais, au contraire, constitue un ensemble intégré, de surcroît capable d'assurer un certain régime d'abondance.

S'entendre sur ce qu'il faut entre par là. De ce que nous en savons, l'humanité a parcouru deux voies très différentes dans la perspective de l'abondance: celle du capitalisme industriel, reposant sur le développement illimité des forces productives, ou, pour reprendre l'expression de Sahlins lui-même, "la voie Zen", typique des sociétés primitives, fondée sur la limitation des besoins. La première ayant tout d'un miroir aux alouettes, il reste celle pratiquée par les communautés primitives, les premières, et à ce jour les seules, à avoir accédées à un régime d'abondance substantiel, selon la thèse défendue par Sahlins. Et si elle est défendable c'est à condition de prendre l'abondance en un sens relatif, à savoir, relatif à un ensemble de besoins socialement définis, la norme de subsistance de la société considérée, et non pas en plaquant sur elle de façon indue nos propres standards orientés suivant la croissance à l'infini de la production et des besoins, les deux allant nécessairement de pair. Il faut ainsi en juger suivant le principe, "Want not, lack not..." (Ce qu'on ne veut pas ne manque pas, AP-AA, p. 49)
 Par ailleurs, il peut être utile de rappeler que la démonstration de Sahlins prend appui aussi bien sur de la documentation relative à des collectifs de chasseurs-cueilleurs qu'à ceux pratiquant la culture sur brûlis, les deux pouvant reposer sur les mêmes bases socio-économiques. Voilà au moins qui oblige à ne pas durcir ces distinctions, comme la vulgate le fait trop souvent, en dotant les catégories de chasseurs-cueilleurs et d'agriculteurs-éleveurs d'essences spécifiques. L. Febvre faisait remarquer il y a un siècle déjà que les collectifs dont nous parlons ici ont pu compter, au cours de leur très longue histoire,  sur une palette d'activités se jouant de ces frontières, comme autant de cordes à leur arc, un facteur évident de résilience. Pour ne donner qu'un exemple de notre temps emprunté à l'Afrique sub-saharienne, mais qu'on pourrait tout aussi bien bien chercher sur l'ensemble de la période du néolithique:" [...] les voisins agriculteurs des Bochimans comme des Hadza sont prompts à recourir aux activités moins aléatoires de la chasse et de la cueillette, en cas de sécheresse ou lorsque la famine menace." (AP-AA, p. 68) En définitive, comme le rappelle un anthropologue actuel:"(...) il ne faut pas fétichiser les termes "éleveurs", "agriculteurs", "chasseurs", ou cueilleurs", au moins dans leur version essentialiste". (J. C. Scott, Homo domesticus, p. 93) 

L'économie de maisonnée ou MPD (Mode de Production Domestique)

La cellule de base autour de laquelle s'agrège l'économie des sociétés primitives est la maisonnée, il faut entendre par là une unité de production et de consommation soudée généralement par des liens de parenté étroits mais pas exclusivement:"Le groupe domestique dans les sociétés primitives est généralement un système familial, mais il n'en est pas toujours et partout ainsi." (AP-AA, p. 120)  Outre que les systèmes familiaux prendront des formes extrêmement diverses, le groupe peut être aussi réuni sur la base d'autres critères, comme la classe d'âge. Il semble dans tous les cas que ce qui le soude est une forme de réciprocité généralisée ou inconditionnelle : donner sans compter à qui en a besoin, pour en proposer une formule (le concept de réciprocité est fondamental pour l'intelligence de ces sociétés, et même, de toute société, aimerait-on préciser; simplement, c'est dans ce cadre qu'il ressort le mieux).  Ou, pour en proposer une autre, qui semble aussi bien lui correspondre, connotée plus politiquement, celle devenue célèbre de la frange du communisme libertaire de l'Internationale ouvrière: "A chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités".

Précisément, ce groupement de maisonnées forme un ensemble anarchique sous quatre conditions, toutes en contraste avec celles que nous connaissons dans le régime des sociétés industrielles:                                                                                                             

-L'accès garanti pour chaque maisonnée aux ressources communes, et d'abord à la première de toutes, celle qui conditionne l'accès aux autres, la terre:"Voici qui est indéniable et irréductible: ce droit de la famille en tant que membre du groupe (...) d'exploiter directement et indépendamment pour subvenir à ses propres besoins, la part qui lui revient des ressources collectives. Qu'il n'y a pas d'indigents sans terres dans les sociétés primitives est une loi économique. Sans doute peut-il y avoir expropriation, mais purement accidentelle (...), hasard cruel de la guerre par exemple, et non pas condition systématique de l'organisation sociale." ( AP-AA, p. 139) Cette situation devient justement "condition systématique de l'organisation sociale", pendant l'époque du capitalisme moderne, avec, parmi les conditions de l'accumulation primitive du capital, nommé aussi, "accumulation par dépossession", le mouvement des enclosures de la terre.

-Une faible division du travail fondée principalement sur les sexes de sorte qu'entre les tâches dévolues aux femmes et aux hommes est couvert l'essentiel des activités considérées comme nécessaires à la subsistance, ce qui fait de la maisonnée, encore de ce point vue, un tout autosuffisant économiquement parlant:"La division du travail par sexe n'est pas la seule spécialisation économique connue des sociétés primitives. Mais elle en est la forme dominante, celle qui transcende toute autre spécialisation [...] Aussi le mariage, entre autres projets, instaure-t-il un groupe économique généralisé, constitué aux fins de produire, ce qui, localement, a valeur de "subsistance"". (AP-AA, p.122)

-La maisonnée dispose d'un ensemble de techniques facilement réappropriables et reproductibles qui fait qu'elle possède à moindre frais ses outils de production. Le cas des Yahgan de la Terre de Feu est généralisable sans problème:"Nos Fuégiens [...] se procurent et fabriquent leurs outils et ustensiles sans peine ni efforts." (Gusinde cité par Sahlins, AP-AA, p. 48) Ici encore, les conditions techniques de la société sont en polarité complète avec les nôtres, celles d'une mégamachine techno-scientifique qui exige une organisation centralisée, à grande échelle, dépossédant localement les individus de la maîtrise sur leurs moyens techniques. Ecouter ce qu'en dit P. Clastres dans, Qu'est-ce que c'est que ces chefs sans pouvoir? à partir de 44'15, en relation avec le point précédent.

-Enfin, last but not least, des objectifs de production limités. Marx avait déjà dit l'essentiel sur ce point; dans une économie de subsistance dont le but est de satisfaire des besoins humains, la production doit rester limitée, car les besoins le sont eux-mêmes: on ne peut manger indéfiniment. Par opposition, dans l'économie capitaliste, le but n'est plus de produire des valeurs d'usage pour satisfaire des besoins, mais de la valeur d'échange; la production n'a alors plus de limite définie car son but devient l'accroissement d'une valeur purement quantitative pouvant toujours être augmentée dans l'abstrait, dont l'appétit est par conséquent insatiable, la soif inextinguible. Comme le formulait encore Marx, cet objectif commande alors un monde inversé où l'homme n'est plus le but de la production, mais où la production (de valeur) devient le but de l'homme, le moyen devenant la fin et l'individu ordinaire condamné à trimer au sacrifice de sa vie (Nietzsche prétendait que la confusion de la cause et de l'effet était la pire perversion de la raison; elle a dans celle du moyen et de la fin un rival à ce titre....)

Ces quatre conditions réunies font de chaque maisonnée une entité indépendante. On a donc rigoureusement affaire à un ensemble dans lequel aucune des cellules de base ne court le risque de tomber sous la domination d'une autre ou de quelque autre instance de pouvoir:" Les producteurs déterminent sur une base quotidienne comment la terre sera utilisée, et c'est à eux qu'échoit la priorité d'appropriation et de disposition des produits; aucun groupe, aucune instance supérieure n'est fondée à dépouiller la maisonnée de sa subsistance." (AP-AA, p. 138) C'est en ce sens que la qualification d'"anarchique" convient à cet ensemble:"Considéré en ses propres termes, en tant que structure de production, le M. P. D. [Mode de Production Domestique] est une forme d'anarchie." (ibid., p. 140) L'économie de la maisonnée reproduit en petit ce qu'est le groupement en grand, celui d'une société sans pouvoir d'Etat, et plus encore, comme le formulait P. Clastres, "une société contre l'Etat", une société qui s'organise pour rendre impossible la formation d'un appareil d'Etat la commandant:"L'économie domestique (...) cautionne politiquement la société primitive, - une société sans Souverain. En principe, chaque maisonnée conserve par-devers elle tous les pouvoirs nécessaires à leur actualisation."  (ibid. p. 141) Et on pourra  ajouter, comme la chose devrait apparaître de plus en plus clairement, qu'elle est aussi une société contre l'économie,  déjà au sens où celle-ci est réduite aux marges dans l'organisation sociale.

Ces conditions sont donc non seulement celles d'une abondance relative, mais aussi, simultanément, d'une liberté interdite à nos sociétés. Le point est que, tels qu'ils sont institués, les groupements primitifs sont imperméables aux formes de domination les plus abouties, celles que les championnes autoproclamées de la démocratie et des droits de l'homme ont inventé et systématisé, à un point inédit avec le capitalisme moderne, la domination sur les personnes par l'intermédiaire de la mainmise sur les choses, les moyens de production en particulier:"Les peuples primitifs ont inventé bien des manières d'exalter l'homme au-dessus de ses semblables. Mais l'emprise du producteur sur ses propres moyens économiques interdit le recours à la plus contraignante de toutes celles attestées dans l'histoire: le contrôle exclusif des moyens économiques par quelques-uns qui, de ce fait, tiennent tous les autres à leur merci." (AP-AA, p. 139) , Quand elles se rencontrent, les anciennes formes de domination correspondent à la formule exactement inverse: le droit sur les choses par l'emprise exercée sur les personnes.

Ces quatre facteurs sont à la base d'un ensemble stable par le fait que les trois derniers se limitent mutuellement, tout en s'appelant les uns les autres. En somme, on est en présence d'un système équilibré à rétroactions négatives:"Non seulement chacun est solidaire des autres, mais (...) est adapté à la nature des autres. Si l'un quelconque d'entre eux manifeste une tendance indue à se développer, il se heurtera, de la part des autres, à une résistance accrue, une incompatibilité; et la tension ne trouvera sa résolution normale, systématique, que dans le rétablissement du statu quo ("rétroactivité négative")." (ibid. p. 131) C'est ce qui ressort de ce que dit par exemple P. Clastres plus haut.


 Il en découle la loi fondamentale régulant la production des maisonnées: la norme de Chayanov 

 Loi fondamentale de la production des maisonnées: la norme de Chayanov

Du nom de l'économiste qui a le premier mis en évidence et quantifié le phénomène sur le cas de maisonnées de la campagne russe du début du XXème siècle, mais présent aussi bien dans les sociétés primitives. Plus une maisonnée est en capacité de production, et moins, pris individuellement, ses membres travailleront: "(...) dans la communauté des groupes de production domestique, plus grande est la capacité relative de travail de la maisonnée, moins ses membres individuels travaillent effectivement." (AP-AA, p. 131) En termes techniques, la norme de Chayanov dit que l'intensité productive est inversement proportionnelle à la capacité productive:"dans un système de production domestique, l'intensité du travail varie en raison inverse de la capacité de travail relative de l'unité de production." (ibid., p. 134) Et l'écart entre les extrêmes peut s'avérer considérable, des maisonnées les moins aux plus en capacité de produire; dans les estimations de Chayanov lui-même, l'éventail allait de 216 journées de travail par travailleur et par an à 78, 8, soit plus des 3/4 de l'année chômée dans ce dernier cas, assurément pas un modèle pour l'ouvrier soviétique en voie de formation! (cf. AP-AA, p. 134)

Manifestation de la norme de Chayanov dans une toute autre aire géographique et culturelle, avec l'introduction de haches de métal chez les Amérindiens pendant la colonisation:"L'avantage d'une hache métallique sur une hache de pierre est trop évident pour qu'on s'y attarde: on peut abattre avec la première peut-être dix fois plus de travail  dans le même temps qu'avec la seconde; ou bien accomplir le même travail en dix fois moins de temps. Et lorsque les Indiens découvrirent la supériorité productive des haches des hommes blancs, ils les désirèrent, non pour produire plus dans le même temps, mais pour produire autant en un temps dix fois plus court." (P. Clastres, La société contre l'Etat, p. 167) Et c'est ce qui rend compte, en même temps, des énormes difficultés que rencontrèrent partout les colonisateurs à vouloir augmenter les rendements par l'introduction d'un outillage plus performant, le résultat, conforme à la norme de Chayanov,  était consternant:" Et l'introduction de plantes et d'outils nouveaux susceptibles d'augmenter la productivité du travail indigène, eut pour seul effet d'abréger les temps de travail, au profit non point d'un accroissement des rendements, mais d'une expansion du temps alloué au repos." (AP-AA, p. 130) Voilà qui implique une autre dimension essentielle de l'abondance de ce régime, le travail, comme ce qu'offre le milieu de vie, n'est pas une ressource rare; dans le cours normal de la vie sociale, on peut toujours compter sur une réserve sous-employée, tout le contraire d'une économie à flux tendu qui veut se rentabiliser à toute force:"Même en termes des normes culturelles considérées - et que serait-ce d'un point de vue stakhanoviste!-  une force de travail considérable demeure sous-employée: comme l'écrit Maurice Godelier, dans la plupart des sociétés primitives, le travail n'est pas une ressource rare." (AP-AA, 98)

 La découverte de la régulation de la production des maisonnées suivant la norme de Chayanov devrait ainsi conduire à admettre ce qui est si difficile à intégrer pour quelqu'un à qui on martèle de la naissance à la mort l'impératif de croissance économique: ces sociétés ne développent pas leurs forces productives, non pas parce qu'elles ne le pourraient pas ou ne sauraient pas le faire, mais parce qu'elles ne le souhaitent pas, ni n'en éprouvent le besoin; en dernier ressort, c'est leurs arrangements sociaux qui leur commandent de ne pas le faire, non un état limité du développement technique qui les y contraindrait:"Les chasseurs-collecteurs n'ont pas bridé leurs instincts matérialistes; ils n'en ont simplement pas fait une institution." (ibid., p. 52) Celle du travail, par exemple...

Nature du sous-travail

L e terme de "sous-travail" est ici un clin d'oeil à la notion de surtravail forgée par Marx et renvoie donc à la sous-exploitation de la force de travail impliquée dans une production régulée d'après la norme de Chayanov. Elle se manifeste par deux biais: par la soustraction d'une part souvent importante des forces vives de la société au procès de travail; ensuite, dans la façon dont la production elle-même a lieu.

Voilà résumé pour le premier aspect des choses:"La coutume abrège ou allège de diverses manières la carrière d'un individu, et des classes entières de gens parfaitement aptes, parfois les plus aptes, sont exemptes de tout souci d'ordre économique". (AP-AA, p. 98) Le plus souvent, les catégories sociales en jeu sont celles des classes d'âge et de sexe.

-Suivant les classes d'âge. Il arrive ainsi que la coutume retarde l'entrée dans la vie productive de jeunes gens qui seraient pourtant parfaitement aptes physiquement, et ce, pour des raisons qui peuvent être très diverses. Chez des populations guerrières comme les Masai d'Afrique orientale, "on attendait de l'individu qu'il soit un guerrier d'abord, et bien plus tard seulement, un agriculteur et un père de famille." (Richards cité par Sahlins, ibid., p. 96) Dans d'autres sociétés comme les Lele," la polygamie entraîne généralement pour la plupart des hommes un mariage tardif et il s'ensuit parfois, mais non toujours, un relatif désintérêt de leur part envers les activités de production." (ibid., p. 94) Même genre d'observations cette fois dans les populations de chasseurs-cueilleurs des Bochimans Kung:"La chasse et la cueillette n'exigent pas (...) ce fameux "effort maximum  d'un nombre maximum d'individus". Ils s'en tirent fort bien sans solliciter l'aide des jeunes qui souvent ne font pas grand chose jusqu'à l'âge de 25 ans." (ibid., p. 95) Ils semblent en fait passer "le plus clair de leur temps à se rendre visite d'un camp à l'autre pendant que leurs parents plus âgés travaillent à les nourrir." (Lee cité par Sahlins, ibid., p. 95)

-Suivant la division entre sexes. Le cas évidemment le plus fréquent est une soustraction de la ressource masculine au procès de production assuré alors pour la plus grande partie par les femmes; les Hadza offrent un cas frappant:"les hommes (...) passent six mois de l'année (la saison sèche) à jouer - ce qui a pour résultat effectif d'empêcher, le reste du temps, tous ceux qui ont perdu au jeu leurs flèches à pointes de métal, de chasser le gros gibier." (ibid., p. 97) Mais la plasticité humaine étant ce qu'elle est, il peut aussi arriver plus rarement qu'on rencontre le cas contraire, comme dans l'île Moala des Fidji, où le dicton local veut que, ""dans ce pays, les femmes se reposent".  Un ami moala me confia qu'elles passaient le plus clair de leur temps à se prélasser et à péter (pure calomnie, l'occupation la plus absorbante étant le papotage!)." (ibid., p. 97)

Dans tous les cas, quelqu'en soient les modalités coutumières, il y a soustraction à l'effort de production d'une quantité parfois considérable de "ressource humaine" disponible dans la société:"nous avons affaire à des ponctions organisées - concertées- d'énergies sociales qui sont soustraites au procès économique." (ibid., p. 98)  Tel est justement ce qui peut nous poser problème par le défi lancé à ce qui semble être la rationalité économique la plus élémentaire, d'autant plus quand le phénomène atteint des proportions telles dans des cas bien documentés comme ce village Bemba d'Afrique australe: "Les vieillards étaient seuls à exercer une activité soutenue, "ceux que le gouvernement jugeait trop faibles pour payer l'impôt". Richards note que:" cinq vieux travaillèrent 14 jours sur 20, et durant la même période  7 jeunes gens, 7 jours seulement... Il est évident que toute communauté où les hommes jeunes et actifs travaillent exactement moitié moins que les vieux doit en pâtir pour ce qui est de la production alimentaire." (ibid., p. 96) Alors de deux choses l'une, comme l'alternative se présente de façon récurrente quand nous sommes en présence de ces sociétés: ou ce sont de parfaits imbéciles, incapables de la moindre once d'organisation rationnelle, comme le penserait sûrement un agent de l'OMC, ou bien ils n'ont pas à se soucier de l'axiome fondamental de notre économie, à savoir qu'ils s'en sortent bien sans avoir à maximiser leur utilité; dans ce cas, "les besoins matériels peuvent être satisfaits alors même que l'économie fonctionne en deça de ses possibilités." (ibid., p. 82) Et le fait que ces sociétés se soient perpétuées jusqu'à nos jours plaident plutôt pour cette dernière option. Mais, le facteur supplémentaire à faire rentrer dans l'équation, qui complique tout, tient bien sûr au fait de la colonisation qui n'est pas allé sans bouleverser radicalement les conditions d'existence de ces sociétés, imposer l'Etat à une société sans Etat, imposer l'économie à une société contre l'économie, etc.

Mais ce n'est donc pas tout. L'autre aspect de cette sous-exploitation du potentiel économique de la société relève  de la nature du "travail" effectué; ce n'est pas seulement une question de quantité (moins de la même chose: on est souvent loin des huit heures quotidiennes d'un travailleur européen), mais aussi de qualité. La nature de cette production est telle qu'on en vient à se demander s'il est encore pertinent de parler de "travail" à son sujet. Voyons le en deux points:

-le rythme irrégulier, trait en fait constant dans toutes les économies de subsistance et qui conduit directement à aborder encore d'une autre façon le problème qui s'est posé pour les sociétés industrielles, celui du désajustement complet à la machinerie économique d'un type anthropologique dont elles ont hérité du passé. Et ce hiatus a bien eu une dimension universelle. Pour s'en convaincre, comparer ce que notait cet observateur européen au sujet d'autochtones du continent sud-américain,

 "Les Yamana sont incapables de fournir quotidiennement un effort soutenu, au désespoir de leurs employeurs européens, fermiers et autres. Ils travaillent plutôt par à-coups et déploient, à l'occasion, une énergie considérable pendant un certain temps. Après quoi, ils manifestent le besoin de prendre un repos extraordinairement prolongé, et trainent sans rien faire et sans apparence de vrai fatigue..., il est évident que, ce genre d'irrégularités se renouvelant, l'employeur européen s'arrache les cheveux, mais l'Indien n'y peut rien. C'est là sa disposition innée." (Gusinde cité par Sahlins, AP-AA, p. 68)

avec ce que Marx rapportait de la conclusion à laquelle était parvenu un dirigeant de la bourgeoisie britannique, A Ure, au sujet des ouvriers européens, en pleine Révolution industrielle:

"La difficulté principale ne consistait pas tant dans l'invention d'un mécanisme automatique... la difficulté consistait surtout dans la discipline nécessaire pour faire perdre aux ouvriers leurs habitudes irrégulières dans le travail, et les identifier avec la régularité immuable du grand automate." (Cité par Marx, Le capital, Livre I, p. 505) 

Le problème le plus épineux pour la production industrielle tenait partout au facteur humain: arriver à produire le producteur. Manifestement, l'ouvrier européen souffrait lui aussi, comme son cousin indigène, de la grande tare de régler son comportement de producteur sur la norme de Chayanov; par exemple, le sociologue M. Weber donnait le cas de ces ouvriers agricoles allemands, qui, en voyant leur rémunération augmenter, étaient incités de cette façon à faucher moins de surface, à une époque où le salaire était payé à la tâche, au grand dam de leurs employeurs: de fait, la priorité de quelqu'un dont la vie est encore réglée par la norme de Chayanov est de travailler moins, non de gagner plus, ce qui revient positivement à vouloir augmenter le temps libre plutôt que le niveau des besoins (standard de vie). 

Et les autorités elles-mêmes n'ont bien sûr pas manqué de trouver frappant le parallèle à faire entre les modes de vie, et ce depuis les débuts de la colonisation,  à quelques modulations coutumières près, comme ce père jésuite:"Il est du manger parmy les Sauvages, comme du boire parmy les yvrognes d'Europe : ces âmes seiches et toujours altérées, expireraient volontiers dans une cuve de malvoisie, et les Sauvages dans une marmite pleine de viande; ceux-là ne parlent que de boire, et ceux-cy que de manger." (Le Jeune cité par Sahlins, AP-AA, p. 81) Dans les deux cas une vie dépravée flattant les bas instincts, incapable de se plier à la discipline civilisatrice d'un travail régulier et soutenu.

-L'encastrement de l'activité productrice dans la vie sociale. Cette discontinuité dans l'activité productrice est, au fond, la manifestation du fait qu'il n'existe pas de sphère séparée du reste de la totalité sociale qui serait réservée à une activité spéciale, "le travail", raison pour laquelle il est finalement si problématique d'employer le terme dans le contexte d'une société primitive:"Mais on se gardera d'interpréter ces horaires qui allouent si généreusement à la fête et au repos, de notre point de vue angoissé d'Européen, obsédé par le travail. Le mouvement de déflexion périodique du "travail" au "rituel", chez des populations, tel les Tikopia ou les indigènes des Fidji, ne doit entraîner aucune conséquence préjudiciable, car leurs catégories linguistiques ne comportent aucune distinction de cet ordre, l'une et l'autre activités étant jugées suffisamment sérieuses pour mériter d'être connotées d'un terme commun (par exemple: le Travail des Dieux). Et que penser de ces aborigènes australiens, les Yir Yiront, qui ne distinguent pas entre le "travail" et le "jeu"." (ibid., p. 106-107) A la limite, comme P. Clastres le suggère, on pourrait aller jusqu'à dire que seul le chef est contraint à travailler dans ce type de société : voir, à partir de 33'15, ce qu'il en dit dans, Qu'est-ce que c'est que ces chefs sans pouvoir?  (on y reviendra pour comprendre certaines déviations nécessaires par rapport à la norme de Chayanov qu'on  rencontre dans une société primitive, manifeste en particulier dans la vie éreintante du "chef").

 De la  norme chayanoviste à la norme stakhanoviste

 Ce qui vaut pour "le travail" vaut naturellement aussi bien pour le cadre plus général de ce que nous appelons habituellement"une économie". Il s'agit toujours d'un terme d'importation qu'il est problématique d'appliquer à ces sociétés, tel quel, sans plus de précision. Et Sahlins n'omet pas de le faire; s'il parle bien de l'"économie de sociétés primitives" (c'est même annoncé dans le titre original de l'ouvrage en anglais, Stone age economics) c'est en y apportant des restrictions importantes; sur ce point, il ne fait au fond que formuler à sa façon ce que Polanyi avait déjà bien mis en évidence quand il cherchait à tirer la quintessence de ce que l'anthropologie sociale pouvait nous apprendre d'important, à savoir que, dans l'ensemble du champ couvert par la discipline, on observe toujours que l'économique est enchâssé dans les relations sociales et ne forme donc pas un domaine spécifique:"Mais parler de "l'économie" d'une société primitive, cela même est un exercice d'irréalité. Structuralement, "l'économie" n'existe pas. Plutôt qu'une organisation distincte et spécialisée, "l'économie" est quelque chose que, dans leur généralité, les rapports et les groupes sociaux font, notamment les groupes et les rapports de parenté. L'économie est plus une fonction de la société qu'une structure, car l'armature du procès économique est fournie par des groupes dont l'on admet couramment qu'ils sont "non économiques"." (ibid., p. 118-119) C'est à la lumière de ces précisions, qu'on peut apprécier à sa juste mesure ce genre d'anecdote que P. Descola raconte sur sa rencontre en Amazonie avec un policier équatorien qui était suspicieux à son égard, d'autant plus lorsqu'il lui affirma être venu étudier l'économie des indiens Jivaro Achuar; l'homme en uniforme coupa court:"Mais ces gens là n'ont pas d'économie!" Evidemment, la tonalité de son affirmation était clairement raciste, et, malgré tout, elle disait quelque chose de la vérité de ses sociétés, même sans bien comprendre pourquoi.

De fait, un monde proprement économique n'existe pas ici, et donc pas d'avantage l'homme économique, l'individu avide, hanté par la rareté des moyens à sa disposition:"Le chasseur est-on tenté de dire, est "l'homme non économique". Du moins en ce qui concerne les produits non alimentaires, il est l'opposé de la caricature qui figure invariablement en introduction à tous nos Fondements d'économie politique. De frugaux besoins joints à des moyens (par comparaison) abondants." (ibid., p. 52) C'est-à-dire le type humain accordé à "la voie Zen", l'antithèse donc de la voie dans laquelle se sont engagées les sociétés industrielles, dont la formule éditée du type sera,"Des besoins démesurés joints à des moyens se raréfiant".

Mais il n'y avait rien de naturel, d'évident et d'inéluctable à prendre cette voie, loin s'en faut. Et c'est bien toujours le même problème qui s'est reposé aux promoteurs d'un monde proprement économique adossé à ses seuls impératifs de rentabilité, puisqu'au-delà du chasseur, c'est très généralement, sur tous les continents, dans tout genre d'ethnie ou de "race", qu'il soit chasseur, éleveur, agriculteur ou un peu tout cela à la fois, que l'homme n'était pas économique; il était incapable, aussi bien de se plier à la norme stakhanoviste du travail commandant d'augmenter toujours plus la production, que d'interpréter adéquatement les "signaux du marché" suivant la sacro-sainte loi de l'offre et de la demande; car dans une économie de subsistance où l'on produit pour ses propres besoins, on ne peut réagir adéquatement aux lois d'une économie qui enjoint au contraire de produire en vue de tirer un profit par la vente sur le marché:"Incités à entreprendre des cultures commerciales, ils [les indigènes] ne réagissaient pas "de manière appropriée" aux fluctuations de l'offre et de la demande: comme leur but était essentiellement de se procurer certains articles de consommation, ils produisaient d'autant moins que les cours montaient, et d'autant plus que ceux-ci tombaient." (AP-AA, p. 130) 

En tout et pour tout, il faudrait paraphraser l'injonction faite par Massimo d'Azeglio qui posait bien les termes du problème de la formation d'un Etat-nation en 1860, "Nous avons fait l'Italie; il nous faut maintenant faire les Italiens", de sorte qu'on devrait dire à bon droit aussi, Nous avons fait le monde économique, il nous faut maintenant faire l'homme économique, l'homo oeconomicus, celui pour lequel la loi de l'offre et de la demande aura donc fini par acquérir le degré d'évidence de celle de la gravité et qui aura introjecté la norme stakhanoviste du travail.

On s'est souvent horrifié du projet fou des régimes totalitaires de fabriquer un homme nouveau, sans vouloir reconnaître habituellement que c'est celui de la modernité capitaliste qui a commandé en premier quelque chose de cet ordre. Voyons simplement la chose sous l'angle déterminant de la production du producteur: la première condition pour y parvenir était évidemment de briser la norme de Chayanov sur laquelle se réglait la vie des producteurs depuis des temps immémoriaux; et il n'y eut d'autre possibilité que de recourir aux procédés les plus coercitifs, la pression à la baisse sur les salaires jusqu'à devoir travailler comme un forcené, là où le salariat s'imposait, dans les métropoles, et l'esclavagisme dans les colonies. Dans tous les cas, il s'agissait de mettre au point les techniques pour extraire de la structure sociale les "stocks de force de travail" sous-employés et parvenir à les fondre dans la machinerie du grand automate. Impossible de faire dans la dentelle: nécessité de dynamiter l'ensemble, autrement dit, disloquer la communauté qui conserve fermement encastrée la ressource humaine, comme le charbon dans la roche; sur ce point; il faut encore renvoyer aux travaux de K. Polanyi.

D'où, à la formule d'arrivée esclavagiste de mobilisation dans le travail forcé, "Travailler comme un nègre", la formule de départ qui posait les termes du problème à résoudre pour le projet dit "civilisateur", "Fainéant comme un Indien",  ce qui revenait à passer d'une norme chayanoviste de sous-exploitation du travail à une norme stakhanoviste de sur-exploitation: voir ce qu'en dit P. Clastres, dans la même veine que les analyses de Sahlins sur le sens de l'abondance primitive dans, Qu'est-ce que c'est que ces chefs sans pouvoir?  à partir de 38' 15. Si on voulait ironiser, on dirait que tout le monde (l'immense majorité en tout cas) dans la société de travail doit épouser l'ingrate condition du chef de la société primitive.

Alors, au bout du compte, comme le fait encore remarquer Sahlins, la paresse des uns pourrait tout aussi bien être réinterprétée comme le surmenage des autres, surmenage qui se signale à toute sorte d'affabulations autour du culte rendu au travail dont celle-ci n'a pas été la moins popularisée: "Lorsque se déchaina l'idéologie bourgeoise de la rareté, laquelle eut pour effet inévitable de déprécier la culture qui l'avait précédée, on chercha et on trouva dans la nature le modèle idéal auquel l'homme (ou tout au moins le travailleur) devait se conformer s'il voulait améliorer son misérable sort: la fourmi, l'industrieuse fourmi. Or il semble bien qu'en l'occurrence, l'idéologie bourgeoise se soit trompée tout comme elle s'est trompée dans l'appréciation des peuples chasseurs. Voici ce que qu'on pouvait lire dans le ANN ArborNews à la date du 27 juin 1971, sous le titre "Deux savants déclarent que les fourmis sont un peu paresseuses [...] "Les fourmis ne sont pas à la hauteur de leur réputation", disent George et Jeannette Wheeler.

Ce couple de chercheurs s'est consacré depuis des années à l'étude de ces bestioles, héroïnes de maintes fables sur les vertus de l'assuidité au travail.

"Lorsque  nous nous penchons sur une fourmilière nous avons l'impression qu'il y règne une activité fiévreuse mais c'est seulement parcequ'il y a une telle quantité de fourmis et qu'elles sont toutes pareilles, concluent les Wheeler.

"Les fourmis individuels passent le plus clair de leur temps à se prélasser. Et plus choquant encore, les ouvrières, toutes des fourmis femelles, consacrent beaucoup de leur temps à leur toilette." (AP-AA, p. 69)

Chayanov, le bolchévisme, le socialisme et l'anarchisme

Le contexte historique dans lequel A. Chayanov a mené ses travaux mérite enfin d'être abordé puisqu'il est celui de la révolution bolchévique en Russie. Il n'est pas surprenant, à l'aune de ses découvertes sur l'économie des campagnes russes, que le pauvre ait très mal fini, assassiné par la police politique de Staline. Au regard du projet d'industrialisation à marche forcée dans laquelle on avait engagé la Russie en vue de rattraper son retard sur l'Europe de l'ouest, en dupliquant ses méthodes, ce qui revenait à passer du chayanovisme au stakhanovisme à vitesse accélérée, la réalité sociale des campagnes qu'il donnait à voir devait être vaporisée autant que celui qui en portait témoignage.

Reste une question en suspens qui est celle de voies éventuellement différentes qu'aurait pu suivre le mouvement du "socialisme réel" en Russie. On songe ici aux échanges épistolaires qu'avait eu Marx à la fin de sa vie avec des populistes russes sur la possibilité d'aller d'une économie de subsistance au socialisme directement, sans passer par la case du capitalisme industriel, a contrario de ce que suggérait la théorie des stades d'évolution, ce qui aurait permis par la même occaxion de s'économiser (si l'on ose dire) tous les ravages qu'occasionne ce dernier, ce qui n'est pas rien. Et les réponses que fit Marx donnent à penser qu'il laissait ouverte cette possibilité (grâce à l'anthropologie et à la biologie darwinienne, Marx avait probablement intégré le fait que, d'une façon très générale, l'évolution, humaine ou non, doit être appréhendée comme buissonnante et non pas linéaire). Elles trouvaient à son appui les formes politiques de démocratie directe existant encore au sein des communautés villageoises russes de la fin du XIXème siècle. Les travaux de Chayanov complètent ainsi le tableau qu'en avait Marx en livrant le volet économique qui les accompagnait. Un socialisme qui aurait pu se greffer sur ce tissu institutionnel au lieu de devoir le pulvériser serait allé dans une voie si différente de celle qu'il a effectivement pris qu'il est difficile d'imaginer à quoi il aurait pu ressembler (certaines expériences de la Catalogne révolutionnaire des années 1930,  cependant vite avortées par la guerre civile, pourraient éventuellement permettre de s'en faire un début d'idée...) C'était en tout cas le chemin qu'aurait dû suivre le courant anarchiste de la révolution s'il n'avait été écrasé par les bolchéviks.

Toutefois, une remarque de Sahlins, en passant, suggère de se demander dans quelle mesure les communautés villageoises russes n'étaient pas déjà en voie de dislocation à cette période? Car, si la norme de Chayanov semble bizarrement apparaître avec plus de clarté dans l'économie des maisonnées de la Russie du début du XXème siècle que dans les communautés primitives,  ce n'est pas du tout parce qu'elles seraient encore plus primitives que les primitives; tout au contraire, cela tient au fait que dans ces dernières, la norme connait certaines déviations qui la brouillent pour partie et qui tiennent à l'intégration des maisonnées dans un cadre institutionnel plus englobant qui semblait déjà éclaté, ou tout au moins en voie de l'être, par des dynamiques marchandes, dans les campagnes russes:"Cependant une économie paysanne parcellisée peut, paradoxalement, présenter au niveau empirique, certaines tendances profondes du M. P. D., et ce de manière plus probante que n'importe quelle communauté primitive. Dans le cas des sociétés primitives, ces tendances sont obscurcies et transfigurées par les relations sociales d'ordre général, rapports de solidarité et de pouvoir; alors qu'elles apparaissent en clair dans le des sociétés paysannes où l'économie de la maisonnée s'articule au marché par l'entremise de l'échange et non aux maisonnées voisines par les obligations de solidarité entre parents." (AP-AA, p. 133)

Quoiqu'il en soit de cette question qui nécessiterait une enquête à elle seule, il faut au moins en retenir pour la suite ceci d'essentiel que, dans les conditions sociales primitives, les maisonnées ne sont pas, rapportées les unes aux autres, comme des patates jetées dans un sac. C'est à ce point qu'il va falloir faire un pas de plus pour comprendre le caractère grégaire de l'anarchie primitive, l'antithèse complète de l'anarchie générée par notre économie de marché, qui ne mérite le titre qu'en son sens le plus courant et infamant de "bordel" en ceci que, chacun ne devant poursuivre que son intérêt privé, elle incline tendanciellement vers une situation de guerre de tous contre tous. La règle fondamentale du jeu de cette économie étant, Acheter au plus bas prix pour revendre au meilleur prix, elle implique, pour tirer son épingle du jeu, d'appréhender son prochain comme quelqu'un qu'il est nécessaire de "baiser", ainsi que Mandeville avait eu la témérité de le reconnaître en son temps:



Sorti de là, le  terme d'"anarcho-bordélique" n'est rien de plus qu'une boutade, puisqu'il ne sous-entend rien d'anarchique au sens positif du terme, mais renvoie, au contraire, comme on l'a vu, à une société caractérisée par une forme bien déterminée de domination, et pas la moins implacable, culminant dans le pouvoir que détiennent quelques grands monopoles concentrant les moyens de production, sous la forme institutionnelle de SARL, psychologiquement parlant, des entités morales de type psychopathe

Tout à l'opposé, la forme d'anarchie primitive constitue un ensemble cimenté par des liens sociaux de réciprocité qui induisent globalement une éthique dans laquelle l'égoïsme relève du pathologique, et pour comprendre comment il faut en venir à ces déviations qu'on y rencontre relativement à la norme de Chayanov (suivre...) 



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