mardi 22 octobre 2013

3) En quel sens la liberté et la connaissance de soi sont liées?

3)La libre nécessité
a)La politique de l'enseignement de l'ignorance
Dans toute société, la socialisation de la psyché exige qu'elle intègre un ordre de représentation symbolique en fonction duquel elle va percevoir et appréhender le monde conformément à sa culture: de la symbolique de l'eau bénite à la symbolique du Coca, on passe simplement d'un mode de socialisation religieux à un mode profane axé sur la consommation. Mais, l'héritage de la rationalité critique telle que les Grecs en ont élaboré un des premiers germes a permis le développement d'un certain nombre de dispositions qui nous rendent capables de reprendre de manière réflexive et d'altérer éventuellement ce processus de conditionnement social.

mercredi 2 octobre 2013

2) En quel sens la liberté et la connaissance de soi sont liées?

2) De la connaissance de l'humanité aux techniques de domination sur l'humanité
Comme le résumait le penseur américain Christopher Lasch,"l'étude de l'humanité s'est changée en technique de domination de l'humanité[...] Sur la foi de ses découvertes, la science construit un profil composites des besoins humains sur lequel elle pourra baser un système (envahissant bien que pas ouvertement oppressif) de régulations comportementales" (Le moi assiégé, p. 141) C'est ce que qui fait toute l'actualité  de la règle inscrite au fronton du temple de Delphes  à moins d'accepter de jouer le rôle de cobays de techniques de manipulation de plus en plus intrusives. Cela  suppose donc  déjà de rabaisser les prétentions de la conscience naïve et de reconnaître que "l' esprit a des caractères structurels et fonctionnels que sa zone consciente ignore et qui le rendent conditionnable de l'extérieur à son insu." ( Della Luna et Cioni, Neuro-esclaves, p. 93) Dans la liste des techniques de manipulation de masse que donnait Chomsky ( en fait ce n'est pas un texte de Chomsky lui-même; voir à propos des dix-strategies de manipulation de masses attribuees à Noam Chomsky) c'est la dixième et dernière qui nous retiendra ici qui préconise de connaître l'individu mieux qu'il ne se connait lui-même:

samedi 21 septembre 2013

1) En quel sens la liberté et la connaissance de soi sont liées ?


"Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites." (Sun Tszu, L'art de la guerre, Vème siècle avant J-C)
"Au moment d'avancer, nombreux sont ceux qui ne savent pas que l'ennemi marche à leur tête. La voix qui les commande est la voix de leur ennemi. Et qui parle de l'ennemi est lui-même l'ennemi." (Bertolt Brecht)

Introduction
"Gnothi seauton" (Connais-toi toi-même), voilà, selon Platon, le plus ancien précepte qui était gravé sur le temple de Delphes:"J’irais presque jusqu’à dire que cette même chose, se connaître soi-même, est tempérance, d’accord en cela avec l’auteur de l’inscription de Delphes. Je m’imagine que cette inscription a été placée au fronton comme un salut du dieu aux arrivants, au lieu du salut ordinaire  "réjouis-toi", comme si cette dernière formule n’était pas bonne et qu’on dût s’exhorter les uns les autres, non pas à se réjouir, mais à être sages." (Platon, Le Charmide, 164d) Ainsi, la sagesse s'identifierait  avec la connaissance de soi et la philosophie entendue en son sens littéral, comme quête de la sophia, de la sagesse, serait la recherche de la connaissance de soi.S'agit-il là d'une voie d'exploration qui n'intéresserait qu'une petite élite du savoir, ou alors, la démarche philosophique, entendue en ce sens, n'a-t-elle pas, au contraire, des implications qui devraient intéresser  la liberté de tout un chacun? Et la liberté entendue en quel sens? L'intérêt premier d'un tel conseil, comme nous allons commencer par le montrer, est de nous mettre sur la voie d'exploration des profondeurs inconscientes de l'activité de l'esprit dont nous ne soupçonnons même pas l'existence dans le cours ordinaire de la vie(partie 1). La portée pratique d'une telle démarche est considérable, d'autant plus, à une époque comme la notre, où la connaissance de l'humanité tend à se transformer en technique de domination sur l'humanité (partie 2). Ce qui nous conduira au concept de libre nécessité, de la liberté entendue comme conscience de la nécessité  et non comme absence de nécessité comme le laisse croire l'illusion universellement partagée du libre-arbitre, et, donc, à l'idée que l'affirmation de la liberté est inséparable de la démarche qu'invite à suivre la philosophie du "gnothi seauton" (partie 3)...

mercredi 22 mai 2013

4) Quelque chose peut-il valoir que l'on donne sa vie?

  "Veux-tu vivre heureux? Voyage avec deux sacs, l'un pour donner, l'autre pour recevoir." (Goethe)
 
4) La dette positive
a) La ronde du don 
Nous échappons donc aux formes agonistique ou injurieuse du don à partir du moment où le donateur ne nie pas l'autre dans sa capacité à donner lui aussi; mais aussi, quand le donataire ne perçoit pas chez le donateur la volonté de l'endetter pour en faire son obligé. Alors les conditions pour qu'émerge un don vertueux qui n'implique ni domination ni exploitation sont réunis. Le philosophe-poète de l'antiquité romaine, Sénèque, mieux que quiconque, les avait définit:"l'un doit oublier sur-le-champ ce qu'il a donné, l'autre n'oublier jamais ce qu'il a reçu." (Sénèque, Les bienfaits, p. 61) C'est alors que nous pouvons rentrer dans la ronde du don vertueux qui fait qu'il peut valoir de donner sa vie.

mardi 21 mai 2013

3) Quelque chose peut-il valoir que l'on donne sa vie?

Dernière mise à jour, 14-03-2018

3) Formes agonistique, injurieuse ou fraternelle du don
a) dette négative vs dette positive

« Je parlais de mon frère tout à l'heure. Je peux dire que je lui dois beaucoup, mais ça n'a aucun effet. Je ne ressens aucune dette; je lui dois beaucoup dans le sens que pour moi, ça a une valeur; ça a vraiment de l’importance; mais l'effet sur [moi] dans le sens où je me sens en dette, non... » (Cité par Godbout, Don dette et identité, p. 41) Ce que les conceptions modernes ont toutes les peines à concevoir, c'est qu'il puisse exister un état de dette positif, un état de dette qui peut être vécu dans la joie et non dans les passions tristes de la culpabilité, de la faute et du ressentiment. Pour rectifier cette approche purement négative de la dette, et poser les bases d'un concept de dette positive, il faut tenir ferme sur les deux sens de la dette que nous avons distingué. La dette de don qui fait que je peux dire de mon frère que "je lui dois beaucoup" et la dette économique lorsque je dois, par exemple, rembourser mon emprunt à ma banque.

dimanche 19 mai 2013

2) Quelque chose peut-il valoir que l'on donne sa vie?

2) Le double mouvement de la modernité: épuisement et renouvellement du don
Notre rapport au don, à nous les modernes, est paradoxal. D'un côté, nous ne le comprenons plus bien: "le sens du don a été extirpé de la mentalité, des sentiments, des gestes." disait R. Vanegeim à propos de la méfiance et de l'animosité du public quand Breton et ses amis offraient "une rose à chaque jolie passante du boulevard Poissonière."(Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations). Et, en même temps, le monde moderne a renouvelé l'esprit du don et lui a donné des formes nouvelles, inconnues des temps anciens. C'est sous ce double rapport qu'on examinera la question telle qu'elle se repose dans les conditions modernes.

vendredi 3 mai 2013

1) Quelque chose peut-il valoir que l'on donne sa vie?


 "C’est parce que nous avons un but que nous trouvons la force de nous vouer aux besognes du commencement, dont nous connaissons la valeur et la signification. C’est fastidieux, croyez-moi, de se quereller avec le patron pour gagner cinq sous de plus par jour, ou pouvoir aller au cabinet sans payer l'amende; c’est humiliant de quêter sou à sou les cotisations des pauvres diables, qui ont à peine pour vivre; c’est abrutissant de délibérer avec des gars têtus et bornés qui éternisent la plus insignifiante discussion et grossissent la moindre difficulté. Sans l’idéal toujours présent aux yeux des conscients, lequel d’entre eux consentirait à se tuer en de si misérables besognes!
-Que vous en reste-t-il, si cet idéal, votre création, exige votre disparition par le sacrifice de votre vie?
- La vie se mesure-t-elle à la durée? Les jouissances qu’elle donne se mesurent-elles au tas de nourriture consommé ou à consommer? Est-ce renoncer à la vie que la vouloir vivre en intensité et en beauté? Faire sa volonté, se magnifier, fût-ce à ses propres yeux, conformément à l’idéal, est-ce se sacrifier? […] Quoi! Je me dirais un homme libre, et je ne pourrai même faire par réflexion ce que, d’instinct et sous l’impulsion de l’espèce, le passant fait lorsqu’il se jette à l’eau pour repêcher un inconnu!"
( Eugène Fournière, L’âme de demain, 1902)

"J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre." (Albert Camus, Les Justes)

Introduction
Ainsi, se passent les choses ordinaires de la vie, comme le soulignait un socialiste des origines, au XIXème siècle, Eugène Fournière, ce que confirment moult exemples que l'on peut trouver dans les faits divers de la vie quotidienne:"W. Autrey, ouvrier du bâtiment de 50 ans, a sauvé un homme qui était tombé sur les voies du métro new-yorkais alors qu'une rame entrait dans la station. N'ayant pas le temps de mettre l'homme en sécurité [il] le plaqua au sol et s'aplatit sur lui pendant que les wagons passaient au-dessus de leur tête. Il minimisa son geste héroïque:" Je n'ai rien fait d'exceptionnel."" (Frans de Waal, L'âge de l'empathie, p. 335) Le 11 septembre 2001, dans les tours du World Trade Center, pendant que les occupants dévalaient les escaliers pour fuir la mort, les pompiers, eux, les grimpaient pour aller à sa rencontre; et, de surcroît, pour  secourir des gens leur étant inconnus. Ou, encore mieux: lors de la catastrophe nucléaire de Fukushima, 450 policiers se sont mobilisés durant une année pour se rendre en plein coeur de la zone irradiée au péril de leur vie tout cela pour retrouver la dépouille d'un de leur collègue mort dans le tsunami et lui offrir ainsi une cérémonie funéraire à sa mémoire. Quelle étrange impulsion peut pousser à se comporter ainsi? Suffit-il de se dire, dans un cas, qu'on les paye pour ça et qu'ils ne font que leur job? Et pourquoi alors s'engager dans un travail dont le contrat stipule  le don de sa vie? Y-a-t-il seulement un sens à vouloir fixer un prix à la vie? "De tous les biens ,aucun ne nous est si cher ni si désirable que la vie. Il n'est vie si misérable et si dure qu'un homme ne veuille la vivre... Si dure que soit la vie,on veut néanmoins vivre. Pourquoi manges-tu?Pourquoi dors-tu?Pour vivre...Mais pourquoi vis-tu?Pour vivre dis-tu, et cependant tu ne sais pas pourquoi tu vis. Si désirable est la vie en elle-même qu'on la désire pour elle- même..."  (Maître Eckhart, Traités et sermons, p.148) Si, comme le pense ce mystique allemand du XIII-XIVème siècle, la vie est le bien le plus précieux, si rien ne vaut la vie, on ne voit plus bien au nom de quoi on pourrait la donner. Pourtant, si cette question nous embarrasse tant, c'est parce qu'il nous est difficile, à nous les modernes, de penser l'existence humaine hors des cadres de l' anthropologie de l'homo oeconomicus qui ne veut voir dans l'être humain qu'un égoïste calculateur occupé à maximiser son intérêt. Donner sa vie  relèverait d'un comportement irrationnel et superstitieux qui confine à la bêtise. L'esprit cynique moderne traitera par le mépris cette façon de se faire avoir et cherchera éventuellement à l'exploiter; dans le dilemme du prisonnier, c'est le cas de celui qui dénoncera son complice en attendant que l'autre n'en fasse pas de même. Une réponse positive au sujet supposera de dépasser cette anthropologie noire pour apercevoir ce qui peut faire de l'être humain un homo donator, un être éprouvant d'abord  le besoin de donner plutôt que de posséder et d'accumuler. Nous soutiendrons que la satisfaction de ce besoin est la condition essentielle d'une vie heureuse. Mais si le don est l'aliment de base dont se nourrit la vie, et l'accroît, il faudra aussi prendre garde que dans ses formes perverties, il peut devenir le pire des poisons: le clientélisme, le colonialisme à prétention humanitaire, le nationalisme, le fanatisme religieux, le totalitarisme en constituent autant de figures. Le don nécessite donc un art qui saura  neutraliser ce qu'il contient de potentiellement toxique pour en extraire les vertus bienfaisantes. Pour cela, il faudra se demander  ce qui permet de distinguer le don vertueux du don empoisonné? Celui qui vaille qu'on lui dise "oui" de celui dont il faut prendre bien garde de se protéger?

mercredi 10 avril 2013

Kant, de l'impossibilité d'instituer une justice publique

« L'homme est un animal qui, lorsqu'il vit parmi d'autres membres de son espèce, a besoin d'un maître. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables; et quoique en tant que créature raisonnable il souhaite une loi qui pose les limites de la liberté de tous, son inclination animale égoïste l'entraîne cependant à faire exception pour lui-même quand il peut. Il lui faut donc un maître pour briser sa volonté particulière, et le forcer à obéir à une volonté universellement valable, par là chacun peut être libre. Mais où prendra-t-il ce maître? Nulle part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or ce sera lui aussi un animal qui a besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne voit pas comment, pour établir la justice publique, il pourrait se trouver un chef qui soit lui-même juste, et cela qu'il le cherche dans une personne unique ou dans un groupe composé d'un certain nombre de personnes choisies à cet effet. Car chacune d'entre elles abusera toujours de sa liberté si elle n'a personne, au-dessus d'elle, qui exerce un pouvoir d'après des lois. »
Emmanuel Kant.
La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Introduction.
(Commencer par noter qu'il existe des textes plus ou moins marqués historiquement; en l'occurrence, on a affaire ici à un texte qui l'est très peu, ce qui signifie qu'il aurait très bien pu être écrit hier comme il y a 2400 ans; de fait, Kant est un penseur de la fin du XVIIIème et incarne, en Allemagne l'esprit des Lumières qui se répand en Europe. Le texte prétend donc  énoncer quelque chose d'universel qui vaudrait pour toutes les sociétés humaines possibles; on peut déjà soupçonner que cette prétention méritera d'être questionnée. Ne cède-t-il pas au défaut classique de l'ethnocentrisme en projetant sur l'humanité entière des traits caractéristiques de sa propre ère de civilisation? Le thème du texte est politique et peut se formuler dans la question suivante: est-il possible aux hommes de fonder socialement un ordre juste? La réponse que le texte donne semble consister en une aporie: il n'y a pas de solution; de quelque façon qu'on s'y prenne, ceux à qui est remis le pouvoir auront toujours tendance à en abuser. La même raison qui fait que les hommes ont besoin de chefs fait aussi que ces chefs abuseront de leur pouvoir. Le texte a donc un caractère aporétique (de aporie=impasse théorique) qu'il était indispensable d'apercevoir pour poser le problème: les injustices sont bien présentes dans la société et il semble impossible qu'il puisse y en aller autrement.
L'argumentation du texte est construite en deux temps.
a)Kant établit d'abord la nécessité pour les hommes d'avoir un maître; autrement dit, ce qu'il soutient, dans un premier temps, c'est que toute société humaine ne peut exister que suivant une structure hiérarchique qui répartit les hommes en gouvernants et gouvernés. Ici, les plus avisés remarqueront déjà qu'il y a un présupposé qui pourra être discuté: l'idéal démocratique tel que l'antiquité grecque l'invente ne repose-t-il pas sur le refus de cette hiérarchie et sur le principe que chacun est apte à être, tour à tour, gouvernant et gouverné= principe de l'isokratéia=partage égal du pouvoir? Autrement dit, est-ce une vérité universelle et nécessaire que les hommes ne peuvent se passer de maîtres dès lors qu'ils vivent en société? L'ordre social doit-il être nécessairement hiérarchique?
b)Une fois établie la nécessité de maîtres, la deuxième partie du texte, aura pour objet de montrer qu'il est impossible qu'existent des maîtres justes. Puisque le maître est lui aussi un homme soumis aux mêmes pulsions égoïstes que les gouvernés, il aurait donc à son tour besoin d'un maître qui le gouverne. Nous voilà entraîné dans une régression à l'infini qui rend vaine toute tentative de fonder un ordre juste.
c) Plusieurs pistes s'ouvrent ainsi devant moi pour traiter le problème. Soit, je conteste à Kant l'idée que la hiérarchie est nécessaire à l'existence d'une société en reprenant le fil du projet politique de la démocratie de l'antiquité grecque au monde moderne où les mouvements pour l'autogestion dans le monde du travail aussi bien que ceux pour l'institution d'une démocratie directe dans les conseils révolutionnaires traduisent une aspiration à fonder une vie collective sans chefs. Soit, en reprenant le fil de la tradition gréco latine du gouvernement mixte qui, par l'équilibre des pouvoirs qu'il est censé instaurer, permettrait d'éviter les dérives d'un pouvoir devenant hégémonique: le régime du gouvernement représentatif moderne est l'héritier direct de cette approche. Mais, le prix à payer est lourd, c'est le renoncement au projet de l'institution d'une authentique démocratie qui reprendrait, pour l'universaliser et le radicaliser, le premier germe de son institution dans le monde grec de l'Antiquité.

mercredi 27 mars 2013

La vocation de l'artiste est-elle de divertir?

Introduction
On pouvait partir d'une évidence culturelle à relativiser et mettre en question pour formuler le problème.
Exemple: dans le contexte d'une société de loisirs de masse comme la notre l'artiste est communément perçu comme ayant une fonction sociale d'amuseur public; il oeuvre dans la sphère d'activité de ce que les américains appellent l'entertainment, les émissions de divertissement. Mais n'est-ce pas là une définition beaucoup trop restrictive et pauvre de la fonction sociale de l'artiste? En réalité, on peut se demander si on ne confond pas ainsi l'art et son ersatz. L'art véritable destinée à survivre à l'épreuve des siècles n'a-t-il pas une toute autre destination qui nous renvoie aux possibilités les plus élevées de l'être humain? Prise en ce sens, la vocation de l'artiste dans le contexte d'une époque comme la notre n'est-elle pas de combattre les bases de la société du spectacle et de ses promoteurs, les professionnels du show biz?
Démarche: je pars de la représentation la plus superficielle de l'art qui ne voit dans celui-ci qu'un instrument au service du divertissement des foules. En ce sens la fonction sociale de l'art est de constituer un dispositif central  dans l'organisation de la société du spectacle telle qu'a pu la théoriser quelqu'un comme Debord.
Mais en passant de l'ersatz d'art à l'art véritable, il s'agira de s'élever à une plus haute conception de l'art qui en fait une forme fondamentale de la culture, soit, de l'existence d'un monde humainement vivable; dans cette mesure, l'artiste sera immanquablement conduit à saper les bases d'une société comme la notre qui tend, de plus en plus, à faire de la régression de la culture la condition sine qua non de sa croissance économique...

lundi 11 mars 2013

Autrui n'est-il qu'une limite à ma liberté?

Mise à jour,  18-04-2018

Introduction.
Ma liberté de faire de la batterie à trois heures du matin s'arrête là où commence la liberté de mon voisin de dormir la nuit. La limite de ma liberté m'interdit d'empiéter sur celle d'autrui. Cette évidence mérite-t-elle qu'on s'y attarde plus? Oui car, sous ses apparences de savoir-vivre, elle semble impliquer une relation purement négative à autrui qui n'est jamais perçu que comme ce qui restreint le champ de ma propre liberté. Une liberté substantielle peut-elle s'édifier sur une base sociale aussi  négative et vide? Cette formule n'implique-t-elle pas toute une anthropologie philosophique (une conception de l'être humain) qui demeure problématique en ce sens qu'elle implique de concevoir des individus foncièrement égoïstes condamnés à rester des étrangers les uns pour les autres? Comme parvenir à faire société dans de telles conditions?
- J'établirai d'abord que, même si on peut donner un champ de validité limité à cette formule qui veut voir dans autrui une simple limite à ma liberté, il n'en restera pas moins que la conception de la liberté impliquée en elle est très loin d'être universelle (qu'elle constitue même plutôt une exception si l'on se donne la peine d'une enquête un peu sérieuse sur ce que nous apprennent l'anthropologie et l'histoire) mais qu'elle est caractéristique de l'homo oeconomicus qui constitue le type anthropologique (type humain) des sociétés marchandes développées comme la nôtre où les gens tendent à vivre repliés sur leur sphère privée d'existence et ont toutes les peines du monde à entretenir entre eux des rapports de socialisation positifs.
-Le problème sera alors de parvenir à reconceptualiser (redéfinir) la notion de liberté en lui déterminant une forme  qui s'associe avec un processus de socialisation positif fondé sur des liens de réciprocité, de solidarité et d'entraide. On verra finalement  dans quelle mesure cela a pu être le projet d'un socialisme de la liberté issu du mouvement ouvrier à l'époque moderne.

dimanche 3 février 2013

Quel est le pouvoir des mots?

"Il faut toujours mettre autour des actions une confiture de paroles." (Napoléon) 

"Quand il y a un fossé entre les objectifs réels et les objectifs déclarés, on a presque instinctivement recourt aux mots interminables et aux locutions râbachées, à la manière d'une seiche qui projette son encre." (G. Orwell)



Introduction
Il est courant d'entendre des expressions comme," ce ne sont que des mots", "au lieu de parler, il ferait mieux d'agir" etc. Ce qu'elles ont en commun, c’est la croyance implicite que les mots ne sont pas importants et qu'ils n'ont pas de réel pouvoir; on oppose ainsi l'ordre théorique du langage qui importerait finalement peu à l'ordre pratique de l'action qui seul compterait vraiment. Mais quelle est la consistance de cette opinion commune? N'a-t-elle pas une compréhension du langage et de ce qui est en jeu en lui infiniment trop superficielle? Si les mots étaient si peu importants, comment pourrait-on comprendre ce qu'une écrivain comme Dinesen a à nous dire lorsqu'elle déclare que ""tous les chagrins du monde sont supportables si on en fait un conte ou si on les raconte"?  Comment expliquer alors qu'un pouvoir aura toujours besoin d'exercer un contrôle sur la langue pratiquée dans la société? Comment expliquer que"les mots peuvent être comme de minuscules doses d'arsenic: on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu'après quelque temps l'effet toxique se fait sentir."  (V. Klemperer, LTI La langue du IIIème Reich, p. 40)? Les mots ne sont-ils pas , au contraire, au cœur d'enjeux anthropologique concernant notre humanisation,  et politique, concernant les rapports de pouvoir au sein d'une société, absolument fondamentaux? Autrement dit, y-a-t-il vraiment lieu d'opposer l'action aux mots? Parler n'est-ce pas une façon d'agir et donc d'exercer des effets, soit, avoir du pouvoir?
Démarche pour traiter le problème:
Comme pour tous les sujets qui n'appellent pas une réponse par oui/non, pensez, si vous avez du mal à définir une démarche pour traiter le problème,  à distinguer différents niveaux d'analyse; ici, je traiterai d'abord la question sur un plan psychologique et anthropologique en montrant l'importance de l'acquisition du langage dans la transformation de la psyché humaine en un  individu apte à vivre en société et à accéder aux formes supérieures de la culture. Puis, je reposerai la question sur un plan social et politique en montrant que les mots constituent un instrument de domination qui peut devenir totale dans le cadre d'un ordre totalitaire. D'où finalement la nécessité de repenser le langage de façon critique ce qui est une des tâches les plus importantes pour faire valoir la libre pensée.

jeudi 3 janvier 2013

Sommes-nous prisonniers du temps?

Mise à jour, 27-05-2020


Introduction
Le temps semble être de prime abord ce qui marque la finitude de notre existence. Chronos, son symbole divin, dévorait ses enfants dans la théogonie (genèse des dieux) du poète grecque du VIIIème siècle avant J.-C., Hésiode. Tout ce qui est soumis à son régime paraît voué à la destruction et la mort, ce qui marque les limites absolues de notre pouvoir. L'écho de cette expérience du temps se retrouve dans les diverses métaphysiques qui opposent la plénitude de l'éternité au vide et au quasi-non être de ce qui est soumis à la loi du devenir. En ce sens, on peut bien dire que nous sommes condamnés à vivre dans la prison du temps. Mais, nous observerons tout de suite que cette dimension ne suffit pas à épuiser notre expérience du temps. Celle-ci se constitue aussi, pour une autre part essentielle, dans une certaine façon d'instituer socialement le temps. Le temps de vivre n'est pas nécessairement le même que le temps de travailler. Le temps libre de l'otium latin n'est pas le temps serf (asservissant) du neg-otium (négation de l'otium), qui a donné le mot de "négoce", le commerce, l'activité devenue centrale dans les sociétés modernes modelées par le capitalisme. Que nous reste-t-il dès lors de ce temps libre? Ne voyons-nous pas apparaître le fait que la question se pose alors sous un jour entièrement nouveau? Si le temps est, pris en ce second sens, une institution des sociétés humaines, il peut, dans cette mesure, être transformé par les individus sociaux eux-mêmes. Il n'a plus alors à être nécessairement vécu sur le mode d'une prison qui nous enferme. N'y-t-il pas dès lors, divers régimes de la temporalité qui, en fonction de la façon dont ils sont institués socialement, peuvent être plus ou moins oppressants? Et, n'y-a-t-il pas une temporalité qui serait propre à l'expression de la liberté humaine? On en revient alors à la signification de quelque chose comme l'otium latin dont l'équivalent grec était la skholé, qui a donné le mot "école", par un étrange renversement des choses, s'il est vrai, comme le pensait le philosophe Cornelius Castoriadis, que l'école n'est pas une institution à réformer mais une prison à détruire. Plus généralement, on se demandera ici si le monde moderne ne pourrait pas se définir comme une certaine façon d'instituer socialement la domination du temps sur la vie humaine, comme semble en témoigner les innombrables pathologies mentales dont le burn out (épuisement au travail), n'est qu'une des formes, la plus médiatisée, que l'on constate aujourd'hui partout, avec l'impression étouffante d'être pressé de toutes parts par le temps comme un citron, et ce, dès le plus jeune âge (il faut se dépêcher pour ne pas arriver en retard à l'école, pour rendre ses devoirs à  temps, pour finir dans les délais ses contrôles sur table, etc.)? Et, dans ce cas, est-il loisible de nous en évader pour retrouver quelque chose comme un temps libre? Et, à quoi celui-ci pourrait-il ressembler précisément?