Dernière mise à jour, le 15-04-2018
Introduction
"Tu ne tueras pas", "Tu ne voleras pas", "Tu n'auras pas de rapport incestueux" etc. Les commandements moraux ne semblent trouver leur sens que parce que, spontanément, nous sommes enclins à les transgresser. Il n’y aurait guère de sens à interdire le meurtre si personne n’était tenté de le commettre. En ce sens, nous sommes conduits à penser que la morale n’existe que pour lutter contre nos penchants naturels qui nous conduiraient sinon à retourner à notre état primitif de sauvagerie. Cette approche de la question rencontre cependant vite ses limites. Elle ne laisse d’abord guère de perspective réjouissante quant à l’avenir de la civilisation. Sous une mince croûte de civilité, le magma des instincts bestiaux et sauvages serait toujours prêt à refaire surface. La civilisation ne pourrait gagner péniblement du terrain qu'au prix de la violence qu’elle devrait infliger à notre nature. La "civilisation", dans ce contexte, ne peut apparaître que comme "un gouvernement du corps indompté, un vernis de contrôle sur une sauvagerie fondamentale." (Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 374) Mais, il n'est pas du tout sûr qu'une telle représentation d'une supposée "nature humaine", ainsi constituée, soit fondée. Déjà, elle s'accorde bien mal avec le concept d’évolution que les sciences naturelles de la vie sont parvenues à élaborer. Si la morale allait à l’encontre de la nature par quel miracle aurait-elle pu germer dans le crâne d’un être qui est censé être le produit de millions d’années d’évolution? Nous soutiendrons, dans un premier temps, l'hypothèse suivant laquelle la pensée occidentale s'est massivement fourvoyée en confondant la vie primitive humaine avec un stade ultérieur d'évolution, à partir duquel seulement les comportements égoïstes tendent à proliférer. L'occultation du véritable mode de vie primitif de l'humain, et sa confusion avec un stade ultérieur de développement social historique, a conduit à faire de l'égoïsme, à tort, le trait naturel et dominant de la nature humaine. Cette conception faussée a orienté massivement la philosophie morale (mais aussi politique) de l'Occident dans les voies sans issue d'un combat sans fin de la civilisation contre les instincts supposés naturellement asociaux de l'être humain. Cette critique de la pensée occidentale nous amènera à une complète reconceptualisation de ce que l'on entend habituellement par "darwinisme social", et à établir solidement, sur la base des acquis les plus récents de l'éthologie (étude du comportement animal) et des neuro sciences, la strate naturelle remontant aux origines mêmes de la vie, sur laquelle la morale humaine a pu s'étayer. Il s'agira de comprendre finalement ce qui, dans la morale humaine, transcende et dépasse la nature sans pour autant s'y opposer. Le dernier étage de l'édifice de la morale, spécifique à l'être humain, mettra en jeu une réflexion sur ses plus hautes capacités méta cognitives, en particulier, celle de l'autonomie dans sa dimension non seulement morale mais aussi politique. Il s'agira de l'articuler ensuite à une éthique féminine du "care" qui intègre l'importance primordiale d'une base émotionnelle à la morale, profondément ancrée dans l'évolution de la vie, bien au-delà de la seule espèce humaine. Nous pourrons alors finir de reconceptualiser la notion de nature humaine à partir de l'importance du facteur institutionnel qui la détermine de façon décisive. Quels types d'institutions encouragent le développement des pulsions prosociales et bienveillantes à l'égard d'autrui? Les institutions des sociétés modernes sont-elles propices à leur émergence? Sinon, pour quelles raisons?
1) "La nature humaine une illusion occidentale"
a) La morale contre la nature humaine
Les termes du débat qui va nous occuper sont anciens; on en retrouve la trace dans l'antiquité chinoise à travers la controverse qui opposa au IVème siècle avant J.-C. Mencius à Kaou Tszé. Comment pouvons attendre de l'homme qu'il manifeste certaines vertus morales le conduisant à suivre une règle de réciprocité dans son rapport aux autres, ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu'il me fasse? Faut-il pour cela faire violence à sa nature? Kaou Tszé réglait la question en recourant à une image tirée du jardinage; elle implique de penser que l'être humain n'est pas naturellement moral mais que c'est la culture qui doit le façonner de telle façon qu'il le devienne, de la même façon qu'on ne trouve pas naturellement des tasses et des bols dans la nature et qu'il faut faire violence à son matériau pour lui donner la forme qui convient:"Peut-on, sans toucher à la nature du saule ke, en faire tasse et bols? Il faut faire violence au saule et lui infliger des blessures pour façonner tasses et bols [...] il faut également faire violence à l'homme et lui infliger des blessures pour en obtenir bienveillance et vertu!" (cité par Frans de Waal, Primates et philosophes, p. 81) A quoi Mencius répliquait que "les hommes tendent vers le bien aussi naturellement que l'eau descend la pente." (ibid., p. 81) Il n'est pas difficile de deviner dans quel sens a tranché l'imaginaire occidental. Très peu de gens, de nos jours, accorderaient quelque crédit à la vision confiante de Mencius. Si l'être humain tend naturellement au bien, comment s'expliquerait la violence et la sauvagerie qui semble régner en maître dans l'histoire humaine? Et pourtant, il convient d'y réfléchir à deux fois; déjà, il faut relever ce fait que comme les cours d'eau ne vont pas directement en ligne droite vers le bas mais suivent des courbes, de façon similaire, dans la vision de Mencius, les hommes ne vont pas directement vers le bien, mais empruntent, eux aussi, des détours, qui sont alors ce que nous appelons "le mal".
Malgré cela, l'anthropologie propre à l'Occident radicalisant l'antagonisme nature/culture est un thème archi dominant de la philosophie occidentale. On peut dessiner, en s'inspirant du texte de l'anthropologue américain Marshall Sahlins, La nature humaine, une illusion occidentale, un triangle dont les angles iraient de l'historien grec de l'antiquité Thucydide aux philosophes modernes en passant par les Pères fondateurs de l'Église chrétienne. Ce qui les relie à une même constellation culturelle, c'est le présupposé d'une nature humaine primitivement vouée universellement à la sauvagerie et à la brutalité. Ainsi, dans la Guerre du Péloponnèse, Thucydide justifie l'impérialisme athénien en invoquant l'ordre de la nature:"Nous croyons étant donné [...] ce qu'on sait avec certitude des hommes, que les uns et les autres obéissent nécessairement à une loi de nature qui les pousse à dominer les autres, chaque fois qu'ils sont les plus forts." (cité par Sahlins, La nature humaine, une illusion occidentale, p. 44)
Autre composante du triangle de l'imaginaire occidental, le conflit entre la nature humaine et les exigences de la morale est portée à son comble dans l'imaginaire judéo chrétien. Certes, dans un grand nombre de cultures, le mal s’introduit dans le monde par la transgression d’un interdit divin que commet l'être humain. Mais, à la différence de la doctrine judéo chrétienne du péché originel, ces fautes "n’engendrent pas une humanité pervertie par nature, bannie de la présence de dieu dans un monde de ronces et de chardons. Il y a une grande différence entre une intrinsèque perniciosité humaine et une action malencontreuse." (Sahlins, La découverte du vrai sauvage) Le conflit opposant les exigences de la morale et les inclinations de la nature humaine se traduit par un antagonisme violent entre l’âme et le corps dans la représentation occidentale héritée du judéo christianisme: "Et quoique la distinction entre le corps et l’âme soit universelle, le fait de considérer qu’une guerre les oppose est bien une particularité de l’Occident." (ibid., p. 358) De là le rapport particulier de l’homme à son animalité dans notre représentation usuelle. L’individu ne se libère de son état de sauvagerie et de barbarie pour devenir un civilisé qu’en s’arrachant à sa nature animale dont les traits dominants sont la bestialité ( les appétits déréglés du ventre) et l’inclination égoïste.
Les implications politiques de cette conception judéo chrétienne seront celles d'une structure totalement hiérarchisée du pouvoir. Comme le résume un théologien comme Jean Chrysostome, " qu'on retire à la cité ses chefs, et nous passerons notre vie, moins raisonnables encore que des bêtes, à nous mordre et nous entre-dévorer." (cité par M. Sahlins, ibid., p. 57) L'être humain étant tellement marqué par l'égoïsme, il n'y a que la crainte d'un appareil répressif qui peut le contraindre à obéir aux lois morales l'obligeant à respecter ses semblables Irénée, un autre Père fondateur de l'Eglise chrétienne, pensait de même, que "le gouvernement terrestre a été fixé par dieu pour le bénéfice des nations, de sorte que, tenu par la peur des règlements humains, les hommes ne se dévorent pas les uns les autres comme des poissons." (cité par Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 367)
Bien au-delà des seuls Pères fondateurs de l'Eglise, cela a été la conception quasi unanimement partagé de l'ensemble de la pensée occidentale:"le trait le plus marquant de la pensée politique fut un consensus presque unanime sur la fonction du gouvernement en général, et de la monarchie en particulier: réprimer la bestialité humaine." (M. Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale, p. 56) Cette conception de la politique découle donc fatalement d'une certaine anthropologie philosophique marquée par un pessimisme foncier:"Là où l'intérêt personnel est la nature de l'individu, le pouvoir est l'essence du social." (ibid., p. 368) Autrement dit, seule l'institution de l'Etat détenant le monopole de la violence légitime rendrait possible la vie en société sous le régime des lois en tenant en bride la sauvagerie et l'inclination égoïste de la nature humaine. Il en découle l'identification pure et simple de l'origine de la société et de celle de l’Etat sur laquelle repose l'immense partie de la pensée politique occidentale. Elle s’exprime dans l’idée parfaitement absurde pour quiconque a quelques bases élémentaires de connaissance en anthropologie, que les hommes n’auraient été capables de vivre en société qu’à partir de l’institution d’un Etat.
Chez Saint Augustin, autre Père fondateur de l'Eglise chrétienne, la nature pervertie de l’humanité est celle d’une triple impulsion qui a trait aux bien matériels, à la domination et aux plaisirs charnels formant une thématique dominante qui orientera jusqu’aux développements les plus récents de la pensée occidentale: celle de l'argent et du profit dans le marxisme, celle du sexe dans la psychanalyse héritée de Freud, et celle du pouvoir et de la domination dans la ligne de Nietzsche ou de Foucault. L'argent, le sexe, le pouvoir, voilà le complexe de stimulations qui définissent notre nature dans l'imaginaire de la pensée dominante en Occident. Par exemple, la psychanalyse de Freud s'élabore sur la base d'un antagonisme insurmontable entre la pulsion et la civilisation: "[De] là aussi ce commandement de l’idéal: aimer le prochain comme soi-même qui se justifie effectivement par le fait que rien d’autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle." (Freud, Malaise dans la civilisation)
b) La découverte du véritable sauvage
Si la représentation occidentale de la nature humaine tient de l'illusion, c'est parce que, à sa racine, elle repose sur une confusion qui la conduit à prendre le mode de vie domestique, à partir duquel l'égoïsme se développe, comme étant le mode primitif d'existence de l'être humain. Ce qu'elle a ainsi rayé de la carte de l'histoire humaine, ce sont les sociétés primitives dans lesquelles l'égoïsme est tenu, aux antipodes de la mentalité occidentale, pour une forme anormale et pathologique, contre nature de comportement. Parmi des centaines d'illustrations possibles que nous a fait découvrir l'histoire et l'anthropologie, donnons celle du véritable mode de vie de l'Arapesh de Nouvelle-Guinée, tel que relatée par l'anthropologue américaine Margaret Mead:"S'il y a de la viande sur son fumoir au-dessus du feu, c'est ou bien la chair d'un animal tué par un autre, par un frère, un beau-frère, un fils de sa soeur etc., qui lui a été donnée [...], ou bien la chair d'un animal qu'il a tué lui-même et qu'il fume avant de la donner à quelqu'un d'autre, car manger le fruit de sa propre chasse [...] est un crime que commettent seuls les débiles mentaux (sic)..." ( citée par Polanyi, Essais, p. 87) Voilà comment est considéré le comportement égoïste. En réalité, dans les formes primitives de vie sociale où doit régner la générosité, l'égoïsme qui peut se manifester accidentellement est tenu comme étant contre nature. On peut donc sans problème, sachant ce que l'anthropologie nous a appris, généraliser la portée de l'exemple de l'Arapesh:"L'égoïsme serait-il naturel? Pour la majeure partie de l'humanité, l'égoïsme que nous connaissons bien n'est pas naturel[...]; il est considéré comme une forme de folie ou d'ensorcellement, comme un motif d'ostracisme, de mise à mort, du moins est-il le signe d'un mal qu'il faut guérir." (Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale, p. 55) Il découle bien évidemment du mode de vie primitif une conception de l'éducation aux antipodes de la nôtre dans laquelle il n'est pas question de lutter contre des penchants supposés asociaux de l'enfant:"En réalité, les anthropologues connaissent peu de sociétés, à part la nôtre, où la socialisation implique de domestiquer les dispositions anti-sociales inhérentes à l'enfant. Les hommes ont habituellement l'opinion inverse: la sociabilité est un état normal de l'homme." (M. Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale p. 100)
Ce que nous, Occidentaux, avons pris pour le mode de vie primitif n'a, en réalité, rien à voir. C'est
la vie domestique centrée sur la maisonnée est ce que nous appellerons, dans la terminologie de la connaissance anthropologique, le M.P.D. (Mode de Production Domestique) La prédominance de cette organisation humaine, où l'individu devient centré sur lui-même, résulte de la dissolution tardive des liens de réciprocité et de solidarité de la société tribale primitive ayant la générosité comme vertu cardinale. Ce sont des forces centrifuges qui ont fini par disperser la communauté primitive à un stade déjà avancé de l'histoire humaine. C'est ainsi que les choses semblent se dessiner dans la Grèce à l'époque du VIIème siècle avant J-C. L'oeuvre du poète grec Hésiode, à cette époque, Les travaux et les Jours, est l'indice d'une rupture fondamentale qui fait passer des "sociétés d'abondance" primitives à la dureté de l'existence de l'âge de fer où les individus finissent par s'isoler les uns des autres. Un type anthropologique entièrement nouveau se dessine:"C'est le monde du chef de famille paysan indépendant, farouchement individualiste, moralisateur, superstitieux, voire protestataire, et enfin économe. Considéré en perspective, Les Travaux et les jours est le témoignage documentaire de la naissance de l'individu isolé - un personnage aberrant au sein de la société tribale." (Polanyi, La subsistance de l'homme, p. 229) On a donc longtemps cru, à tort, que cette forme d'organisation était la première apparue dans l'histoire humaine:"Traditionnellement, on pensait que c' était la forme originelle de la vie économique. Même Karl Bücher, qui fut le premier à attirer l'attention sur le caractère entièrement différent de la société sauvage, commis l'erreur de caractériser la règle de "la chasse individuelle pour la nourriture" comme l'étape prééconomique de l'histoire humaine. Mais l'économie domestique n'est en aucune façon une forme originelle de la vie économique. L'idée que l'homme a commencé par s'occuper de lui-même et de sa famille doit être écartée comme erronée. Plus loin nous remontons dans l'histoire humaine, moins nous retrouvons l'homme agissant pour son bénéfice personnel dans les affaires économiques, et prenant soin de son intérêt propre." (ibid., p. 85) C'est le genre de "robinsonnades" qui relève d'une mythologie typique de la pensée occidentale que tournera en ridicule Marx et que l''on retrouve aussi bien dans la figure du bon sauvage de Rousseau que dans celle du loup à visage humain de Hobbes: "Le sauvage individualiste cueillant et chassant pour son propre compte ou celui de sa famille n'a jamais existé. La pratique qui consiste à pourvoir aux besoins de son propre foyer ne devient en réalité un trait de la vie économique qu'à un niveau d'agriculture plus avancé." (Polanyi, La grande transformation, pp. 99-100)
Si l'on veut donc avoir une représentation plus juste du lointain passé de l'humanité mieux vaudra se tourner vers une philosophie de l'histoire indigène telle que l'intellectuel hawaïen David Malo la conçoit:"Ainsi, pour Malo, et en parfait contraste avec Hobbes, la condition humaine primitive était pacifique: les hommes vivaient tous ensemble, réunis en un seul groupe et tous nobles. Ils étaient donc non seulement liés par le sang (koko) mais savaient se faire des dons les uns aux autres. La hiérarchie est intervenue comme une différenciation de la société par le bas, lorsque certains individus poussés par un égoïsme grandissant quittèrent le groupe. rien n'est plus différent de la communauté imaginée par Hobbes: une collectivité formée d'un ensemble d'individus à l'origine isolés et autocentrés et marquée par la différenciation d'une strate gouvernante supérieure." (Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 372) Ici est rigoureusement distinguer la vie primitive de sa pulvérisation ultérieure dans le MPD, où l'isolement devient le trait dominant de la vie humaine. Et Malo l'explique ainsi: les mauvais instincts se déchaînent dès lors qu'une masse grandissante d'individus finissent par oublier l'arbre généalogique qui les lie à leurs ancêtres et perdent le sens du don, central dans la vie primitive. L'état premier de l'humanité, tel que Hobbes l'a théorisé, en tant que représentant typique de l'imaginaire occidental, marqué par le déchaînement des instincts égoïstes et meurtriers et conçu comme un "état de guerre de tous contre tous", est donc un mythe sans fondement réel. Le déchaînement de l'égoïsme nécessitant la naissance d'une hiérarchie sociale nécessaire pour tenir en bride les instincts destructeurs est le fruit d'une histoire, non pas une donnée naturelle initiale.
Tout cela nous conduit à remettre complètement en question la représentation d'une nature humaine primitive contre laquelle la culture avec ses impératifs moraux se serait constituée ultérieurement et qui devrait mener une lutte de tous les instants grâce à un processus de domestication du troupeau humain conduite par une élite civilisée pour nous préserver de retomber dans notre état primordial et universel de sauvagerie.
c) Morale humaine et théorie de l'évolution des espèces
Nous sommes pourtant loin d'être venus à bout, dans l'imaginaire occidental, de cette illusion touchant la nature humaine. En témoigne sa persistance dans la biologie et la théorie de l'évolution des espèces. "Le combat héroïque de l'humanité contre des forces qui la tirent vers les bas reste un thème dominant en biologie à l'heure actuelle..." (Frans de Waal, Primates et philosophes, p. 30) Tiré jusqu'au bout de ses implications, on voit mal comment une thèse pareille pourrait encore trouver quoique ce soit à redire à ce qui était la position d'un fasciste comme Stapel, exposé dans sa Théologie du nationalisme, s'inspirant de thèmes nietzschéens prétendant dévoiler le caractère purement illusoire de la morale qui "ne doit son existence qu'à la sentimentalité de ceux qui ne sont pas encore capables de renoncer à leurs illusions." ( cité par Polanyi, Essais, p. 374) Le fascisme est en germe dans une appréhension des choses qui ne voit d'autre recours qu'un pouvoir fort pour dompter la bête humaine.
Une des derniers avatars de l'imaginaire occidental touchant la nature humaine se trouve dans la vulgarisation faite d'ouvrages comme celui de R. Dawkins, le Le Gène égoïste où il expose la thèse d'une origine génétique de l'égoïsme qui se développerait sans frein dans la nature et pour lequel, seulement dans l'espèce humaine serait apparu, on ne sait trop comment, la capacité de s'y opposer:"Nous sommes les seuls sur terre à pouvoir nous rebeller contre la tyrannie des réplicateurs égoïstes." (Cité par de Waal, Primates et philosophes, p. 30) Ce qu'il y a d'humain en nous ne doit rien à la nature. L'humanité se conquiert contre elle. Cette position mérite d'être questionnée sur trois points au moins:
-Primo, il faut commencer par dissiper un gros malentendu, courant quand il s'agit de vulgariser les propos d'intellectuels. R. Dawkins ne prétendait pas, en faisant ressortir l'existence de gènes égoïstes, dire qu'ils détermineraient des comportements qui devraient nécessairement être de même nature. Il reconnaissait au contraire sans problème que de véritables actes altruistes pouvaient être induits par des gènes de ce type. Pour comprendre comment c'est possible, il faut simplement introduire une distinction qui joue un rôle tout à fait fondamental en biologie, du même ordre qu'en politique "la séparation de l'Eglise et de l'Etat." (F. de Waal, L'âge de l'empathie, p. 66): elle met en jeu, d'une part, la raison ultime d'un comportement, et, d'autre part, sa raison proche. La première cherche à rendre raison de la façon dont un comportement a pu évoluer dans une espèce au cours de millions d'années d'évolution. De ce point de vue, les gènes sélectionnés ont favorisé la reproduction de ces porteurs et peuvent être qualifiés, en ce sens d'"égoïstes". Mais la raison ultime d'un comportement ne détermine en rien sa raison proche qui réside dans la façon dont les individus de l'espèce reproduisent ce comportement et qui peut être liée à des motivations très différentes. Les biologistes sont beaucoup plus sensibles à la recherche de la raison ultime et les psychologues à la détermination de la raison proche, ce qui fait qu'en vertu de cette division du travail intellectuel, on risque de croire qu'il y aurait là une contradiction.
Pour le formuler encore autrement, un comportement qui a été sélectionné pour une raison x au cours de l'évolution peut très bien être reproduit aujourd'hui pour des raisons x, y ou z. On parle alors de catachrèse. Partons d'un exemple basique emprunté à une autre question que celle de l'égoïsme, la perception des couleurs: cette faculté a pu être sélectionnée, au point de départ, car elle permettait à l'individu de l'espèce de distinguer entre le fruit mûr et le fruit vert, donc pour des raisons d'ordre utilitaire. Mais, aujourd'hui, nous pouvons chercher à percevoir les couleurs pour des motifs n'ayant plus rien à voir avec cette raison ultime, par exemple, pour des raisons simplement esthétiques. On peut prendre un autre cas typique de catachrèse qui sera certainement plus évocateur, la sexualité à l'origine liée à l'impératif de reproduction de l'espèce qui s'est depuis attachée à une multitude d'autres motivations complètement différentes:"Les personnes interrogées citaient une quantité ahurissante de raisons, allant de "je voulais faire plaisir à mon petit ami" ou "je voulais une augmentation" à "nous n'avions rien à faire" et "je voulais savoir comment elle était au lit"..." (F. de Waal, L'âge de l'empathie, p. 67) Et la même distinction entre raison ultime et proche doit être faite quand on prétend parler de "gènes égoïstes": ici, la raison ultime tient au fait que la sélection naturelle a pu très bien favoriser au départ des comportements altruistes parce qu'ils augmentaient simplement les chances de reproduction du sujet: en aidant un proche, celui-ci, en retour, tendra à rendre la pareille et, de cette façon, l'individu bénéficiera d'un soutien augmentant ses propres chances dans la lutte pour la vie, bien mieux que s'il avait suivi la règle du Chacun pour soi. Mais rien ne dit que les raisons proches de comportements altruistes soient restées les mêmes, et on observe facilement, sous cet angle, une multitude de comportements, chez les espèces les plus variées qui soient, où l'individu n'a pas grand chose à gagner et tout à perdre à faire ce qu'il fait:"Ainsi l'homme qui bondit sur la voie ferrée pour protéger un inconnu, le chien qui s'expose à des blessures considérables en s'interposant entre un enfant et un serpent à sonnette, ou encore les dauphins qui forment un cordon de protection autour de nageurs humains dans une eau infestée de requins." (ibid., p. 69) De façon similaire, on observera maints cas dans le règne animal de catachrèse de l'instinct maternel qui fait, par exemple, qu'une tigresse, plutôt que de dévorer des petits cochons, comme il serait naturel de s'y attendre, va les adopter comme sa propre progéniture.
- Deuxièmement, si on ne tient pas compte de cette distinction fondamentale entre raison proche et ultime, en adoptant la théorie évolutionniste de la sélection naturelle comme principe d'explication systématique de l'apparition des espèces vivantes, il faudrait se résoudre à admettre que nous sommes incapables de rendre compte de l'apparition de l'espèce homo sapiens et des exigences contre nature de la morale qui lui seraient propres, par quoi, miraculeusement, elle aurait été la seule à pouvoir s'opposer à l'égoïsme génétiquement déterminé qu'on retrouverait dans l'ensemble de la gente animale. On ne pourrait rendre compte de notre propre espèce que comme d'un raté incompréhensible de la nature dans son processus évolutif. Ainsi, pour G. Williams, l'apparition de la morale dans l'espèce humaine représente une anomalie, une sorte de bourde de la vie, dans le cadre d'une évolution naturelle que tout devrait conduire dans une direction opposée:"Je considère la morale comme une aptitude accidentelle produite, dans sa bêtise sans bornes, par un processus biologique normalement opposé à l'expression d'une telle capacité." (cité par de Waal, ibid., p. 30)
-Enfin, "ces auteurs omettent d'expliquer comment nous pourrions nier nos gènes, qu'ils nous présentent par ailleurs comme tout-puissants." (ibid., p. 31)Nous sommes comme les saumons destinés à remonter à contre courant l'immense fleuve de l'évolution et à nous épuiser dans cette tâche impossible. Dans ce combat sans fin entre les impératifs de la vie civilisée et les impulsions les plus profondes de notre nature qui vont à contre courant, celles-ci pèseront toujours d’un poids beaucoup trop lourd. Si la nature humaine est fondamentalement asociale et égoïste, toutes les vertus de la sociabilité ne seront jamais rien d'autre que des masques trompeurs, superficiels et hypocrites comme l’exprimait l’un des fondateurs de l’économie politique de notre temps, Mandeville « il n’est pas possible que nous soyons des créatures sociables sans hypocrisie. » (cité par Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 339) Ou, comme le notait encore J. Starobinsky, "réduites à des apparences superficielles, la politesse, la civilité laissent, à l'intérieur, en profondeur, le champ libre à leurs contraires: la malveillance, la malfaisance, bref, la violence qui n'a en réalité jamais abdiqué." (cité par Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 363) Cette théorie du vernis a fini par devenir le lieu commun de la civilisation occidentale, empoisonnant l'ensemble des rapports sociaux. Rares sont ceux qui ne souscriraient pas à cette "actuelle sagesse commune qui voit la nature humaine comme un ensemble de compulsions profondément enracinées génétiquement, avec lesquels la culture doit composer." (ibid., p. 363) Mais il n'est pas sûr que ces clichés rabâchées sans fin résistent à un examen plus sérieux d'un point de vue cette fois biologique. On ne pourrait que se résoudre, partant des postulats de cette théorie, soit à accepter l'idée d'une anomalie, d'un étrange raté de la nature qui sera sûrement destiné à être éliminé comme inapte à la survie, soit à accepter une explication de type religieux invoquant l'intervention de quelque agent surnaturel. Ces difficultés à articuler théorie de l'évolution et morale obligent à s'interroger sur les présupposés de cette théorie biologique, et, au contraire, à chercher, conformément à l'esprit de la philosophie de Mencius, un enracinement naturel à la morale humaine qui va nous conduire à complètement reconceptualiser la théorie de l'évolution des espèces ...
(1) Il faut cependant faire justice à Rousseau du fait qu'il n'a jamais prétendu à la réalité historique en décrivant la vie des êtres humains à l'état de nature. Ce concept n'avait pour lui qu'une valeur opératoire, celle de permettre de mieux éclairer l'essence du phénomène de la vie en société:"(...) les recherches, dans lesquelles nous pouvons nous engager dans cette occasion, ne doivent pas être prises pour des vérités historiques, mais simplement comme des raisonnements hypothétiques et conditionnels, plus aptes à illustrer la nature des choses, que pour montrer leur véritable origine."
( Rousseau, Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité entre les hommes) La même chose vaut d'ailleurs pour la philosophie de Hobbes.
Introduction
"Tu ne tueras pas", "Tu ne voleras pas", "Tu n'auras pas de rapport incestueux" etc. Les commandements moraux ne semblent trouver leur sens que parce que, spontanément, nous sommes enclins à les transgresser. Il n’y aurait guère de sens à interdire le meurtre si personne n’était tenté de le commettre. En ce sens, nous sommes conduits à penser que la morale n’existe que pour lutter contre nos penchants naturels qui nous conduiraient sinon à retourner à notre état primitif de sauvagerie. Cette approche de la question rencontre cependant vite ses limites. Elle ne laisse d’abord guère de perspective réjouissante quant à l’avenir de la civilisation. Sous une mince croûte de civilité, le magma des instincts bestiaux et sauvages serait toujours prêt à refaire surface. La civilisation ne pourrait gagner péniblement du terrain qu'au prix de la violence qu’elle devrait infliger à notre nature. La "civilisation", dans ce contexte, ne peut apparaître que comme "un gouvernement du corps indompté, un vernis de contrôle sur une sauvagerie fondamentale." (Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 374) Mais, il n'est pas du tout sûr qu'une telle représentation d'une supposée "nature humaine", ainsi constituée, soit fondée. Déjà, elle s'accorde bien mal avec le concept d’évolution que les sciences naturelles de la vie sont parvenues à élaborer. Si la morale allait à l’encontre de la nature par quel miracle aurait-elle pu germer dans le crâne d’un être qui est censé être le produit de millions d’années d’évolution? Nous soutiendrons, dans un premier temps, l'hypothèse suivant laquelle la pensée occidentale s'est massivement fourvoyée en confondant la vie primitive humaine avec un stade ultérieur d'évolution, à partir duquel seulement les comportements égoïstes tendent à proliférer. L'occultation du véritable mode de vie primitif de l'humain, et sa confusion avec un stade ultérieur de développement social historique, a conduit à faire de l'égoïsme, à tort, le trait naturel et dominant de la nature humaine. Cette conception faussée a orienté massivement la philosophie morale (mais aussi politique) de l'Occident dans les voies sans issue d'un combat sans fin de la civilisation contre les instincts supposés naturellement asociaux de l'être humain. Cette critique de la pensée occidentale nous amènera à une complète reconceptualisation de ce que l'on entend habituellement par "darwinisme social", et à établir solidement, sur la base des acquis les plus récents de l'éthologie (étude du comportement animal) et des neuro sciences, la strate naturelle remontant aux origines mêmes de la vie, sur laquelle la morale humaine a pu s'étayer. Il s'agira de comprendre finalement ce qui, dans la morale humaine, transcende et dépasse la nature sans pour autant s'y opposer. Le dernier étage de l'édifice de la morale, spécifique à l'être humain, mettra en jeu une réflexion sur ses plus hautes capacités méta cognitives, en particulier, celle de l'autonomie dans sa dimension non seulement morale mais aussi politique. Il s'agira de l'articuler ensuite à une éthique féminine du "care" qui intègre l'importance primordiale d'une base émotionnelle à la morale, profondément ancrée dans l'évolution de la vie, bien au-delà de la seule espèce humaine. Nous pourrons alors finir de reconceptualiser la notion de nature humaine à partir de l'importance du facteur institutionnel qui la détermine de façon décisive. Quels types d'institutions encouragent le développement des pulsions prosociales et bienveillantes à l'égard d'autrui? Les institutions des sociétés modernes sont-elles propices à leur émergence? Sinon, pour quelles raisons?
1) "La nature humaine une illusion occidentale"
a) La morale contre la nature humaine
Les termes du débat qui va nous occuper sont anciens; on en retrouve la trace dans l'antiquité chinoise à travers la controverse qui opposa au IVème siècle avant J.-C. Mencius à Kaou Tszé. Comment pouvons attendre de l'homme qu'il manifeste certaines vertus morales le conduisant à suivre une règle de réciprocité dans son rapport aux autres, ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu'il me fasse? Faut-il pour cela faire violence à sa nature? Kaou Tszé réglait la question en recourant à une image tirée du jardinage; elle implique de penser que l'être humain n'est pas naturellement moral mais que c'est la culture qui doit le façonner de telle façon qu'il le devienne, de la même façon qu'on ne trouve pas naturellement des tasses et des bols dans la nature et qu'il faut faire violence à son matériau pour lui donner la forme qui convient:"Peut-on, sans toucher à la nature du saule ke, en faire tasse et bols? Il faut faire violence au saule et lui infliger des blessures pour façonner tasses et bols [...] il faut également faire violence à l'homme et lui infliger des blessures pour en obtenir bienveillance et vertu!" (cité par Frans de Waal, Primates et philosophes, p. 81) A quoi Mencius répliquait que "les hommes tendent vers le bien aussi naturellement que l'eau descend la pente." (ibid., p. 81) Il n'est pas difficile de deviner dans quel sens a tranché l'imaginaire occidental. Très peu de gens, de nos jours, accorderaient quelque crédit à la vision confiante de Mencius. Si l'être humain tend naturellement au bien, comment s'expliquerait la violence et la sauvagerie qui semble régner en maître dans l'histoire humaine? Et pourtant, il convient d'y réfléchir à deux fois; déjà, il faut relever ce fait que comme les cours d'eau ne vont pas directement en ligne droite vers le bas mais suivent des courbes, de façon similaire, dans la vision de Mencius, les hommes ne vont pas directement vers le bien, mais empruntent, eux aussi, des détours, qui sont alors ce que nous appelons "le mal".
Malgré cela, l'anthropologie propre à l'Occident radicalisant l'antagonisme nature/culture est un thème archi dominant de la philosophie occidentale. On peut dessiner, en s'inspirant du texte de l'anthropologue américain Marshall Sahlins, La nature humaine, une illusion occidentale, un triangle dont les angles iraient de l'historien grec de l'antiquité Thucydide aux philosophes modernes en passant par les Pères fondateurs de l'Église chrétienne. Ce qui les relie à une même constellation culturelle, c'est le présupposé d'une nature humaine primitivement vouée universellement à la sauvagerie et à la brutalité. Ainsi, dans la Guerre du Péloponnèse, Thucydide justifie l'impérialisme athénien en invoquant l'ordre de la nature:"Nous croyons étant donné [...] ce qu'on sait avec certitude des hommes, que les uns et les autres obéissent nécessairement à une loi de nature qui les pousse à dominer les autres, chaque fois qu'ils sont les plus forts." (cité par Sahlins, La nature humaine, une illusion occidentale, p. 44)
Autre composante du triangle de l'imaginaire occidental, le conflit entre la nature humaine et les exigences de la morale est portée à son comble dans l'imaginaire judéo chrétien. Certes, dans un grand nombre de cultures, le mal s’introduit dans le monde par la transgression d’un interdit divin que commet l'être humain. Mais, à la différence de la doctrine judéo chrétienne du péché originel, ces fautes "n’engendrent pas une humanité pervertie par nature, bannie de la présence de dieu dans un monde de ronces et de chardons. Il y a une grande différence entre une intrinsèque perniciosité humaine et une action malencontreuse." (Sahlins, La découverte du vrai sauvage) Le conflit opposant les exigences de la morale et les inclinations de la nature humaine se traduit par un antagonisme violent entre l’âme et le corps dans la représentation occidentale héritée du judéo christianisme: "Et quoique la distinction entre le corps et l’âme soit universelle, le fait de considérer qu’une guerre les oppose est bien une particularité de l’Occident." (ibid., p. 358) De là le rapport particulier de l’homme à son animalité dans notre représentation usuelle. L’individu ne se libère de son état de sauvagerie et de barbarie pour devenir un civilisé qu’en s’arrachant à sa nature animale dont les traits dominants sont la bestialité ( les appétits déréglés du ventre) et l’inclination égoïste.
Les implications politiques de cette conception judéo chrétienne seront celles d'une structure totalement hiérarchisée du pouvoir. Comme le résume un théologien comme Jean Chrysostome, " qu'on retire à la cité ses chefs, et nous passerons notre vie, moins raisonnables encore que des bêtes, à nous mordre et nous entre-dévorer." (cité par M. Sahlins, ibid., p. 57) L'être humain étant tellement marqué par l'égoïsme, il n'y a que la crainte d'un appareil répressif qui peut le contraindre à obéir aux lois morales l'obligeant à respecter ses semblables Irénée, un autre Père fondateur de l'Eglise chrétienne, pensait de même, que "le gouvernement terrestre a été fixé par dieu pour le bénéfice des nations, de sorte que, tenu par la peur des règlements humains, les hommes ne se dévorent pas les uns les autres comme des poissons." (cité par Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 367)
Bien au-delà des seuls Pères fondateurs de l'Eglise, cela a été la conception quasi unanimement partagé de l'ensemble de la pensée occidentale:"le trait le plus marquant de la pensée politique fut un consensus presque unanime sur la fonction du gouvernement en général, et de la monarchie en particulier: réprimer la bestialité humaine." (M. Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale, p. 56) Cette conception de la politique découle donc fatalement d'une certaine anthropologie philosophique marquée par un pessimisme foncier:"Là où l'intérêt personnel est la nature de l'individu, le pouvoir est l'essence du social." (ibid., p. 368) Autrement dit, seule l'institution de l'Etat détenant le monopole de la violence légitime rendrait possible la vie en société sous le régime des lois en tenant en bride la sauvagerie et l'inclination égoïste de la nature humaine. Il en découle l'identification pure et simple de l'origine de la société et de celle de l’Etat sur laquelle repose l'immense partie de la pensée politique occidentale. Elle s’exprime dans l’idée parfaitement absurde pour quiconque a quelques bases élémentaires de connaissance en anthropologie, que les hommes n’auraient été capables de vivre en société qu’à partir de l’institution d’un Etat.
Chez Saint Augustin, autre Père fondateur de l'Eglise chrétienne, la nature pervertie de l’humanité est celle d’une triple impulsion qui a trait aux bien matériels, à la domination et aux plaisirs charnels formant une thématique dominante qui orientera jusqu’aux développements les plus récents de la pensée occidentale: celle de l'argent et du profit dans le marxisme, celle du sexe dans la psychanalyse héritée de Freud, et celle du pouvoir et de la domination dans la ligne de Nietzsche ou de Foucault. L'argent, le sexe, le pouvoir, voilà le complexe de stimulations qui définissent notre nature dans l'imaginaire de la pensée dominante en Occident. Par exemple, la psychanalyse de Freud s'élabore sur la base d'un antagonisme insurmontable entre la pulsion et la civilisation: "[De] là aussi ce commandement de l’idéal: aimer le prochain comme soi-même qui se justifie effectivement par le fait que rien d’autre ne va autant à contre-courant de la nature humaine originelle." (Freud, Malaise dans la civilisation)
b) La découverte du véritable sauvage
Si la représentation occidentale de la nature humaine tient de l'illusion, c'est parce que, à sa racine, elle repose sur une confusion qui la conduit à prendre le mode de vie domestique, à partir duquel l'égoïsme se développe, comme étant le mode primitif d'existence de l'être humain. Ce qu'elle a ainsi rayé de la carte de l'histoire humaine, ce sont les sociétés primitives dans lesquelles l'égoïsme est tenu, aux antipodes de la mentalité occidentale, pour une forme anormale et pathologique, contre nature de comportement. Parmi des centaines d'illustrations possibles que nous a fait découvrir l'histoire et l'anthropologie, donnons celle du véritable mode de vie de l'Arapesh de Nouvelle-Guinée, tel que relatée par l'anthropologue américaine Margaret Mead:"S'il y a de la viande sur son fumoir au-dessus du feu, c'est ou bien la chair d'un animal tué par un autre, par un frère, un beau-frère, un fils de sa soeur etc., qui lui a été donnée [...], ou bien la chair d'un animal qu'il a tué lui-même et qu'il fume avant de la donner à quelqu'un d'autre, car manger le fruit de sa propre chasse [...] est un crime que commettent seuls les débiles mentaux (sic)..." ( citée par Polanyi, Essais, p. 87) Voilà comment est considéré le comportement égoïste. En réalité, dans les formes primitives de vie sociale où doit régner la générosité, l'égoïsme qui peut se manifester accidentellement est tenu comme étant contre nature. On peut donc sans problème, sachant ce que l'anthropologie nous a appris, généraliser la portée de l'exemple de l'Arapesh:"L'égoïsme serait-il naturel? Pour la majeure partie de l'humanité, l'égoïsme que nous connaissons bien n'est pas naturel[...]; il est considéré comme une forme de folie ou d'ensorcellement, comme un motif d'ostracisme, de mise à mort, du moins est-il le signe d'un mal qu'il faut guérir." (Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale, p. 55) Il découle bien évidemment du mode de vie primitif une conception de l'éducation aux antipodes de la nôtre dans laquelle il n'est pas question de lutter contre des penchants supposés asociaux de l'enfant:"En réalité, les anthropologues connaissent peu de sociétés, à part la nôtre, où la socialisation implique de domestiquer les dispositions anti-sociales inhérentes à l'enfant. Les hommes ont habituellement l'opinion inverse: la sociabilité est un état normal de l'homme." (M. Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale p. 100)
Ce que nous, Occidentaux, avons pris pour le mode de vie primitif n'a, en réalité, rien à voir. C'est
la vie domestique centrée sur la maisonnée est ce que nous appellerons, dans la terminologie de la connaissance anthropologique, le M.P.D. (Mode de Production Domestique) La prédominance de cette organisation humaine, où l'individu devient centré sur lui-même, résulte de la dissolution tardive des liens de réciprocité et de solidarité de la société tribale primitive ayant la générosité comme vertu cardinale. Ce sont des forces centrifuges qui ont fini par disperser la communauté primitive à un stade déjà avancé de l'histoire humaine. C'est ainsi que les choses semblent se dessiner dans la Grèce à l'époque du VIIème siècle avant J-C. L'oeuvre du poète grec Hésiode, à cette époque, Les travaux et les Jours, est l'indice d'une rupture fondamentale qui fait passer des "sociétés d'abondance" primitives à la dureté de l'existence de l'âge de fer où les individus finissent par s'isoler les uns des autres. Un type anthropologique entièrement nouveau se dessine:"C'est le monde du chef de famille paysan indépendant, farouchement individualiste, moralisateur, superstitieux, voire protestataire, et enfin économe. Considéré en perspective, Les Travaux et les jours est le témoignage documentaire de la naissance de l'individu isolé - un personnage aberrant au sein de la société tribale." (Polanyi, La subsistance de l'homme, p. 229) On a donc longtemps cru, à tort, que cette forme d'organisation était la première apparue dans l'histoire humaine:"Traditionnellement, on pensait que c' était la forme originelle de la vie économique. Même Karl Bücher, qui fut le premier à attirer l'attention sur le caractère entièrement différent de la société sauvage, commis l'erreur de caractériser la règle de "la chasse individuelle pour la nourriture" comme l'étape prééconomique de l'histoire humaine. Mais l'économie domestique n'est en aucune façon une forme originelle de la vie économique. L'idée que l'homme a commencé par s'occuper de lui-même et de sa famille doit être écartée comme erronée. Plus loin nous remontons dans l'histoire humaine, moins nous retrouvons l'homme agissant pour son bénéfice personnel dans les affaires économiques, et prenant soin de son intérêt propre." (ibid., p. 85) C'est le genre de "robinsonnades" qui relève d'une mythologie typique de la pensée occidentale que tournera en ridicule Marx et que l''on retrouve aussi bien dans la figure du bon sauvage de Rousseau que dans celle du loup à visage humain de Hobbes: "Le sauvage individualiste cueillant et chassant pour son propre compte ou celui de sa famille n'a jamais existé. La pratique qui consiste à pourvoir aux besoins de son propre foyer ne devient en réalité un trait de la vie économique qu'à un niveau d'agriculture plus avancé." (Polanyi, La grande transformation, pp. 99-100)
Si l'on veut donc avoir une représentation plus juste du lointain passé de l'humanité mieux vaudra se tourner vers une philosophie de l'histoire indigène telle que l'intellectuel hawaïen David Malo la conçoit:"Ainsi, pour Malo, et en parfait contraste avec Hobbes, la condition humaine primitive était pacifique: les hommes vivaient tous ensemble, réunis en un seul groupe et tous nobles. Ils étaient donc non seulement liés par le sang (koko) mais savaient se faire des dons les uns aux autres. La hiérarchie est intervenue comme une différenciation de la société par le bas, lorsque certains individus poussés par un égoïsme grandissant quittèrent le groupe. rien n'est plus différent de la communauté imaginée par Hobbes: une collectivité formée d'un ensemble d'individus à l'origine isolés et autocentrés et marquée par la différenciation d'une strate gouvernante supérieure." (Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 372) Ici est rigoureusement distinguer la vie primitive de sa pulvérisation ultérieure dans le MPD, où l'isolement devient le trait dominant de la vie humaine. Et Malo l'explique ainsi: les mauvais instincts se déchaînent dès lors qu'une masse grandissante d'individus finissent par oublier l'arbre généalogique qui les lie à leurs ancêtres et perdent le sens du don, central dans la vie primitive. L'état premier de l'humanité, tel que Hobbes l'a théorisé, en tant que représentant typique de l'imaginaire occidental, marqué par le déchaînement des instincts égoïstes et meurtriers et conçu comme un "état de guerre de tous contre tous", est donc un mythe sans fondement réel. Le déchaînement de l'égoïsme nécessitant la naissance d'une hiérarchie sociale nécessaire pour tenir en bride les instincts destructeurs est le fruit d'une histoire, non pas une donnée naturelle initiale.
Tout cela nous conduit à remettre complètement en question la représentation d'une nature humaine primitive contre laquelle la culture avec ses impératifs moraux se serait constituée ultérieurement et qui devrait mener une lutte de tous les instants grâce à un processus de domestication du troupeau humain conduite par une élite civilisée pour nous préserver de retomber dans notre état primordial et universel de sauvagerie.
c) Morale humaine et théorie de l'évolution des espèces
Nous sommes pourtant loin d'être venus à bout, dans l'imaginaire occidental, de cette illusion touchant la nature humaine. En témoigne sa persistance dans la biologie et la théorie de l'évolution des espèces. "Le combat héroïque de l'humanité contre des forces qui la tirent vers les bas reste un thème dominant en biologie à l'heure actuelle..." (Frans de Waal, Primates et philosophes, p. 30) Tiré jusqu'au bout de ses implications, on voit mal comment une thèse pareille pourrait encore trouver quoique ce soit à redire à ce qui était la position d'un fasciste comme Stapel, exposé dans sa Théologie du nationalisme, s'inspirant de thèmes nietzschéens prétendant dévoiler le caractère purement illusoire de la morale qui "ne doit son existence qu'à la sentimentalité de ceux qui ne sont pas encore capables de renoncer à leurs illusions." ( cité par Polanyi, Essais, p. 374) Le fascisme est en germe dans une appréhension des choses qui ne voit d'autre recours qu'un pouvoir fort pour dompter la bête humaine.
Une des derniers avatars de l'imaginaire occidental touchant la nature humaine se trouve dans la vulgarisation faite d'ouvrages comme celui de R. Dawkins, le Le Gène égoïste où il expose la thèse d'une origine génétique de l'égoïsme qui se développerait sans frein dans la nature et pour lequel, seulement dans l'espèce humaine serait apparu, on ne sait trop comment, la capacité de s'y opposer:"Nous sommes les seuls sur terre à pouvoir nous rebeller contre la tyrannie des réplicateurs égoïstes." (Cité par de Waal, Primates et philosophes, p. 30) Ce qu'il y a d'humain en nous ne doit rien à la nature. L'humanité se conquiert contre elle. Cette position mérite d'être questionnée sur trois points au moins:
-Primo, il faut commencer par dissiper un gros malentendu, courant quand il s'agit de vulgariser les propos d'intellectuels. R. Dawkins ne prétendait pas, en faisant ressortir l'existence de gènes égoïstes, dire qu'ils détermineraient des comportements qui devraient nécessairement être de même nature. Il reconnaissait au contraire sans problème que de véritables actes altruistes pouvaient être induits par des gènes de ce type. Pour comprendre comment c'est possible, il faut simplement introduire une distinction qui joue un rôle tout à fait fondamental en biologie, du même ordre qu'en politique "la séparation de l'Eglise et de l'Etat." (F. de Waal, L'âge de l'empathie, p. 66): elle met en jeu, d'une part, la raison ultime d'un comportement, et, d'autre part, sa raison proche. La première cherche à rendre raison de la façon dont un comportement a pu évoluer dans une espèce au cours de millions d'années d'évolution. De ce point de vue, les gènes sélectionnés ont favorisé la reproduction de ces porteurs et peuvent être qualifiés, en ce sens d'"égoïstes". Mais la raison ultime d'un comportement ne détermine en rien sa raison proche qui réside dans la façon dont les individus de l'espèce reproduisent ce comportement et qui peut être liée à des motivations très différentes. Les biologistes sont beaucoup plus sensibles à la recherche de la raison ultime et les psychologues à la détermination de la raison proche, ce qui fait qu'en vertu de cette division du travail intellectuel, on risque de croire qu'il y aurait là une contradiction.
Pour le formuler encore autrement, un comportement qui a été sélectionné pour une raison x au cours de l'évolution peut très bien être reproduit aujourd'hui pour des raisons x, y ou z. On parle alors de catachrèse. Partons d'un exemple basique emprunté à une autre question que celle de l'égoïsme, la perception des couleurs: cette faculté a pu être sélectionnée, au point de départ, car elle permettait à l'individu de l'espèce de distinguer entre le fruit mûr et le fruit vert, donc pour des raisons d'ordre utilitaire. Mais, aujourd'hui, nous pouvons chercher à percevoir les couleurs pour des motifs n'ayant plus rien à voir avec cette raison ultime, par exemple, pour des raisons simplement esthétiques. On peut prendre un autre cas typique de catachrèse qui sera certainement plus évocateur, la sexualité à l'origine liée à l'impératif de reproduction de l'espèce qui s'est depuis attachée à une multitude d'autres motivations complètement différentes:"Les personnes interrogées citaient une quantité ahurissante de raisons, allant de "je voulais faire plaisir à mon petit ami" ou "je voulais une augmentation" à "nous n'avions rien à faire" et "je voulais savoir comment elle était au lit"..." (F. de Waal, L'âge de l'empathie, p. 67) Et la même distinction entre raison ultime et proche doit être faite quand on prétend parler de "gènes égoïstes": ici, la raison ultime tient au fait que la sélection naturelle a pu très bien favoriser au départ des comportements altruistes parce qu'ils augmentaient simplement les chances de reproduction du sujet: en aidant un proche, celui-ci, en retour, tendra à rendre la pareille et, de cette façon, l'individu bénéficiera d'un soutien augmentant ses propres chances dans la lutte pour la vie, bien mieux que s'il avait suivi la règle du Chacun pour soi. Mais rien ne dit que les raisons proches de comportements altruistes soient restées les mêmes, et on observe facilement, sous cet angle, une multitude de comportements, chez les espèces les plus variées qui soient, où l'individu n'a pas grand chose à gagner et tout à perdre à faire ce qu'il fait:"Ainsi l'homme qui bondit sur la voie ferrée pour protéger un inconnu, le chien qui s'expose à des blessures considérables en s'interposant entre un enfant et un serpent à sonnette, ou encore les dauphins qui forment un cordon de protection autour de nageurs humains dans une eau infestée de requins." (ibid., p. 69) De façon similaire, on observera maints cas dans le règne animal de catachrèse de l'instinct maternel qui fait, par exemple, qu'une tigresse, plutôt que de dévorer des petits cochons, comme il serait naturel de s'y attendre, va les adopter comme sa propre progéniture.
- Deuxièmement, si on ne tient pas compte de cette distinction fondamentale entre raison proche et ultime, en adoptant la théorie évolutionniste de la sélection naturelle comme principe d'explication systématique de l'apparition des espèces vivantes, il faudrait se résoudre à admettre que nous sommes incapables de rendre compte de l'apparition de l'espèce homo sapiens et des exigences contre nature de la morale qui lui seraient propres, par quoi, miraculeusement, elle aurait été la seule à pouvoir s'opposer à l'égoïsme génétiquement déterminé qu'on retrouverait dans l'ensemble de la gente animale. On ne pourrait rendre compte de notre propre espèce que comme d'un raté incompréhensible de la nature dans son processus évolutif. Ainsi, pour G. Williams, l'apparition de la morale dans l'espèce humaine représente une anomalie, une sorte de bourde de la vie, dans le cadre d'une évolution naturelle que tout devrait conduire dans une direction opposée:"Je considère la morale comme une aptitude accidentelle produite, dans sa bêtise sans bornes, par un processus biologique normalement opposé à l'expression d'une telle capacité." (cité par de Waal, ibid., p. 30)
-Enfin, "ces auteurs omettent d'expliquer comment nous pourrions nier nos gènes, qu'ils nous présentent par ailleurs comme tout-puissants." (ibid., p. 31)Nous sommes comme les saumons destinés à remonter à contre courant l'immense fleuve de l'évolution et à nous épuiser dans cette tâche impossible. Dans ce combat sans fin entre les impératifs de la vie civilisée et les impulsions les plus profondes de notre nature qui vont à contre courant, celles-ci pèseront toujours d’un poids beaucoup trop lourd. Si la nature humaine est fondamentalement asociale et égoïste, toutes les vertus de la sociabilité ne seront jamais rien d'autre que des masques trompeurs, superficiels et hypocrites comme l’exprimait l’un des fondateurs de l’économie politique de notre temps, Mandeville « il n’est pas possible que nous soyons des créatures sociables sans hypocrisie. » (cité par Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 339) Ou, comme le notait encore J. Starobinsky, "réduites à des apparences superficielles, la politesse, la civilité laissent, à l'intérieur, en profondeur, le champ libre à leurs contraires: la malveillance, la malfaisance, bref, la violence qui n'a en réalité jamais abdiqué." (cité par Sahlins, La découverte du vrai sauvage, p. 363) Cette théorie du vernis a fini par devenir le lieu commun de la civilisation occidentale, empoisonnant l'ensemble des rapports sociaux. Rares sont ceux qui ne souscriraient pas à cette "actuelle sagesse commune qui voit la nature humaine comme un ensemble de compulsions profondément enracinées génétiquement, avec lesquels la culture doit composer." (ibid., p. 363) Mais il n'est pas sûr que ces clichés rabâchées sans fin résistent à un examen plus sérieux d'un point de vue cette fois biologique. On ne pourrait que se résoudre, partant des postulats de cette théorie, soit à accepter l'idée d'une anomalie, d'un étrange raté de la nature qui sera sûrement destiné à être éliminé comme inapte à la survie, soit à accepter une explication de type religieux invoquant l'intervention de quelque agent surnaturel. Ces difficultés à articuler théorie de l'évolution et morale obligent à s'interroger sur les présupposés de cette théorie biologique, et, au contraire, à chercher, conformément à l'esprit de la philosophie de Mencius, un enracinement naturel à la morale humaine qui va nous conduire à complètement reconceptualiser la théorie de l'évolution des espèces ...
(1) Il faut cependant faire justice à Rousseau du fait qu'il n'a jamais prétendu à la réalité historique en décrivant la vie des êtres humains à l'état de nature. Ce concept n'avait pour lui qu'une valeur opératoire, celle de permettre de mieux éclairer l'essence du phénomène de la vie en société:"(...) les recherches, dans lesquelles nous pouvons nous engager dans cette occasion, ne doivent pas être prises pour des vérités historiques, mais simplement comme des raisonnements hypothétiques et conditionnels, plus aptes à illustrer la nature des choses, que pour montrer leur véritable origine."
( Rousseau, Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité entre les hommes) La même chose vaut d'ailleurs pour la philosophie de Hobbes.
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