mercredi 16 septembre 2020

2a) Dialectique de la civilisation urbaine sous le capitalisme moderne (suite)

 Des racines de l'avortement du mouvement d'émancipation humaine dans la civilisation urbaine
C'est vers un tel projet d'émancipation humaine ainsi entendue dans l'ensemble des conditions examinées dans la partie récédente, et avec toutes les équivoques qu'il a pu laisser subsister en lui, qu'ont tendu ce qu'avait certainement de meilleur à offrir les révolutions prolétariennes, et il faut bien faire, au bout du compte, le constat de leur échec, même s'il convient de nuancer ce diagnostic sur deux points qui sont loin d'être négligeables:

 -les luttes prolétariennes ont permis d'arracher des droits sociaux qui ne sont pas rien quand on repart de ce qu'était la condition du prolétariat au début du XIXème siècle: la réduction de la journée de travail (qu'on songe que la semaine normale de travail d'un ouvrier anglais au début du XIXème siècle tournait alors autour de 90 heures pour un salaire de misère), l'augmentation des salaires justement, les congés payés, la protection sociale touchant la retraite, les maladies, les allocations familiales, etc. Tous ceux qui en bénéficient aujourd'hui devraient être infiniment reconnaissants à l'égard de leurs aînés qui ont conquis ces droits de haute lutte et il faut bien dire qu'on a mal au coeur de les voir depuis des décennies détricotés sous l'impulsion de politiques néolibérales profitant de l'apathie des nouvelles masses d'un prolétariat atomisé.

-le second point est certainement encore plus important car il y a bien eu certaines expériences de terrain qui ont permis de réaliser des ébauches de ce socialisme tel que Marx le voyait se préfigurer à son époque et ce sont peut-être bien là des germes d'une inestimable valeur pour l'avenir, même si, sur le moment, ils ont été condamnés à être écrasés. Dans l'histoire du XXème siècle, on retiendra simplement ici l'expérience de certaines Communes libertaires qui ont été fondées en Aragon dans la Catalogne révolutionnaire des années 1936-39, car leur institution épouse fort bien les contours d'un socialisme dont Marx donnait la forme théorisée, au siècle précédent: tout commence effectivement par l'expropriation des capitalistes et à la réappropriation collective par les travailleurs des facteurs de production, les instruments de production et surtout la terre, pour les instituer comme des communs partagés entre tous. Et ce mouvement s'est explicitement placé sous la devise, De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins, au moins parmi les Communes les plus authentiquement révolutionnaires. Pour en avoir un rapide aperçu, on renvoie à ce qu'en dit une membre des Giménologues, Myrtille, dans cet interview, 80 ans après, une histoire de la Révolution espagnole (1936-1939), de 1 h 58' 20 à 2 h 08' 40. On retrouve  dans la pratique tous les éléments du contenu essentiel du socialisme tel qu'on l'a exposé sous une forme théorique. Le but fondamental de la production était de l'organiser la plus rationnellement possible suivant un concept de productivité défini ici pour permettre de satisfaire au mieux les besoins de tous tout en réduisant le temps de travail à un minimum. Il était certes obligatoire pour tous ceux en capacité de travailler, mais réduit à une moyenne de trois heures par jour, ce qui, chacun en conviendra, pouvait permettre de fonder sa vie sur d'autres bases que le pénible labeur: écouter, sur ce point précis, dans le même l'entretien, le passage à 2 h 26' 10". De surcroît ce travail était organisé, pour reprendre les termes de Marx lui-même, dans"les conditions les plus dignes, les plus conformes à (la) nature humaine". En effet, puisque le salariat avait été aboli, ce peu d'heures de travail ne reposaient plus sur une hiérarchie de commandement entre ceux qui détiennent les moyens de production et des salariés n'ayant que leur bras à louer pour vivre et devant se plier à ses ordres. L'abolition du salariat, c'est fondamentalement l'abolition de la division entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui n'ont que leur travail à céder pour vivre.
Les expériences de ce genre ont donc finalement avortées, et, dans le cas de la Révolution espagnole, pour des raisons qui tiennent d'abord à un contexte géopolitique extrêmement défavorable, mais aussi, il ne faut pas se le cacher, à certaines limites du mouvement lui-même. Pour le premier aspect des choses, les Communes libertaires d'Aragon avaient de toute façon très peu de chance de pouvoir vaincre un ennemi intérieur qui leur faisait la guerre, regroupé dans l'armée fasciste de Franco, tenant compte du fait qu'elles ne pouvaient compter sur aucun soutien des grandes puissances dans le monde: ni les républiques bourgeoises occidentales qui avaient une sainte horreur de tout projet politique libertaire (ou anarchiste, si on préfère), ni la Russie communiste de Staline qui ne voulait pas d'avantage en entendre parler; par les relais dont celle-ci disposait en Espagne dans le parti communiste du pays, elle s'est plutôt ingéniée à tout faire pour les saboter. Il y a toujours eu une solide base d'accord entre ces deux camps opposés idéologiquement par ailleurs, les républiques bourgeoises occidentales et le bloc des régimes dits "communistes" de l'autre, pour rejeter, au besoin par la répression, toute tentative de réinstitution d'une société sur la base de Communes libertaires. En revanche, les troupes fascistes de Franco ont pu, elles, compter sur le soutien sans faille des régimes politiques qui leur étaient apparentés, l'Allemagne nazie aussi bien que l'Italie de Mussolini. Dans ces conditions, le combat était d'emblée inégal.
Mais, on resterait certainement trop court si on voulait reporter entièrement la défaite finale des Communes libertaires aragonaises sur des causes extérieures, et ce serait certainement pas rendre service aux mouvements qui voudraient ou veulent aujourd'hui en reprendre le flambeau. Partons de là justement: quand on écoute cette membre du groupe des Giménologues, Myrtille, parler de l'expérience aragonaise dans le premier passage indiqué plus haut, ce qui frappe, quand on a quelque connaissance d'anthropologie économique, c'est qu'elle reste désespérément prisonnière du vocabulaire marchand de l'échange pour penser la façon dont les Communes d'Aragon se fédéraient en vue d'organiser les transferts de richesse entre elles. C'est typique de ce que K. Polanyi avait appelé "l'illusion cattalactique" qui montre bien le degré d'intériorisation de l'imaginaire marchand jusque chez ceux qui prétendent vouloir le dépasser radicalement: l'échange sert de modèle exclusif pour penser l'organisation économique de collectivités voulant se lier entre elles. On renverra ici au chapitre suivant portant sur les principes d'intégration socio-économique dans l'histoire, et déjà sa première partie, Le mythe du troc qui montre pourquoi on ne peut fonder des liens consistants à partir de la matrice des échanges, qui fait que dans toutes les sociétés non marchandes qu'a pu étudier à ce jour l'anthropologie, la forme de l'échange occupe toujours une place très marginale dans leur économie. Et, sous cet angle, les Communes d'Aragon des années 1936-1939 n'ont peut-être pas su elles-mêmes dépasser aussi radicalement qu'elles prétendaient le faire l'imaginaire du capitalisme. Il faut bien mesurer ici à quel point celui-ci a modelé jusque dans son intimité la subjectivité humaine, ce qui fait que, même quand on prétend s'y opposer, on a toutes les chances d'être encore façonné, d'une manière ou d'une autre, par la façon de penser le monde, d'organiser la société et de vivre qu'il induit: le capitalisme n'est pas un simple système économique dont on pourrait changer comme de chemise; il est, pour reprendre la fameuse expression de M. Mauss, "un fait social total" qui remodèle à sa façon, un certain type anthropologique, qui a une façon bien à lui d'être, de penser, de se comporter, de vivre en société.
Le second point touchant aux limites des expériences concrètes de collectivités libertaires paraîtra peut-être même encore plus désespérant pour quiconque aspire à un projet d'émancipation humaine. Il faut ici repartir de ce que dit Myrtille au début du premier passage mentionné plus haut: si les Communes aragonaises ont pu constituer un véritable mouvement d'émancipation humaine, c'est parce qu'elles sont parties de l'initiative spontanée des travailleurs eux-mêmes, sans une direction qui aurait prétendue leur donner un plan déjà tracé par avance pour leur dicter ce qu'ils devaient faire. C'est effectivement à cela que se reconnaît un véritable mouvement populaire d'émancipation humaine qui ne part pas sur les bases de la reproduction d'un système de commandement des uns sur les autres. Et, en même temps, c'est ce qui explique aussi une assez grande désorganisation qui ne leur a pas permis d'affronter au mieux l'ennemi fasciste qu'elles avaient à combattre, qui, lui, conformément à sa nature même, n'avait pas du tout ce genre de question d'organisation à résoudre. Voilà qui pose un redoutable problème quant à la viabilité d'une collectivité qui prétend vouloir abolir les rapports hiérarchiques  de commandement d'une classe de dirigeants sur les autres. Pour cette raison, il demande un traitement un peu approfondi.

Antinomie de la chefferie du mouvement prolétarien
Une antinomie est une contradiction frontale entre deux propositions sur une même question, dont chacune prise séparément semble parfaitement convaincante.
Repartons du texte de J. Millar qui est intriguant de ce point de vue quand il introduit à la fin cette question: il est tout à fait significatif qu'il ne parle pas des leaders qui vont émerger des classes laborieuses réunis en ville dans le vocabulaire du commandement impliquant la division entre ceux qui décident et ceux réduits à exécuter les ordres qui leur sont donnés. La nature de la chefferie ici en jeu est plutôt à penser sur le registre d'une force de mobilisation:"Les forts encouragent les faibles, les audacieux animent les timorés, les résolus affermissent les hésitants". L'image fort suggestive que donne J. Millar est celle d'une énorme machine qui se met ainsi en branle, comme si le prolétariat s'incorporait la puissance de l'appareil productif auquel il était auparavant assujetti. 
Il y a pourtant bien des leaders qui émergent de ce collectif anonyme sans lesquels il ne se mettrait pas aussi facilement en mouvement. Comment comprendre au mieux leur articulation avec le reste du collectif? La nature de cette chefferie a été traditionnellement pensée sur le registre d'une avant-garde. On entendra par là, en première approximation, cette fraction des classes laborieuses la plus combative, la plus déterminée et au clair sur le contenu précis des objectifs poursuivis et qui a constitué une telle force d'entraînement pour le reste du prolétariat, plutôt qu'un pouvoir de commandement. Donnons en une figure parmi les plus célèbres, qui fut extrêmement populaire en son temps (autour de 100 000 personnes étaient présentes lors de son enterrement à Marseille), choisie à dessein pour faire ressortir l'articulation entre la cause de l'émancipation des femmes et celle des prolétaires, Louise Michel (1830-1905):

De fait, si on reprend le devenir ultérieur du mouvement ouvrier au XIXème siècle, que ne pourra connaître J. Millar, qui décèdera en 1801, on voit qu'il refusait explicitement de se mouler dans les formes de chefferie qui ont été celles traditionnellement des systèmes de domination, comme le formulait très clairement ce qui a été longtemps l'hymne du mouvement ouvrier, L'Internationale:
"Il n’est pas de sauveurs suprêmes:
Ni Dieu, ni César, ni Tribun.

Travailleurs, sauvons-nous nous-mêmes..."
On a là, au coeur du projet dont a été porteur le mouvement ouvrier, le refus catégorique de s'en remettre à un chef, quelque soit la figure qu'il prenne, d'où qu'il vienne, pour assurer son salut, les travailleurs ne devant compter que sur leur force collective dans la lutte contre la domination et l'exploitation qu'ils subissent sous les conditions que leur impose le capitalisme moderne. C'est un noble projet d'émancipation humaine, certes, mais qui ne doit pas cacher les énormes difficultés qu'il soulève, qui n'ont jamais pu être véritablement surmontées dans la pratique comme l'histoire des révolutions modernes le montre clairement. Nous sommes en présence ici d'un redoutable sac de noeuds qu'on n'a jamais su bien défaire jusqu'à présent:"Le problème de la direction révolutionnaire se présente comme un noeud de contradictions." (C. Castoriadis, La question du mouvement ouvrier, tome 1, p. 397) Le problème peut se présenter fondamentalement sous la forme de cette antinomie: il faut une direction, et, pour une autre part, il faut supprimer la direction. Il faut une direction, car sans elle, il serait impossible de coordonner les actions et on aboutirait à une désorganisation qui conduira tout mouvement révolutionnaire du prolétariat à l'échec; sans direction, la révolution, tel un poulet sans tête, courra dans tous les sens sans savoir où aller et ce sera fatalement sa perte: c'est bien le sort qu'ont eu à subir tous les grands mouvements révolutionnaires du prolétariat au XIXème siècle; pour ne retenir que les deux plus importants par leur ampleur, celui de 1848 du Printemps des peuples qui a secoué l'Europe entière, et celui de la Commune de Paris, en 1871, ils ont à chaque fois échoué faute d'une direction coordonnant de façon rigoureuse et claire la lutte. Dans cette mesure, les forces de répression de l'appareil d'Etat, qui, elles, disposent d'une direction bien rodée à l'exercice du pouvoir par des siècles d'expérience, ont pu mater dans le sang ces révolutions prolétariennes. Encore plus tard, il y a l'exemple particulièrement dramatique pour l'histoire ultérieure de ce siècle, de la Révolution allemande de 1918-1919, qui, elle aussi, fût condamner à aller droit dans le mur en l'absence d'une véritable direction pour la conduire à son but. (1)
Il faut donc une direction. Certes, mais tout le problème réside en ceci qu'une révolution prolétarienne vise en même temps la suppression de la direction, si elle veut rester fidèle à son but fondamental qui correspond à un projet d'émancipation humaine, c'est-à-dire, justement, à l'abolition de la division de la société entre des maîtres qui dirigent et des sujets qui obéissent. Dans cette mesure, si la révolution se dote d'une direction, elle pourra avoir une chance de réussir mais en prenant le très gros risque de devoir abandonner son idéal d'émancipation humaine et de voir se former une nouvelle classe dirigeante qui aura toutes les chances de reproduire, peut-être même en pire, l'exploitation et la domination que subissent les travailleurs sous le capitalisme: historiquement, cela correspond très concrètement à l'avènement des bureaucraties dites "communistes" qui ont fini de discréditer aux yeux du plus grand nombre le projet révolutionnaire qu'avait porté le mouvement ouvrier. Dans le cadre qui a été celui de la prise de pouvoir par le parti Bolchevik en Russie en octobre 1917, la direction du parti, avec, au premier chef, Lénine, prétendait connaître seule le but et les moyens pour instaurer le socialisme.
Peut-on sortir d'une telle antinomie? Et comment? Tâchons déjà de préciser au mieux les termes du problème en commençant par distinguer deux conceptions complètement différentes suivant lesquelles on admet qu'une avant-garde puisse être dépositaire des buts que doivent se fixer les classes laborieuses. Une première, qui nous semble être la seule légitime, en ce qu'elle évite l'écueil de dégénérer dans l'autoritarisme, voir la dictature d'une nouvelle couche dirigeante, devrait aboutir à ce genre d'exclamation qu'on peut entendre couramment quand quelqu'un s'écrie face à ce qu'il entend, quelque chose comme:"Voilà, c'est ce que je voulais dire mais je ne trouvais pas les mots pour le formuler". Ici, les buts socialistes, tels qu'on en a défini les grandes linéaments plus haut, sont admis se trouver déjà contenus dans l'action des travailleurs et le rôle de l'avant-garde est seulement de les expliciter pour les faire accéder à une claire conscience d'eux-mêmes. Mais, ce n'est pas du tout suivant cette conception que l'avant-garde léniniste concevait la chose: pour elle, et Lénine lui-même était très clair là-dessus, dans son texte programmatique, Que faire?, les buts du socialisme ne sont pas déjà préformés dans la grande masse des travailleurs et il faut donc les lui apporter du dehors. Par elle-même, elle ne serait pas capable de s'élever au-delà d'un simple projet réformiste du capitalisme pour l'amender et en corriger seulement les excès trop intolérables pour elle. A ce point, la critique léniniste doit être retournée contre elle-même, car il est clair que sa prétention de constituer la dépositaire des buts ultimes du socialisme était d'autant plus illusoire que les marxistes-léninistes sont restés toujours englués eux-mêmes dans l'imaginaire capitaliste qu'ils prétendaient vouloir et savoir dépasser, ne serait-ce déjà que parce qu'ils étaient incapables de concevoir autrement que sur la base de la valeur-travail l'orientation fondamentale de la vie humaine et une juste répartition de la richesse sociale, en contradiction frontale avec l'idéal véritablement émancipé du capitalisme suivant la devise, De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins.
Repartons du texte de J. Millar pour encore mieux préciser les termes du problème. Il laissait clairement penser les chefs à la tête des insurrections comme des membres faisant partie intégrante du monde ouvrier, quelques uns parmi leurs semblables, ce qui est tout à fait conforme à l'esprit qui a animé la démocratie en repartant de ses origines grecques. Ainsi, au IVème siècle avant J.- C., un des grands leaders de la démocratie athénienne, Démosthène, pouvait se présenter comme un homme ordinaire, un "idiot", au sens positif du terme, qui ne revendiquait nulle supériorité touchant les questions politiques sur ses concitoyens:"un simple particulier, l'un d'entre vous, pris dans la multitude." (idiotès kai pollôn humôn heis. Cité par B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, p. 51) Et pourtant, en même temps, les individus de ce type ont manifestement quelque chose de plus que les autres qui les font sortir du lot. Or, au cours du XIXème siècle le problème que pose le statut des leaders s'est reposé de façon encore plus aiguë à mesure qu'une classe d'intellectuels se constituait pour théoriser les principes du socialisme. Et cela pose la question extrêmement délicate des rapports entre la théorie et la pratique, aussi bien, entre la classe des intellectuels et celle des manuels. Lénine, par exemple, était un intellectuel et il avait déterminé ce que devait être la relation entre les deux. Dans son esprit leur union était nécessaire, car, sans elle, la classe des manuels s'orienterait vers un projet réformiste de type trade-unioniste (le syndicalisme réformiste anglais) s'accommodant au fond du capitalisme, comme on l'a vu. Et les intellectuels sans les manuels deviendraient de simples bourgeois reclus dans leur tour d'ivoire, profitant des privilèges que leur accorde la société, le loisir du travail de l'intellect sur le dos de l'exploitation des classes assurant la production matérielle.
Qu'il faille une unité organique entre les deux classes pour avoir une chance de faire avancer un projet d'émancipation humaine, c'est une chose qu'on peut admettre sans difficulté. Ce sont plutôt les modalités suivant lesquelles les léninistes conçoivent cette unité qui pose un gros problème en supposant que le contenu essentiel du socialisme n'est pas déjà dans le prolétariat et qu'il reviendrait aux intellectuels de lui apporter de l'extérieur. C'était donc, avant même Staline, la position de Lénine pour qui la grande masse des prolétaires n'avaient tout simplement pas accès au but qu'il s'agissait de poursuivre dont seul était dépositaire l'avant-garde qui devait ainsi la conduire et l'organiser comme un troupeau par lui-même incapable d'une conscience révolutionnaire. L'unité  ainsi conçue entre les classes intellectuelle et manuelle est complètement artificielle et imposera nécessairement une violence à exercer pour prétendre la réaliser, celle qui se déchaînera dans des proportions colossales dans tous les régimes staliniens aussi bien que maoïstes; et, il faudrait vraiment être atteint d'une irréversible cécité mentale pour continuer à prétendre aujourd'hui que ce qui s'est réalisé concrètement dans ces pays dits "communistes" avait quoique que ce soit à voir, de près ou de loin, avec un projet d'émancipation humaine: le socialisme ainsi conçu était de toute façon mort-né.
En revenant encore une fois au texte de J. Millar, on pourrait être tenté de soupçonner qu'existait déjà des Lénine en herbe à son époque lorsqu'il parle "des chefs qui savent (...) assigner un but (à leurs compagnons)." C'est donc qu'on semble bien admettre, déjà au XVIIIème siècle, que la grande masse des travailleurs ne sait pas ce qu'elle veut et qu'il faut bien quelqu'un qui le sache pour lui apprendre vers quoi se diriger. Il est pourtant nécessaire de distinguer ces différentes qualités que J. Millar attribue aux chefs ouvriers en paraissant les mettre, sans plus de précision, dans le même sac: c'est une chose d'insuffler à ses camarades l'énergie nécessaire pour la lutte; c'en est une toute autre de prétendre leur dire ce qu'ils doivent vouloir. Dans le premier cas, on ne prétend pas les diriger et le rapport peut rester tout à fait fraternel en traitant de pair à pair; dans le second cas, on suppose qu'il faut orienter la grande masse en fonction d'un but que seul connaît une élite spécialement éclairée: on a alors du mal à voir en quel sens ils seraient encore "des compagnons" (ou des "camarades" si on reprend le terme qui s'est imposé ultérieurement); et que l'on appartienne à une fraction de la classe ouvrière elle-même ou qu'on soit issu d'un milieu intellectuel ne changera pas fondamentalement la donne.
De deux choses l'une alors. Ou bien le contenu essentiel du socialisme tel que nous en avons esquissé les grandes lignes est déjà en gestation dans les classes laborieuses elles-mêmes et le rôle de l'intellectuel pourra alors être de s'unir à elles pour en expliciter le sens quitte à devoir faire ressortir ses ambiguïtés, voir ses éventuels lignes de fracture, comme pour ce qui touche le problème délicat de la place que le travail devrait occuper dans l'existence. Marx, par exemple, l'intellectuel type issu de la bourgeoisie avait fait clairement le pari de cette option en affirmant haut et fort, de multiple manières, par exemple, en préambule de la rédaction des statuts de la Première internationale ouvrière, en 1864, "que l'émancipation des travailleurs doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes." Soit, on pense que le contenu essentiel du socialisme n'est pas déjà en fermentation dans les classes laborieuses, et alors il faudrait logiquement l'abandonner. Comme l'expérience des régimes dits "communistes" amène à le conclure raisonnablement, il vaudra beaucoup mieux pour l'intellectuel se résigner à une pure et simple abstention, quitte à devoir s'accommoder de sa vie de petit-bourgeois, qui aura quand même toutes les chances d'être beaucoup plus tranquille et éviter par la même d'occasionner certains désastres majeurs que le XXème siècle a connu.
Toutefois, pour ne reprendre que le cas de l'expérience aragonaise, on voit bien que l'alternative est à nuancer et ne se pose pas dans les termes du tout ou rien. Sur cette tranche d'histoire, on observe bien combien les classes laborieuses ne constituent pas un bloc homogène mais sont traversées elles-mêmes par des lignes de tension. Pour une part, on ne peut nier que le contenu essentiel du socialisme répondait déjà à l'aspiration profonde des travailleurs qui ont institué les Communes d'Aragon et le même constat s'imposerait tout aussi bien en examinant tous les grands mouvements révolutionnaires de ce type qu'a connu l'époque moderne. Mais, ils ont aussi toujours rencontré des résistances provenant de leur propre milieu social d'origine. Dans le cas des Communes aragonaises, elles sont venues, comme l'explique Myrtille, des paysans pauvres se refusant obstinément à communaliser leur petit lopin de terre car il leur garantissait la couverture de leurs besoins, et, pour cette raison, une existence indépendante les mettant à l'abri des affres du salariat, ce qui peut fort bien se comprendre: ils avaient la hantise, à juste titre, de se prolétariser en les cédant. En même temps, on avait beau leur expliquer qu'ils avaient tout à gagner à communaliser ce petit bout de terre qui l'aurait ainsi rendu plus productif en bénéficiant du travail de tous, les premiers germes d'un socialisme libertaire étaient manifestement très compliqués à trouver en eux. Dans des cas comme ceux-là, il ne faut pas se le cacher, le recours à la force a pu parfois s'imposer, comme le précise Myrtille. On est typiquement en présence du "paysan inculte" dont parlait Marx, qui ne perçoit pas bien où est son intérêt de classe.
Et ce n'est pas tout. il faut aussi prendre en compte le problème qu'a toujours posé cette fraction du prolétariat lui-même que Marx avait appelé "le lumpenprolétariat", qu'il définissait de la meilleure des façons comme la renaissance de la bourgeoisie dans les bas-fonds de la société. C'est donc cette fraction du prolétariat qui vit dans les mêmes conditions misérables que les autres mais qui a pourtant pleinement intégrée tout l'univers mental de la bourgeoisie capitaliste, l'appât du gain et l'égoïsme, en étant près à sacrifier les intérêts de sa classe au nom de son intérêt personnel, quitte à verser dans la criminalité jusqu'à l'endroit de ceux issus de son milieu social. Le problème qui s'est toujours posé pour le prolétariat qui voulait faire vivre un projet d'émancipation humaine a été de savoir comment neutraliser ce pouvoir de nuisance du lumpenprolétariat, et là aussi, il ne s'est trouvé souvent d'autre moyen que de recourir à l'usage de la force.
Ainsi, la partie du prolétariat dont on peut dire qu'elle serait véritablement porteuse d'une projet d'émancipation humaine s'est retrouvée coincée entre, d'une part, la classe des petits propriétaires, à l'image de ces paysans pauvres d'Aragon arc-boutés sur leur lopin de terre comme des huîtres sur leur rocher, et, d'autre part, la bourgeoisie renaissante au sein de sa propre classe prête à lui tirer dans le dos. On mesure ici toute la difficulté de la tâche qu'a dû affronter le prolétariat porteur d'un projet d'émancipation humaine, d'autant plus qu'aujourd'hui cette prise en tenaille, sous des formes renouvelées, est loin de s'être relâchée: la multiplication de la petite propriété d'un côté et le nouveau lumpenprolétariat, la "caillerra" (racaille), de l'autre, dont les porte-paroles sont incarnés par des figures médiatisées comme Joey Starr, qui a su, lui, pleinement s'assimiler les valeurs de la bourgeoisie, pour qu'elle lui ouvre les portes de ses institutions: on l'a ainsi vu, par exemple, en commercial, se faire inviter, pour vendre une application censée préparer les élèves de terminale de lycées de banlieue pour l'épreuve de philosophie du baccalauréat en se déguisant en "prof. de philo." autant que je pourrais endosser moi-même le costume de pape pour le Carnaval: faire du fric sur le dos des membres de son propre milieu d'origine, démunis financièrement, quitte à leur vendre des produits frelatés, dont on trouverait des versions de bien meilleure qualité gratuitement, c'est le comportement type du lumpenprolétaire des temps actuels, une sorte de Robin des bois à l'envers (et il se trouve bien sûr des enseignants pour se rendre complices d'une telle escroquerie: des idiots utiles qui n'ont probablement pas dû toucher la moindre commission au passage).
Tenant compte de cet état de fait qui pourrait sembler décourageant pour quiconque veut faire vivre un projet d'émancipation humaine, on voit bien qu'il n'y a pas de réponse simple à la question de déterminer si le contenu essentiel du socialisme est déjà en germination dans les classes pauvres: pour une part, certainement que oui: toute l'histoire du mouvement ouvrier l'atteste; pour une autre part de ces classes, il reste très problématique à mettre en oeuvre et certaines de leurs composantes auront plutôt tendance à y faire obstinément obstacle. C'est en tenant compte de cette complexité, que l'intellectuel devrait se déterminer. Et, pour la redoubler, il faut aussi tenir compte du fait que le milieu d'avant-garde dont il fait partie n'est lui-même pas non plus un bloc homogène.

Composition de l'avant-garde intellectuelle du prolétariat
Le concept d'une avant-garde intellectuelle est donc lui aussi loin d'être simple. Il y a ici une typologie à faire, tirée de la Revue hebdomadaire de culture socialiste fondée par Gramsci et d'autres, au lendemain de la Première guerre mondiale,  qui permettra de distinguer trois types différents qui peuvent l'incarner. Le premier se retrouve à merveille dans la figure de Lénine et son maître-mot, "Organiser": ce type renvoie donc dans le texte de J. Millar à celui qui donne ses buts aux classes laborieuses, estimées être incapables d'en avoir par elles-mêmes. Une deuxième composante qu'on peut illustrer en la personne de Rosa Luxemburg dont la devise sera d'"Expliquer": pour ceux et celles de ce genre, il fallait d'abord user de didactique auprès du prolétariat pour que mûrisse progressivement en lui la claire conscience des buts à poursuivre et des moyens pour y arriver. Cette avant-garde conçoit ainsi son activité politique comme un travail d'instruction de longue haleine avec l'idée que l'aspiration au socialisme est déjà contenue, au moins jusqu'à un certain point, dans le prolétariat, mais requiert une lente maturation avant qu'il puisse le réaliser concrètement par lui-même. On comprend donc bien que Rosa Luxemburg s'opposait explicitement à Lénine en lui objectant, qu'en vertu de son contenu essentiel, qui est l'émancipation des travailleurs, le socialisme ne peut s'instaurer par le haut mais ne peut être que "l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes", pour reprendre l'expression du Marx de la Première internationale. C'est une position qui a au moins le mérite d'une cohérence sans faille.
Enfin, la troisième composante trouve une de ses incarnations justement dans le compagnon d'infortune de Rosa Luxemburg, K. Liebknecht, dont le mot d'ordre sera d'"Agiter" qui est celui qu'a particulièrement en vue J. Millar dans son texte, quand il parle "(des) forts (qui) encouragent les faibles, (des) audacieux (qui) animent les timorés, (des) résolus (qui) affermissent les hésitants". Et effectivement, s'il y a bien une qualité qu'on ne peut dénier à K. Liebknecht et à tous ceux de cette trempe, c'est leur extraordinaire courage comme en témoigne le positionnement de Liebknecht lui-même, le 04 décembre 1914, lorsqu'il fut le seul membre du Parlement allemand à voter contre les seconds crédits de guerre à accorder au gouvernement, ce qui paraîtra d'autant plus extraordinaire en resituant cette attitude dans le contexte fanatiquement va-t'en-guerre de l'époque.
K. Liebknecht
Mais, ce que Rosa Luxemburg reprochera par ailleurs à son camarade, c'est bien sûr sa précipitation en se lançant à l'aveugle dans des entreprises révolutionnaires de grande envergure sans vouloir en passer par toutes les médiations qu'exige le travail intellectuel de formation d'une conscience révolutionnaire dans le prolétariat, jusqu'au point où il sera suffisamment au clair sur lui-même, sur son histoire, sur la nature des adversaires à affronter, ferme et précis sur ses objectifs aussi bien que sur les moyens de les atteindre.
Ainsi, les différentes composantes de l'avant-garde du prolétariat peuvent se résumer:"Lorsque Lénine était revenu en Russie en avril 1917, ses premiers mots avaient été pour donner la consigne:"Organiser, organiser et encore organiser!"Liebknecht et Rosa Luxemburg n'organisaient rien. La consigne du premier était "Agiter", et celle de la seconde, "Expliquer"." (S. Haffner, Allemagne, 1918: une Révolution trahie, p. 188) Et, au bout du compte quel  fut le bilan ? Le destin historique de ces trois personnages est assez parlant quant à l'antinomie qui nous occupe ici. Les deux derniers ont fini tragiquement leur existence sauvagement assassinés au cours de la Révolution allemande par les milices d'extrême-droite (dans le cas de la pauvre R. Luxemburg, en plus de sa grande intelligence, elle avait le triple handicap supplémentaire qui la condamnait par avance: être femme, immigrée, et juive, bref, la totale dans ce contexte social-historique).


Lénine, lui, a bien réussi à mener une révolution victorieuse mais au prix de la ruine de tout projet d'émancipation humaine, en posant les bases d'une bureaucratie tentaculaire qui asservira impitoyablement le peuple russe et bien d'autres à sa suite. Telle est la situation tragique: soit on supprime toute direction, mais la révolution est alors fatalement conduite d'échec en échec; soit, elle réussit en se dotant d'une direction ferme mais alors elle manque son but et reproduira en pire ce contre quoi elle prétendait combattre. C'est bien l'antinomie dont le mouvement prolétarien n'a jamais su trouver l'issu. Qu'on cherche à organiser, expliquer et agiter, tout à la fois, rien finalement ne semble aboutir positivement, et il est douteux, avec un siècle de recul maintenant, que la voie luxemburgienne suivant les tâches d'instruction auprès des classes laborieuses ait permis de faire sensiblement mûrir leur conscience révolutionnaire.
Cela dit, il faut bien reconnaître qu'un projet comme celui du socialisme, tel que nous en avons exposé les grandes lignes, était d'une ambition très élevée, que d'aucuns jugeront même démesurée. On aimerait pourtant adresser à ceux qui inclinent à conclure en ce sens ce vers du poète qu'il mettait dans la bouche de la prêtresse Manto:"J'aime celui qui cherche l'impossible." (Goethe, Second Faust, Acte II) Tenant compte de l'immense tâche qui s'annonce ici, à tout prendre, c'est encore la composante luxemburgienne de l'avant-garde qui nous semble être celle avec laquelle l'intellectuel qui voudrait encore épouser cette aspiration doit composer en priorité, tenant compte de la difficulté supplémentaire, qui n'est déjà pas en soi une mince affaire, qu'il se mette suffisamment au clair avec lui-même sur ce qu'il voudrait "expliquer", démarche qui suppose un va-et-vient permanent entre le travail de l'intellect et l'écoute de ce que les travailleurs eux-mêmes ont à dire. Tenant compte de la montagne de pain qu'il y a ici sur la planche, la seule voie de salut est de régler son existence sur cette leçon morale bien connue, tirée de l'oeuvre de La Fontaine:"Patience et longueur de temps/ Font plus que force ni que rage." (Fables, Livre II, XI, Le Lion et le Rat) Autrement dit, dans ce contexte, expliquer avant de chercher à agiter, à charge pour le prolétariat de s'organiser lui-même si un jour il devait pouvoir s'élever à la hauteur de cette tâche, en n'omettant pas de préciser ce point particulièrement important pour appréhender au mieux la situation actuelle: le concept de prolétariat doit être aujourd'hui considérablement élargi relativement à ce qu'il englobait au XIXème siècle; alors, il concernait la classe ouvrière; mais, désormais, la prolétarisation s'est répandue dans la plupart des secteurs d'activité, jusque dans les milieux intellectuels. Pour ne prendre que celui que j'ai eu l'occasion de côtoyer de nombreuses années, il est clair que la classe enseignante l'est massivement aujourd'hui. Une simple anecdote vaudra autant que de longs développements savants d'analyse sociologique ici: il y a quelques années, je faisais visionner à des élèves de terminale un reportage montrant des opérateurs téléphoniques dont le travail consistait à répéter toute la journée aux clients:"Avez-vous trouvé le service mauvais, moyen, bon ou excellent?", bref, le prototype du travail de service prolétarisé (qui a été depuis largement robotisé, non pour alléger la souffrance des salariés mais pour économiser le coût du travail, bien entendu). Et bien, un élève a eu la sagacité de me signaler qu'au fond je faisais le même type de travail puisque, moi aussi, je répétais tous les ans le même cours: il est clair que, massivement, les élèves, suite à la longue expérience qu'ils ont eu d'eux, perçoivent leurs professeurs comme des prolétaires, des travailleurs de l'intellect répétant mécaniquement, à longueur d'années, les mêmes tâches, et cette perception est au fond très juste dans l'ensemble, comme le confirme ma propre expérience. En outre, il faut bien voir, que la classe ouvrière, qui représentait encore plus de la moitié des travailleurs au milieu du XXème siècle, n'en constitue même plus le quart aujourd'hui, et ne pourrait plus, déjà pour cette seule raison, mettre en branle des mouvements révolutionnaires de masse; en contre-partie, c'est désormais le secteur tertiaire des services qui forme le plus gros du bataillon des prolétaires du XXème siècle: l'opérateur téléphonique, l'enseignant, le livreur du "burger de minuit", la femme de ménage, le steward, la caissière, la guichetière, etc.
Voilà qui conduit directement à ouvrir le champ de la situation actuelle pour tâcher de repérer où nous en sommes de la dialectique de la civilisation urbaine sous la forme que prend désormais le capitalisme, celle du néolibéralisme. Et ici, il y a un point essentiel de la nouvelle situation à mettre en avant: en effet, si on dit que la prolétarisation s'étend désormais à la plupart des secteurs d'activité, cela voudrait aussi dire que la dialectique qui a été à l'oeuvre au départ essentiellement dans le mouvement ouvrier, le conduisant à envisager, à partir de sa conditions misérable, la possibilité concrète d'un projet d'émancipation humaine, devrait trouver aujourd'hui une base sociale élargie, et donc menacer d'autant plus le cadre institué du capitalisme. Or, il faut bien avouer qu'on ne voit pas grand chose émerger en l'état actuel qui irait en ce sens. Comment cela peut-il s'expliquer? Les couches dirigeantes du capitalisme ne sont bien sûr pas restées les bras croisés en attendant que d'éventuelles insurrections surviennent à nouveau, d'une ampleur encore plus grande. Leur mot d'ordre à elles seraient plutôt "Anticiper" pour prévenir les risques qu'elles ne ressurgissent sur une base élargie, ce qui constitue, à n'en pas douter, leur cauchemar ultime. Leur ligne directrice, qui tient d'un remarquable numéro d'équilibriste, peut être suivie en observant comment elles ont pu au mieux gérer la contradiction entre, d'une part, l'impératif économique d'accumulation du capital, et d'autre part, l'impératif politique de garantir la tranquillité sociale de masses laborieuses toujours plus touchées par la prolétarisation (à suivre...)

 

(1) Il faut bien le souligner, car c'est une chose trop souvent oubliée: l'avènement ultérieur du nazisme avec toutes les calamités qui en sont sorties n'est pas compréhensible sans se référer à l'échec sanglant qu'a subi la Révolution allemande, car, dans ce cas précis, la répression féroce qui s'est abattue sur elle était le fruit d'une très étrange coalition entre le parti de gauche alors au pouvoir, le SPD (le principal parti socialiste en Allemagne alors) et les fractions les plus virulentes de l'extrême droite sorties de l'armée qui annonçaient déjà l'aube du nazisme. Par exemple, on trouvait parmi les forces militaires ayant orchestré "la terreur blanche" la brigade marine Ehrhardt:"depuis janvier 1920 (...) ses casques s'ornaient de la croix gammée. Elle était, sans conteste, déjà animée de l'esprit de la future Waffen-SS." (S. Haffner, Allemagne 1918: une Révolution trahie, p. 238) Que ce soit un gouvernement prétendument "socialiste" qui ait dirigé la répression avec ce type de bras armé est à mettre au compte des plus grands drames de l'histoire du XXème siècle, puisque en se discréditant de cette façon, il aura ouvert grand le champ pour une déferlante des vagues d'extrême droite dont on connait la sinistre trajectoire qu'elles suivront ultérieurement...

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