Mise à jour, 09-08-2019
7-Eviter la sur-information
Si l'on ne se sent pas le courage de suivre la règle précédente, pour acquérir la culture générale suffisante, celle-ci sera d'autant plus nécessaire. Ici aussi il faut commencer par démonter un préjugé généralisé. On croit que ce qui prédispose à la propagande, c'est le manque d'informations, ou alors, la désinformation. Un public plus informé serait moins disposé à s'en laisser compter. D'où le journalisme de masse auto érigé en gardien de la liberté de penser et de la démocratie; d'où aussi la propagande en faveur des réseaux numériques censés favoriser la libre circulation de l'information et rendre les gens plus difficilement manipulables.
Nos remarques précédentes montrant que c'est dans les milieux les plus reculés et les moins informés de l'Allemagne que la propagande nazie perdait toute son efficacité devraient déjà avoir éveillé des soupçons sur le bien-fondé de cette opinion. Avant d'en venir à la question de la désinformation, commençons donc par aborder la thèse soutenue ici que c'est encore bien d'avantage la sur-information que la sous-information qui prédispose à être propagandé. Pour reprendre une image que donnait J. Ellul, l'individu sur-informé est pris dans une sorte de lumière kaléidoscopique étourdissante qui le désoriente complètement. Le réflexe, dans ce genre de situation, est de se raccrocher à une propagande simpliste qui redonne de la cohérence à ce flux chaotique et immaîtrisable d'informations. Ou, deuxième membre de l'alternative, on sera tenté d'envoyer tout balader pour se réfugier dans le cynisme et l'agnosticisme en pensant que tout est pourri et que l'on ne peut croire en rien, ce qui est finalement l'attitude encore la plus raisonnable à adopter dans ce contexte.
A contrario, dans les anciennes cultures de l'oral, qui n'avaient aucun moyen de communication de masse, la propagande ne pouvait pas véritablement se développer. Comme l'analyse J. Ellul, l'information, dans ce genre de sociétés, présente trois grandes caractéristiques qui ne la prédisposent en rien à s'insérer dans un dispositif de propagande: elle est peu abondante donc facile à traiter; elle est généralement utilitaire (une source de gibiers, un endroit propice à la cueillette, un ennemi potentiel qui s'approche, etc.) donc on sait immédiatement quoi en faire, et enfin, elle est facile à vérifier; à notre époque, allez vous amuser à vérifier par vous-mêmes chaque information qui provient des quatre coins du monde... Dans les anciens cadres traditionnels d'une culture de l'oral, l'information reçue était donc aussi toujours dans un rapport étroit avec la vie locale de l'individu, qui, dans cette mesure, savait facilement comment la traiter pour sa vie quotidienne; aujourd'hui, tout au contraire, nous sommes envahis de toute part d'un flot d'informations sans aucune utilité immédiate pour nous, comme une élection au Brésil, un coup d'Etat dans tel pays africain, un tsunami au fin fond de l'Asie, etc à l'infini; le plus souvent, nous ne savons rigoureusement pas quoi faire de cet amoncellement d'informations, faute déjà d'avoir suivi la règle 6. On assiste alors à ce curieux phénomène d'inversion qu'Ellul avait déjà relevé: ce qui était lointain et indifférent, perdu dans des countrées inconnues, nous devient proche à mesure que la vie de notre localité s'éloigne toujours plus: la télévision et l'écran numérique prennent la place de la vie du bistrot, pour le formuler vite; à partir de là, ce qui est hors de notre portée, éloigné aux quatre coins du monde, accapare le champ de notre attention tandis que nous laissons filer la vie proche sur laquelle seule nous pourrions avoir une prise; même sur le peu qu'il reste du bistrot, on finit souvent par y reproduire l'ordre du jour des médias nationaux, parlant de ces choses lointaines sans aucun rapport évident avec notre situation locale. Comme ce qui envahit le champ de notre attention est le lointain sur quoi nous n'avons aucune prise, ces conditions sont tout à fait propices au renforcement d'un conditionnement qui relève de l'impuissance acquise, typique des sociétés du spectacle: il s'agit d'un phénomène qui a été bien étudiée en psychologie comportementale. Le sentiment qu'il exprime est celui d'un état de sidération qui réduit à la paralysie, même dans les cas où la solution serait à portée de main.(1) Cet état ô combien pénible ne va pas s'en induire des métaphysiques paranoïaques du monde, que propagent comme remèdes de perlinpinpin des charlatans de toute sorte (on est sur le chemin de la règle 8 ici...)
On peut donc ainsi lier cette règle 7 à la précédente: moins on a de culture générale à disposition et plus il est préférable de réduire le flux d'informations, puisque moins on sera capable d'en traiter de façon à les rendre intelligible et à les situer dans le cours des affaires du monde; à la limite, mieux vaut encore s'en tenir complètement à l'écart quand on n'a pas grande chose sur quoi s'appuyer pour se les assimiler. Par exemple, pour prendre une illustration déjà ancienne remontant aux années 1950, du temps de la Guerre froide, mais qu'il serait très facile d'actualiser (penser à la guerre en Syrie, par exemple),"il est évident que si j'ignore qu'il existe une guerre en Corée, si j'ignore que la Corée du Nord et la Chine sont communistes, que les U.S.A. occupent la Corée du Sud, ques les U.S.A. représentent l'O.N.U. en Corée ,- que pourrait signifier pour moi la propagande faite par par les communistes sur la guerre bactériologique menée par les U.S.A.?" (J. Ellul, Propagandes, p. 131) La réponse est clairement: rien, et c'est sans doute mieux ainsi. La propagande ne peut donc se déployer que sur un milieu de gens informés, et encore, d'autant mieux, sur-informés. En s'inspirant des analyses de J. Ellul, on peut même aller jusqu'à formuler cette loi générale: plus je suis informé et plus les propagandes pourront trouver de points d'application en moi pour s'infiltrer; c'est ce qui fait que le lecteur assidu du Monde, de Libération ou du Figaro, qui croit fermement s'informer le mieux du monde, sera en réalité beaucoup plus perméable à la propagande qu'une des mes connaissances qui n'ouvrait même jamais la télévision pour voir un JT et qui s'en contrefoutait royalement du cours des affaires du monde: un tel individu restera rigoureusement imperméable à toute propagande (politique du moins; la propagande publicitaire, ce sera autre chose...)
Vérité et propagande
De surcroît, ce sur quoi il va falloir insister, c'est que les informations qui prédisposent à la propagande n'ont pas à être forcément fausses, bien au contraire; là encore, c'est à tort qu'on reduit simplement la propagande à de la désinformation:"La propagande ultérieure sera d'autant plus efficace que l'information aura été plus vaste, et peut-on affirmer, plus objective et plus sérieuse." (ibid., p. 131) Cette affirmation d'Ellul va certainement choquer, le plus souvent. Et pourtant, c'est un préjugé partout répandu qu'il est essentiel de démonter de croire que la vérité s'opposerait purement et simplement à la propagande; celle-ci, si elle veut être efficace, fonctionnera de façon bien plus subtile. En fait, il est dans l'intérêt des propagandistes eux-mêmes de dire, le plus souvent possible, la vérité.
Pour aller tout de suite à la raison essentielle qui permet d'affirmer cela, il suffit de montrer que si on assimile simplement la propagande à un tissu de bobards, ce sera le meilleur moyen d'y succomber, puisqu'on ne se méfiera plus de celui qui dit la vérité. Il n'y a qu'à partir de ce qu'affirmait un maître en la matière, J. Goebbels, le ministre de la propagande sous Hitler, justement, pour commencer de s'en convaincre:"Nous admettons ouvertement que nous voulons influencer le peuple. C'est le bon moyen pour y parvenir." (Cité par Ellul, ibid., p. 28) Lénine, un autre virtuose de cet art, nous le confirme, lui aussi:"En propagande, la vérité est payante." (Cité par Ellul, p. 66) A cette époque, on distinguait la propagande blanche, revendiquée ouvertement, de la propagande noire, faite en secret, qui était d'autant plus efficace qu'on avait pris soin de la première: par exemple, si le public a vu que nous disions la vérité sur une foule de faits, il nous suivra aussi beaucoup plus facilement quand nous diffuserons la croyance que le Juif est l'ennemi du genre humain. Il y a donc une raison simple pour comprendre ce phénomène qui paraîtrait sinon déroutant: face à quelqu'un qui dit la vérité, notre vigilance baisse inévitablement, et nous serons alors nettement moins enclin à mettre en doute tout ce qu'il pourra dire par ailleurs. A contrario, le même Goebbels, lors de la Seconde guerre mondiale, pour disqualifier par avance tout ce que pouvaient dire les Anglais, montrait simplement aux Allemands comment ils avaient menti lors de la Première guerre mondiale; tout le reste de ce qu'ils pouvaient propager devenait dès lors douteux dans leur esprit. C'est pourquoi les Nazis avaient un ministère qui portait explicitement, au vu et au su de tous, le nom de "ministère de la propagande (et de l'éducation du peuple)"; c'est pourquoi encore Goebbels attachait toujours le plus grand soin à ce que les informations soient rendues de façon aussi exacte que possible, quitte à être désagréable: "Il a préféré être cynique et brutal, plutôt que pris en flagrant délit de mensonge."Tout le monde doit savoir ce qui en est."" (ibid., p. 66) Partant de là, on peut enfin comprendre pourquoi le titre qui lui a été décerné par les Anglo-Saxons de "Big Liar" (le Grand Menteur) est sujet à caution:"Avoir attaché à Goebbels le titre de Grand Menteur est une assez belle réussite de la propagande." (ibid., p. 66-67) Bien entendu, les Alliés eux-mêmes avaient aussi parfaitement intégré cette exigence de vérité à faire valoir si l'on veut pouvoir faire passer en sous main la propagande noire, celle qui ne peut pas dire son nom; entre autres, "les services psychologiques américains avaient pour consigne de dire la vérité, et par exemple, en application, ils distribuaient les mêmes journaux aux soldats américains et allemands." (ibid., p. 66) Du même côté de la barrière idéologique, c'est aussi E. Bernays, le pionnier des techniques modernes de publicité, dans les années 1910-1920, qui n'avait aucune gêne à intituler son texte le plus connu, Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie. A l'opposé du spectre idéologique, dans la Chine communiste de Mao, on retrouvera toujours le même genre de phénomène, etc.
C'est donc une grosse erreur qui fait le plus facilement du monde tomber dans le panneau de croire que propagande rime nécessairement avec mensonge. On peut reprendre ici une formule de G. Debord, voulant caractériser la société du spectacle, pour comprendre de quelle façon vérité et mensonge s'articulent précisément dans une propagande efficace:"Le vrai est un moment du faux". Il y a un biais cognitif classique qui explique le sens qu'on donnera ici à cette formule, celui qui consiste à ne sélectionner que les données qui vont dans le sens de qu'on veut faire croire et à ignorer les autres. Chacune a beau être tout à fait exacte, les conclusions auxquelles on parvient n'en seront pas moins erronées. Sur cette base, il est possible de démontrer tout et n'importe quoi. On se doute bien que cette leçon a été retenue ultérieurement par les propagandistes les plus éclairés. Quand rien ne s'y oppose, il vaut toujours mieux dire la vérité. Cette règle ne souffre que deux exceptions: les vérités trop incroyables ou celles qui sont franchement nuisibles; pour ces dernières, cela va de soi; par exemple, début 1945, en pleine déroute militaire, la propagande nazie faisait tout pour faire croire aux Allemands, non sans un certain succès, que la victoire était imminente: selon une enquête de Gurfein et Janowitz, cité par Ellul, 40 % des soldats allemands, en février 1945, croyaient encore pouvoir gagner la guerre, soit deux mois avant le suicide de Hitler.(2) Pour les vérités trop incroyables, si l'on veut en présenter une au public qu'il ne pourra réceptionner qu'avec grande peine, mieux vaut s'en abstenir pour ne pas éveiller sa suspicion sur tout le reste de ce qu'on aura à dire. Dans tous les cas, mieux vaut préférer le silence, autrement dit, le mensonge par omission. Si l'on doit malgré tout mentir positivement, alors il y a une condition de base à respecter, comme le formulait ce manuel de propagande américain et comme l'avait compris avant lui Goebbels:"Quand l'auditeur surprend votre mensonge, votre pouvoir diminue; - Pour cette raison, ne dites jamais un mensonge qui puisse être découvert." (Cité par Ellul, p. 66) Le cas de l'assassinat de J. F. Kennedy est un bon exemple: la version officielle présente manifestement de grosses failles et pourtant la vérité n'a jamais pu émerger pour de bon: c'est le type du "mensonge réussi".
Aujourd'hui, celui qui sait peut-être le mieux jouer de cet art de la propagande qui instrumentalise à ses fins la vérité, c'est quelqu'un comme D. Trump, ce qui peut expliquer, au moins en partie, sa réussite électorale. Une illustration particulièrement frappante est sa sortie tonitruante pour claquer la porte, en 2017, de la Cop 21, ce groupement intergouvernemental censé s'organiser pour lutter contre le réchauffement climatique, alors que toutes les données objectives que peut établir la connaissance scientifique montrent la nullité de toutes les politiques conduites en cette matière, depuis une trentaine d'années; c'est manifestement le seul qui joue franc jeu en avouant publiquement que ça ne l'intéresse pas, pendant que les autres grands chefs d'Etat continuent leurs singeries faisant croire qu'il lutteraient vraiment pour cette cause. Pour démonter cette supercherie de façon implacable, voir, J. M. Jancovici, dans cette conférence, à l'Ecole centrale de Nantes, un lieu où l'on doit quand même enseigner des choses sérieuses à nos futurs ingénieurs, de 2 h 12' 30 à 2 h 13' 45, qui nous retrace la courbe de l'évolution de la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère, depuis 1960 jusqu'à aujourd'hui, corrélée avec les différents sommets réunissant les grands pays industriels, présentés dans les médias de masse comme autant de succès dans la lutte contre le réchauffement, sauf un (on se demande bien pourquoi):
"Du bon usage" de la complexité
Ce qu'il s'agit donc de faire, pour obtenir une propagande efficace, c'est de mêler, en quelque sorte, le vrai au faux, pour les rendre indiscernables dans l'esprit du public. C'est un principe de manipulation qui a une portée très générale: introduire de la complexité, à l'insu des gens, dans ce que l'on veut propager. On le retrouve aussi bien dans les milieux financiers, où, pour écouler des titres pourris, on les compacte avec des actifs rémunérateurs pour vendre le tout dans un package qui présente un aspect rassurant: c'est une des raisons majeures qui a conduit au krach financier de 2008, les risques étant systématiquement sous-évalués de cette façon. C'est toujours le même principe que l'on retrouve dans l'industrie des produits chimiques: par exemple, on mêle le glyphosate avec d'autres substances pour rendre indiscernables les effets de chacune. On introduit, ici aussi, de la complexité, artificiellement, pour tout embrouiller. De ce point de vue, il est hautement significatif du régime renforcé de la domination dans lequel nous sommes entrés depuis déjà quelques décennies, de considérer la façon dont a pu évoluer l'évaluation de la complexité, depuis l'époque où les pouvoirs publics réglementaient de façon rigoureuse les marchés à notre époque actuelle dite "néo-libérale" où c'est à qui dérégulera le plus:"Prenez le type de complexité qu'on a vu dans les instruments financiers qui ont mené à la dernière crise financière. Pour les régulateurs d'autrefois, la complexité financière excessive était, m'a-t-on dit, l'indice d'une fraude probable. Mais pour la classe libérale, c'est le contraire: un indice de sophistication. La complexité est admirable en soi." (T. Franck, Pourquoi les riches votent à gauche, p. 53) Il faut donc rigoureusement inverser l'ordre d'évaluation de nos "libéraux" (qui sont autant libéraux que les "socialistes" actuels sont socialistes), si l'on veut disposer de l'élément d'autodéfense intellectuel salutaire ici: la complexité dans l'assemblage d'un dispositif doit mettre en garde celui qui y est confronté. Evidemment, il faut intégrer le fait que cette complexité est pleinement compatible avec la simplicité dans laquelle doit paraître le dispositif de manipulation lui-même: le glyphosate doit être facile d'utilisation; de la même façon, une propagande ouvertement complexe ou un produit financier trop compliqué à gérer feraient un bide.
On serait tenté finalement de conclure sur ce point que la plus belle réussite des propagandes de notre temps a peut-être bien été de faire croire aux gens que la propagande se réduisait au mensonge.
La sur-information et le syndrome de "Monsieur, je sais tout"
Un dernier genre d'effets délétères de la sur-information examiné ici se retrouve dans cette croyance qui consiste à se persuader qu'avec toute la quantité d'informations ingurgitée chaque jour, on sait à peu près tout ce qu'il faut savoir sur tout. En fait, dans l'écrasante majorité des cas, nous en savons juste assez pour connaître vaguement l'existence d'une foule de choses, sans, le plus souvent, disposer des éléments de culture générale (règle 6) pour les situer et les comprendre véritablement. Il ne faut pas s'étonner alors que lorsqu'on veut engager une discussion avec quelqu'un à propos d'un sujet qu'il n'a même jamais étudié de sa vie, on se voit souvent adresser rapidement une opinion ferme et définitive qui clôt le débat. Voilà donc un monde merveilleux que le nôtre dans lequel il n'est même plus nécessaire d'étudier les sujets pour se forger un avis définitif sur eux; un exemple parmi tant d'autres: j'avais essayé d'ouvrir la conversation avec quelqu'un, d'un niveau socio-culturel de classe moyenne, donc censé être plutôt avantagé au plan de la curiosité intellectuelle, sur la question du système des conseils, que nous avons hérité de notre histoire politique moderne, comme alternative démocratique au système des partis, et mon interlocuteur avait tout de suite clos la discussion en affirmant que cela ne pourrait jamais fonctionner (ce qui est factuellement faux), alors même qu'il n'en avait jamais entendu parler jusque là: dans ces conditions, tout est vérouillé pour celui qui voudrait essayer de mettre sur la table ce qu'il a dû patiemment découvrir à l'issu de longues recherches. Dans le même sens, on trouvera ces constats d'enseignants se lamentant que les élèves sont souvent fermés comme des huîtres car ils ont l'impression, parfaitement illusoire, de pouvoir tout savoir sur tout en un ou deux clics à partir de leur gadget électronique. La règle numéro 4 permet pourtant déjà de comprendre pourquoi toutes les informations obéissant à la logique de la course à l'audimat, qui circulent partout, et où ils s'abreuvent, ne peuvent que nous donner une représentation du monde sans aucun rapport avec le cours effectif que prennent les choses. Pour reprendre cette vieille légende que G. Anders racontait, la sur-information prédispose donc à subir ce genre de thérapie qu'une méchante fée avait infligé à quelqu'un qui était aveugle; pour le guérir, elle lui avait ajouté une cécité supplémentaire qui consistait à le rendre aveugle à sa propre cécité en lui envoyant constamment de nouveaux rêves. Evidemment, cette posture est une autre voie idéale d'infiltration d'une propagande, pour quelqu'un qui présume bien trop de ses ressources intellectuelles.
Deux conseils pratiques
Pour finir sur une note pratique, on peut tirer de cette règle 7 ces deux conseils élémentaires d'hygiène mentale (qui n'ont tout leur sens, faut-il le préciser, que si on est prêt à appliquer la règle 6 qui précède). D'abord, il est nécessaire de faire régulièrement des pauses et d'entreprendre un jeûne ou une diète d'informations; c'est indispensable pour digérer celles qui sont déjà données, sans quoi on sera en surdose et incapable de se les assimiler. Un esprit disposant d'une constitution suffisamment saine devrait ressentir intérieurement le moment où il finit par être en état de saturation; il éprouvera de lui-même le besoin de faire cette pause et laisser se décanter les choses, à savoir, que les informations dont on saura faire quelque chose remontent à la surface et le reste coule au fond dans l'oubli: seul le temps long peut faire son oeuvre ici. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'éviter à tout prix des réseaux numériques comme Twitter mais il faut alors prendre le plus grand soin pour sélectionner les abonnés dont on veut suivre le fil. Pour filtrer, il suffit déjà de commencer par appliquer la règle ici exposée, c'est-à-dire, limiter drastiquement leur nombre pour éviter de se retrouver face à un flot immaîtrisable d'informations; pour le reste, il resterait à appliquer les six autres règles (par exemple, la règle 2 qui recommande de diversifier ses sources d'information et donc de ne pas prendre comme abonnés que des militants communistes si on se veut communiste, que des libéraux si on se définit comme libéral, etc.).
7-Eviter la sur-information
Si l'on ne se sent pas le courage de suivre la règle précédente, pour acquérir la culture générale suffisante, celle-ci sera d'autant plus nécessaire. Ici aussi il faut commencer par démonter un préjugé généralisé. On croit que ce qui prédispose à la propagande, c'est le manque d'informations, ou alors, la désinformation. Un public plus informé serait moins disposé à s'en laisser compter. D'où le journalisme de masse auto érigé en gardien de la liberté de penser et de la démocratie; d'où aussi la propagande en faveur des réseaux numériques censés favoriser la libre circulation de l'information et rendre les gens plus difficilement manipulables.
Nos remarques précédentes montrant que c'est dans les milieux les plus reculés et les moins informés de l'Allemagne que la propagande nazie perdait toute son efficacité devraient déjà avoir éveillé des soupçons sur le bien-fondé de cette opinion. Avant d'en venir à la question de la désinformation, commençons donc par aborder la thèse soutenue ici que c'est encore bien d'avantage la sur-information que la sous-information qui prédispose à être propagandé. Pour reprendre une image que donnait J. Ellul, l'individu sur-informé est pris dans une sorte de lumière kaléidoscopique étourdissante qui le désoriente complètement. Le réflexe, dans ce genre de situation, est de se raccrocher à une propagande simpliste qui redonne de la cohérence à ce flux chaotique et immaîtrisable d'informations. Ou, deuxième membre de l'alternative, on sera tenté d'envoyer tout balader pour se réfugier dans le cynisme et l'agnosticisme en pensant que tout est pourri et que l'on ne peut croire en rien, ce qui est finalement l'attitude encore la plus raisonnable à adopter dans ce contexte.
A contrario, dans les anciennes cultures de l'oral, qui n'avaient aucun moyen de communication de masse, la propagande ne pouvait pas véritablement se développer. Comme l'analyse J. Ellul, l'information, dans ce genre de sociétés, présente trois grandes caractéristiques qui ne la prédisposent en rien à s'insérer dans un dispositif de propagande: elle est peu abondante donc facile à traiter; elle est généralement utilitaire (une source de gibiers, un endroit propice à la cueillette, un ennemi potentiel qui s'approche, etc.) donc on sait immédiatement quoi en faire, et enfin, elle est facile à vérifier; à notre époque, allez vous amuser à vérifier par vous-mêmes chaque information qui provient des quatre coins du monde... Dans les anciens cadres traditionnels d'une culture de l'oral, l'information reçue était donc aussi toujours dans un rapport étroit avec la vie locale de l'individu, qui, dans cette mesure, savait facilement comment la traiter pour sa vie quotidienne; aujourd'hui, tout au contraire, nous sommes envahis de toute part d'un flot d'informations sans aucune utilité immédiate pour nous, comme une élection au Brésil, un coup d'Etat dans tel pays africain, un tsunami au fin fond de l'Asie, etc à l'infini; le plus souvent, nous ne savons rigoureusement pas quoi faire de cet amoncellement d'informations, faute déjà d'avoir suivi la règle 6. On assiste alors à ce curieux phénomène d'inversion qu'Ellul avait déjà relevé: ce qui était lointain et indifférent, perdu dans des countrées inconnues, nous devient proche à mesure que la vie de notre localité s'éloigne toujours plus: la télévision et l'écran numérique prennent la place de la vie du bistrot, pour le formuler vite; à partir de là, ce qui est hors de notre portée, éloigné aux quatre coins du monde, accapare le champ de notre attention tandis que nous laissons filer la vie proche sur laquelle seule nous pourrions avoir une prise; même sur le peu qu'il reste du bistrot, on finit souvent par y reproduire l'ordre du jour des médias nationaux, parlant de ces choses lointaines sans aucun rapport évident avec notre situation locale. Comme ce qui envahit le champ de notre attention est le lointain sur quoi nous n'avons aucune prise, ces conditions sont tout à fait propices au renforcement d'un conditionnement qui relève de l'impuissance acquise, typique des sociétés du spectacle: il s'agit d'un phénomène qui a été bien étudiée en psychologie comportementale. Le sentiment qu'il exprime est celui d'un état de sidération qui réduit à la paralysie, même dans les cas où la solution serait à portée de main.(1) Cet état ô combien pénible ne va pas s'en induire des métaphysiques paranoïaques du monde, que propagent comme remèdes de perlinpinpin des charlatans de toute sorte (on est sur le chemin de la règle 8 ici...)
On peut donc ainsi lier cette règle 7 à la précédente: moins on a de culture générale à disposition et plus il est préférable de réduire le flux d'informations, puisque moins on sera capable d'en traiter de façon à les rendre intelligible et à les situer dans le cours des affaires du monde; à la limite, mieux vaut encore s'en tenir complètement à l'écart quand on n'a pas grande chose sur quoi s'appuyer pour se les assimiler. Par exemple, pour prendre une illustration déjà ancienne remontant aux années 1950, du temps de la Guerre froide, mais qu'il serait très facile d'actualiser (penser à la guerre en Syrie, par exemple),"il est évident que si j'ignore qu'il existe une guerre en Corée, si j'ignore que la Corée du Nord et la Chine sont communistes, que les U.S.A. occupent la Corée du Sud, ques les U.S.A. représentent l'O.N.U. en Corée ,- que pourrait signifier pour moi la propagande faite par par les communistes sur la guerre bactériologique menée par les U.S.A.?" (J. Ellul, Propagandes, p. 131) La réponse est clairement: rien, et c'est sans doute mieux ainsi. La propagande ne peut donc se déployer que sur un milieu de gens informés, et encore, d'autant mieux, sur-informés. En s'inspirant des analyses de J. Ellul, on peut même aller jusqu'à formuler cette loi générale: plus je suis informé et plus les propagandes pourront trouver de points d'application en moi pour s'infiltrer; c'est ce qui fait que le lecteur assidu du Monde, de Libération ou du Figaro, qui croit fermement s'informer le mieux du monde, sera en réalité beaucoup plus perméable à la propagande qu'une des mes connaissances qui n'ouvrait même jamais la télévision pour voir un JT et qui s'en contrefoutait royalement du cours des affaires du monde: un tel individu restera rigoureusement imperméable à toute propagande (politique du moins; la propagande publicitaire, ce sera autre chose...)
Vérité et propagande
De surcroît, ce sur quoi il va falloir insister, c'est que les informations qui prédisposent à la propagande n'ont pas à être forcément fausses, bien au contraire; là encore, c'est à tort qu'on reduit simplement la propagande à de la désinformation:"La propagande ultérieure sera d'autant plus efficace que l'information aura été plus vaste, et peut-on affirmer, plus objective et plus sérieuse." (ibid., p. 131) Cette affirmation d'Ellul va certainement choquer, le plus souvent. Et pourtant, c'est un préjugé partout répandu qu'il est essentiel de démonter de croire que la vérité s'opposerait purement et simplement à la propagande; celle-ci, si elle veut être efficace, fonctionnera de façon bien plus subtile. En fait, il est dans l'intérêt des propagandistes eux-mêmes de dire, le plus souvent possible, la vérité.
Pour aller tout de suite à la raison essentielle qui permet d'affirmer cela, il suffit de montrer que si on assimile simplement la propagande à un tissu de bobards, ce sera le meilleur moyen d'y succomber, puisqu'on ne se méfiera plus de celui qui dit la vérité. Il n'y a qu'à partir de ce qu'affirmait un maître en la matière, J. Goebbels, le ministre de la propagande sous Hitler, justement, pour commencer de s'en convaincre:"Nous admettons ouvertement que nous voulons influencer le peuple. C'est le bon moyen pour y parvenir." (Cité par Ellul, ibid., p. 28) Lénine, un autre virtuose de cet art, nous le confirme, lui aussi:"En propagande, la vérité est payante." (Cité par Ellul, p. 66) A cette époque, on distinguait la propagande blanche, revendiquée ouvertement, de la propagande noire, faite en secret, qui était d'autant plus efficace qu'on avait pris soin de la première: par exemple, si le public a vu que nous disions la vérité sur une foule de faits, il nous suivra aussi beaucoup plus facilement quand nous diffuserons la croyance que le Juif est l'ennemi du genre humain. Il y a donc une raison simple pour comprendre ce phénomène qui paraîtrait sinon déroutant: face à quelqu'un qui dit la vérité, notre vigilance baisse inévitablement, et nous serons alors nettement moins enclin à mettre en doute tout ce qu'il pourra dire par ailleurs. A contrario, le même Goebbels, lors de la Seconde guerre mondiale, pour disqualifier par avance tout ce que pouvaient dire les Anglais, montrait simplement aux Allemands comment ils avaient menti lors de la Première guerre mondiale; tout le reste de ce qu'ils pouvaient propager devenait dès lors douteux dans leur esprit. C'est pourquoi les Nazis avaient un ministère qui portait explicitement, au vu et au su de tous, le nom de "ministère de la propagande (et de l'éducation du peuple)"; c'est pourquoi encore Goebbels attachait toujours le plus grand soin à ce que les informations soient rendues de façon aussi exacte que possible, quitte à être désagréable: "Il a préféré être cynique et brutal, plutôt que pris en flagrant délit de mensonge."Tout le monde doit savoir ce qui en est."" (ibid., p. 66) Partant de là, on peut enfin comprendre pourquoi le titre qui lui a été décerné par les Anglo-Saxons de "Big Liar" (le Grand Menteur) est sujet à caution:"Avoir attaché à Goebbels le titre de Grand Menteur est une assez belle réussite de la propagande." (ibid., p. 66-67) Bien entendu, les Alliés eux-mêmes avaient aussi parfaitement intégré cette exigence de vérité à faire valoir si l'on veut pouvoir faire passer en sous main la propagande noire, celle qui ne peut pas dire son nom; entre autres, "les services psychologiques américains avaient pour consigne de dire la vérité, et par exemple, en application, ils distribuaient les mêmes journaux aux soldats américains et allemands." (ibid., p. 66) Du même côté de la barrière idéologique, c'est aussi E. Bernays, le pionnier des techniques modernes de publicité, dans les années 1910-1920, qui n'avait aucune gêne à intituler son texte le plus connu, Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie. A l'opposé du spectre idéologique, dans la Chine communiste de Mao, on retrouvera toujours le même genre de phénomène, etc.
C'est donc une grosse erreur qui fait le plus facilement du monde tomber dans le panneau de croire que propagande rime nécessairement avec mensonge. On peut reprendre ici une formule de G. Debord, voulant caractériser la société du spectacle, pour comprendre de quelle façon vérité et mensonge s'articulent précisément dans une propagande efficace:"Le vrai est un moment du faux". Il y a un biais cognitif classique qui explique le sens qu'on donnera ici à cette formule, celui qui consiste à ne sélectionner que les données qui vont dans le sens de qu'on veut faire croire et à ignorer les autres. Chacune a beau être tout à fait exacte, les conclusions auxquelles on parvient n'en seront pas moins erronées. Sur cette base, il est possible de démontrer tout et n'importe quoi. On se doute bien que cette leçon a été retenue ultérieurement par les propagandistes les plus éclairés. Quand rien ne s'y oppose, il vaut toujours mieux dire la vérité. Cette règle ne souffre que deux exceptions: les vérités trop incroyables ou celles qui sont franchement nuisibles; pour ces dernières, cela va de soi; par exemple, début 1945, en pleine déroute militaire, la propagande nazie faisait tout pour faire croire aux Allemands, non sans un certain succès, que la victoire était imminente: selon une enquête de Gurfein et Janowitz, cité par Ellul, 40 % des soldats allemands, en février 1945, croyaient encore pouvoir gagner la guerre, soit deux mois avant le suicide de Hitler.(2) Pour les vérités trop incroyables, si l'on veut en présenter une au public qu'il ne pourra réceptionner qu'avec grande peine, mieux vaut s'en abstenir pour ne pas éveiller sa suspicion sur tout le reste de ce qu'on aura à dire. Dans tous les cas, mieux vaut préférer le silence, autrement dit, le mensonge par omission. Si l'on doit malgré tout mentir positivement, alors il y a une condition de base à respecter, comme le formulait ce manuel de propagande américain et comme l'avait compris avant lui Goebbels:"Quand l'auditeur surprend votre mensonge, votre pouvoir diminue; - Pour cette raison, ne dites jamais un mensonge qui puisse être découvert." (Cité par Ellul, p. 66) Le cas de l'assassinat de J. F. Kennedy est un bon exemple: la version officielle présente manifestement de grosses failles et pourtant la vérité n'a jamais pu émerger pour de bon: c'est le type du "mensonge réussi".
Aujourd'hui, celui qui sait peut-être le mieux jouer de cet art de la propagande qui instrumentalise à ses fins la vérité, c'est quelqu'un comme D. Trump, ce qui peut expliquer, au moins en partie, sa réussite électorale. Une illustration particulièrement frappante est sa sortie tonitruante pour claquer la porte, en 2017, de la Cop 21, ce groupement intergouvernemental censé s'organiser pour lutter contre le réchauffement climatique, alors que toutes les données objectives que peut établir la connaissance scientifique montrent la nullité de toutes les politiques conduites en cette matière, depuis une trentaine d'années; c'est manifestement le seul qui joue franc jeu en avouant publiquement que ça ne l'intéresse pas, pendant que les autres grands chefs d'Etat continuent leurs singeries faisant croire qu'il lutteraient vraiment pour cette cause. Pour démonter cette supercherie de façon implacable, voir, J. M. Jancovici, dans cette conférence, à l'Ecole centrale de Nantes, un lieu où l'on doit quand même enseigner des choses sérieuses à nos futurs ingénieurs, de 2 h 12' 30 à 2 h 13' 45, qui nous retrace la courbe de l'évolution de la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère, depuis 1960 jusqu'à aujourd'hui, corrélée avec les différents sommets réunissant les grands pays industriels, présentés dans les médias de masse comme autant de succès dans la lutte contre le réchauffement, sauf un (on se demande bien pourquoi):
"Du bon usage" de la complexité
Ce qu'il s'agit donc de faire, pour obtenir une propagande efficace, c'est de mêler, en quelque sorte, le vrai au faux, pour les rendre indiscernables dans l'esprit du public. C'est un principe de manipulation qui a une portée très générale: introduire de la complexité, à l'insu des gens, dans ce que l'on veut propager. On le retrouve aussi bien dans les milieux financiers, où, pour écouler des titres pourris, on les compacte avec des actifs rémunérateurs pour vendre le tout dans un package qui présente un aspect rassurant: c'est une des raisons majeures qui a conduit au krach financier de 2008, les risques étant systématiquement sous-évalués de cette façon. C'est toujours le même principe que l'on retrouve dans l'industrie des produits chimiques: par exemple, on mêle le glyphosate avec d'autres substances pour rendre indiscernables les effets de chacune. On introduit, ici aussi, de la complexité, artificiellement, pour tout embrouiller. De ce point de vue, il est hautement significatif du régime renforcé de la domination dans lequel nous sommes entrés depuis déjà quelques décennies, de considérer la façon dont a pu évoluer l'évaluation de la complexité, depuis l'époque où les pouvoirs publics réglementaient de façon rigoureuse les marchés à notre époque actuelle dite "néo-libérale" où c'est à qui dérégulera le plus:"Prenez le type de complexité qu'on a vu dans les instruments financiers qui ont mené à la dernière crise financière. Pour les régulateurs d'autrefois, la complexité financière excessive était, m'a-t-on dit, l'indice d'une fraude probable. Mais pour la classe libérale, c'est le contraire: un indice de sophistication. La complexité est admirable en soi." (T. Franck, Pourquoi les riches votent à gauche, p. 53) Il faut donc rigoureusement inverser l'ordre d'évaluation de nos "libéraux" (qui sont autant libéraux que les "socialistes" actuels sont socialistes), si l'on veut disposer de l'élément d'autodéfense intellectuel salutaire ici: la complexité dans l'assemblage d'un dispositif doit mettre en garde celui qui y est confronté. Evidemment, il faut intégrer le fait que cette complexité est pleinement compatible avec la simplicité dans laquelle doit paraître le dispositif de manipulation lui-même: le glyphosate doit être facile d'utilisation; de la même façon, une propagande ouvertement complexe ou un produit financier trop compliqué à gérer feraient un bide.
On serait tenté finalement de conclure sur ce point que la plus belle réussite des propagandes de notre temps a peut-être bien été de faire croire aux gens que la propagande se réduisait au mensonge.
La sur-information et le syndrome de "Monsieur, je sais tout"
Un dernier genre d'effets délétères de la sur-information examiné ici se retrouve dans cette croyance qui consiste à se persuader qu'avec toute la quantité d'informations ingurgitée chaque jour, on sait à peu près tout ce qu'il faut savoir sur tout. En fait, dans l'écrasante majorité des cas, nous en savons juste assez pour connaître vaguement l'existence d'une foule de choses, sans, le plus souvent, disposer des éléments de culture générale (règle 6) pour les situer et les comprendre véritablement. Il ne faut pas s'étonner alors que lorsqu'on veut engager une discussion avec quelqu'un à propos d'un sujet qu'il n'a même jamais étudié de sa vie, on se voit souvent adresser rapidement une opinion ferme et définitive qui clôt le débat. Voilà donc un monde merveilleux que le nôtre dans lequel il n'est même plus nécessaire d'étudier les sujets pour se forger un avis définitif sur eux; un exemple parmi tant d'autres: j'avais essayé d'ouvrir la conversation avec quelqu'un, d'un niveau socio-culturel de classe moyenne, donc censé être plutôt avantagé au plan de la curiosité intellectuelle, sur la question du système des conseils, que nous avons hérité de notre histoire politique moderne, comme alternative démocratique au système des partis, et mon interlocuteur avait tout de suite clos la discussion en affirmant que cela ne pourrait jamais fonctionner (ce qui est factuellement faux), alors même qu'il n'en avait jamais entendu parler jusque là: dans ces conditions, tout est vérouillé pour celui qui voudrait essayer de mettre sur la table ce qu'il a dû patiemment découvrir à l'issu de longues recherches. Dans le même sens, on trouvera ces constats d'enseignants se lamentant que les élèves sont souvent fermés comme des huîtres car ils ont l'impression, parfaitement illusoire, de pouvoir tout savoir sur tout en un ou deux clics à partir de leur gadget électronique. La règle numéro 4 permet pourtant déjà de comprendre pourquoi toutes les informations obéissant à la logique de la course à l'audimat, qui circulent partout, et où ils s'abreuvent, ne peuvent que nous donner une représentation du monde sans aucun rapport avec le cours effectif que prennent les choses. Pour reprendre cette vieille légende que G. Anders racontait, la sur-information prédispose donc à subir ce genre de thérapie qu'une méchante fée avait infligé à quelqu'un qui était aveugle; pour le guérir, elle lui avait ajouté une cécité supplémentaire qui consistait à le rendre aveugle à sa propre cécité en lui envoyant constamment de nouveaux rêves. Evidemment, cette posture est une autre voie idéale d'infiltration d'une propagande, pour quelqu'un qui présume bien trop de ses ressources intellectuelles.
Deux conseils pratiques
Pour finir sur une note pratique, on peut tirer de cette règle 7 ces deux conseils élémentaires d'hygiène mentale (qui n'ont tout leur sens, faut-il le préciser, que si on est prêt à appliquer la règle 6 qui précède). D'abord, il est nécessaire de faire régulièrement des pauses et d'entreprendre un jeûne ou une diète d'informations; c'est indispensable pour digérer celles qui sont déjà données, sans quoi on sera en surdose et incapable de se les assimiler. Un esprit disposant d'une constitution suffisamment saine devrait ressentir intérieurement le moment où il finit par être en état de saturation; il éprouvera de lui-même le besoin de faire cette pause et laisser se décanter les choses, à savoir, que les informations dont on saura faire quelque chose remontent à la surface et le reste coule au fond dans l'oubli: seul le temps long peut faire son oeuvre ici. Par ailleurs, il n'est pas nécessaire d'éviter à tout prix des réseaux numériques comme Twitter mais il faut alors prendre le plus grand soin pour sélectionner les abonnés dont on veut suivre le fil. Pour filtrer, il suffit déjà de commencer par appliquer la règle ici exposée, c'est-à-dire, limiter drastiquement leur nombre pour éviter de se retrouver face à un flot immaîtrisable d'informations; pour le reste, il resterait à appliquer les six autres règles (par exemple, la règle 2 qui recommande de diversifier ses sources d'information et donc de ne pas prendre comme abonnés que des militants communistes si on se veut communiste, que des libéraux si on se définit comme libéral, etc.).
(1) C'est dans le domaine des agressions sexuelles et l'exposition à des situations de guerre où l'on a fait le mieux ressortir cet état de sidération et décrit les mécanismes neuro-physiologiques qui le sous-tendent, bien expliqués aujourd'hui; en cas de viol, par exemple, la victime se retrouve paralysée sans pouvoir esquisser le moindre geste de défense; le pire dans tout cela, c'est qu'on invoque souvent cette non-résistance pour accuser la victime d'avoir été consentante: on peut imaginer les conséquences désastreuses qui en découlent tant d'un point de vue pénal que psychologique pour elle. Pour un rapide aperçu de l'impuissance acquise, on peut se reporter à la partie 3c du traitement de ce sujet, (2) Le cas de Z. Brzezinski dont on a déjà parlé au sujet de la règle 5 est significatif de ce point de vue et oblige à relativiser cette règle qu'il faut taire les vérités "nuisibles". Ici, en particulier, il semblerait évident de ne pas parler ouvertement de la nécessité d'abrutir les populations pour qu'elles se tiennent tranquilles, comme le professe notre illustre représentant de l'intelligensia américaine. Pourtant, quand on lui demandait s'il ne craignait pas la réaction de la population quand il l'écrivait noir sur blanc, en développant son concept de tittytainment, il répondait, avec le plus parfait cynisme, qu'il n'y avait rien à craindre de proclamer ainsi publiquement la vérité car, de toute façon, les gens ne lisent pas. On aimerait ajouter que les rares qui le font n'en retiennent souvent pas grand chose. Et encore, notre conseiller de haut rang en parlait-il avant l'avènement des réseaux numériques qui ont sans doute aggravé le phénomène. Plusieurs études ont abouti au même résultat que la grande majorité des gens (70 % sur Facebook), se contentent de lire les titres des articles qu'ils partagent (Les gens lisent seulement les titres puis commentent sur les réseaux) On aboutit ainsi à ce genre d'anecdotes dont on ne sait s'il faut en rire ou en pleurer, quand on a voulu tendre un piège aux utilisateurs de Facebook, en diffusant un lien vers un article scientifique, qui était en réalité un fake, ayant pour simple contenu les deux mots latins "lorem ipsum", qu'il avait pourtant été partagé 46 000 fois! On ne sait donc même pas ce qu'on partage, le plus souvent! Au point où nous en sommes rendus, il n'est donc même plus si évident qu'une vérité qu'on estimerait raisonnablement "nuisible" doit être forcément tue.. L'ignorance a de beaux jours devant elle, peut-on en conclure, et d'autant plus que les gens seront plus inondés d'informations, faut-il le repréciser. et pour le concept de sidération qui lui est lié, visionner ce bref documentaire qui l'explique assez bien au niveau neurophysiologique: |
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