jeudi 30 janvier 2014

1c) Les racines historiques de l'institution des camps de concentration totalitaires

Dernière mise à jour, le 29-03-2018

Ce processus historique de constitution d'un marché économique pour la terre et le travail censé se régler de lui-même par la loi de l'offre et la demande, doit donc produire conjointement une masse d'individus devenus superflus. Comme le dit Marx, "la création du prolétariat sans feu ni lieu [...] allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes." (Le capital, Livre 1, p. 740) La gestion politique de ces masses d’humains devenus superflus met en jeu une réflexion, sur la signification de l’invention propre au XXème siècle que constituent les camps de concentration et d’extermination totalitaires.(1)

Comme le donne à penser le penseur américain C. Lasch, et d'autres avec lui, l’invention totalitaire de ces institutions de l’horreur absolue, si elle a bien été une singularité du XXème siècle,  n’a pas été pour autant une création surgie de nulle part. Elle possède bien des racines historiques qui plongent aux origines de l’histoire du monde moderne. Partant du génocide orchestré par les Khmers rouges, en 1975, au Kumpechea, « Richard L. Rubinstein [en vint] à conclure que les bouleversements associés à l’industrialisme - à commencer par l’enclosure, en Angleterre, au début de la modernité- ont créé des populations superflues, et que l’extermination systématique représente l’apogée d’un long processus de déplacement, de déportation, de harcèlement et de persécution de la population. » (Lasch, Le moi assiégé, p. 101) Les Khmers avaient un slogan qui exprimait parfaitement la quintessence de ce à quoi aboutit le phénomène de la superfluité humaine, sous sa forme la la plus extrême, quand on vient à l'objectif de liquider physiquement la masse des superflus:"Si à te garder on ne gagne rien, à t'éliminer on ne perd rien." (Cité par F. de Waal, Le bono, Dieu et nous, p. 290) Il faut donc ici remonter aux origines de cet effroyable phénomène qui a culminé dans les expériences totalitaires du XXème siècle. La monstruosité de l’industrialisation à marche forcée de la Russie sous Staline, à partir de la fin des années 1920, venait justement du fait qu’il s’agissait de faire passer en deux décennies à peine la Russie de son âge féodal  au capitalisme industriel  du XXème siècle, processus qui s’était étalé sur plusieurs siècles en Europe de l’Ouest: "Pour Staline, « rattraper l’Occident », impliquait de copier les méthodes d’ "accumulation primitive" employés ailleurs. La révolution industrielle anglaise avait été fondée sur l’éviction des paysans  des terres communes au moyen des enclosures; Staline brisa le contrôle de la terre par les paysans au moyen d’une « collectivisation » qui obligea des millions de personnes à émigrer vers les villes." (C. Harman, Une histoire populaire de l’humanité, p. 519)
Le goulag, l'institution du camp totalitaire, est finalement la version follement concentrée dans le temps, à l'échelle d'un pays immense comme la Russie, de quelque chose qui a des affinités troublantes avec la Workhouse anglaise qui voit le jour au XVIème siècle. La workhouse ou l’hôpital général en France étaient des  maisons de travail forcé qui conjuraient et domestiquaient la menace que constituaient ces "paumés de la terre" , comme les appelait le sociologue français R. Castel, une population errante, clochardisée, livrée, pour survivre, au vagabondage, à la mendicité et à la criminalité. C'est à partir de là que doit se développer un Etat social, l'Etat-providence, qui prend en charge l'externalisation des coûts sociaux que génère ce processus de commercialisation de la terre. Dans un premier temps, au XVème siècle, l’Etat anglais, conscient de la catastrophe sociale que préparaient les enclosures, prit toutes sortes de mesures pour en contrarier le processus. Marx note avec son ironie mordante et coutumière: "Ce bouleversement fit peur à la législature. Elle n’avait pas encore atteint ce haut degré de civilisation où la richesse nationale, c’est-à-dire l’enrichissement des capitalistes, l’appauvrissement et l’exploitation effrontée de la masse du peuple, passe pour le summum de la sagesse d’Etat." (Le capital, Livre I, p. 722)  Mais, dès le cours du siècle suivant, la législation prit une autre direction, celle de ce « haut degré de civilisation » qui l’amena à prendre des mesures radicales pour conjurer la menace que faisait peser cette masse grandissante  d’êtres déracinés et déculturés. Marx cite ainsi toute une série de mesures pour domestiquer  ces êtres clochardisés, avec l‘anéantissement brutal de ce qui les liait à leurs conditions naturelles d‘existence. Sous Henri VIII,  en1530, « les vagabonds robustes sont condamnés au fouet et à l’emprisonnement. Attachés derrière une charrette, ils doivent subir la fustigation jusqu’à ce que le sang ruisselle de leur corps […] Le Parlement aggrava les peines par des clauses additionnelles. En cas de première récidive, le vagabond doit être fouetté à nouveau et avoir la moitié de l’oreille coupée; à la deuxième récidive, il devra être traité en félon et exécuté comme ennemi de l’Etat […] de ces malheureux fugitifs, dont Thomas More dit qu’on les força à vagabonder et à voler, « 72 000 furent exécutés. » » (Marx, ibid., pp. 740-741)  Sous Edouard VI en 1547, on « ordonne que tout individu réfractaire au travail sera adjugé comme esclave à la personne qui l’aura dénoncé comme truand. Le maître doit nourrir cet esclave au pain et à l‘eau […] Il a le droit de l‘astreindre aux besognes les plus dégoûtantes à l‘aide du fouet et de la chaîne. Si l‘esclave s‘absente une quinzaine de jours, il est condamné à l‘esclavage à perpétuité et sera marqué au fer rouge de la lettre S (slave).» (ibid., p. 741) Sous Elisabeth, en 1572, « les mendiants sans permis et âgés de plus de 14 ans devront être sévèrement fouettés et marqués au fer rouge à l’oreille gauche… » (ibid., p. 742) On a bien là un universel concret, quelque chose qui a dû se passer partout où le capitalisme moderne a commencé à se développer, avec des spécificités particulières tenant à chaque endroit particulier où le processus s'est mis en branle. En France, c’est le même genre de mesure de domestication de ces êtres devenus superflus que l’Etat a dû prendre en charge: « Jusqu’au commencement du règne de Louis XVI (ordonnance du 13 juillet 1777), tout homme sain et bien constitué, âgé de de 16 à 60 ans, et trouvé sans moyen d’existence et sans profession, devra être envoyé aux galères. »  (ibid., p. 743)
Les workhouses anglaises comme les hôpitaux généraux français laissent donc entrevoir une inquiétante filiation avec les  camps de concentration totalitaires du XXème siècle par le qualificatif de « prisons sans crime » qu‘on leur donnait à l‘époque (Polanyi, La grande transformation, p. 176).  En effet, dans la logique d‘un système totalitaire, nul besoin d‘avoir commis un acte répréhensible interdit par la loi pour être interné dans un camp. On l‘est du fait même d‘appartenir à certaines catégories de la population que l'Etat totalitaire a défini comme "ennemis objectifs".  C'est de cette façon, qu'il parvient à détruire la personne juridique, en plaçant l'individu hors de la procédure pénale normale qui veut qu'un crime entraîne une sanction.
L'individu superflu, tel est le statut social  qui naît à partir du moment où les institutions de la société ont privé le pauvre du libre accès aux terres communales. Cela a donc été la tendance lourde du capitalisme moderne, depuis ses origines, d'engendrer des masses toujours plus importantes d'humains superflus. Il faut bien voir que ce processus, avec l'extension mondiale du marché, est devenu aujourd'hui planétaire et pose le problème avec une ampleur inégalée jusque là.
A la fin de son monumental travail sur Les origines du totalitarisme, la philosophe Hannah Arendt aboutissait ainsi à cette ligne d’analyse, conduisant à mettre en garde contre la tentation à venir d’une réinstitution des camps de concentration, comme seule solution politique envisageable à la gestion de masses industrielles de surnuméraires: "Aussi difficile soit-il de concevoir un mal absolu, alors même que nous sommes confrontés à son existence de fait, celui-ci semble étroitement lié à l’invention d’un système dans lequel tous les hommes sont également superflus […] Le danger des fabriques de cadavres (camps d'extermination) et des oubliettes (camps de concentration) consiste en ceci: aujourd’hui, avec l’accroissement démographique généralisé, avec le nombre toujours plus élevé d’hommes apatrides (individu ne bénéficiant de la protection d'aucun Etat), des masses de gens sont continuellement réduites à devenir superflues, si nous continuons à penser notre monde en termes utilitaires (souligné par moi). Partout, les événements politiques, sociaux et économiques conspirent en silence avec les instruments totalitaires élaborés pour rendre les êtres humains superflus. Les nazis et les Bolcheviks peuvent en être sûrs: leurs usines d’anéantissement qui proposent la solution la plus rapide au problème de la surpopulation et des masses économiquement superflues et socialement déracinées séduisent tout autant qu’elles mettent en garde. Les solutions totalitaires peuvent très bien survivre à la chute des régimes totalitaires sous la forme de tentations fortes qui surgiront chaque fois qu’il semblera impossible de soulager la misère politique, sociale ou économique d’une manière qui soit digne de l’homme." (H. Arendt, Les origines du totalitarisme, pp. 865-866) Le petit bijou que constitue le court métrage, L’île aux fleurs ,de J. Fortado permet de visualiser une forme odieuse, parmi d'autres, de superfluité humaine dans le monde actuel,  à  Porto Alegre, au Brésil, pays ayant la particularité d‘être parmi les plus inégalitaires du monde pour ce qui est de la répartition de la richesse foncière (la terre) privant des masses considérables de pobliacon-chatarra, (population-poubelle) de tout accès à la terre et réduites à l‘état de déchets humains (voir le M.S.T, le Mouvement des sans-terre, qui se développe actuellement là-bas  pour lutter contre cette déchéance).


L’analyse que faisait le philosophe américain Goodman est dans le droit prolongement de celles d'Arendt:" Notre économie d’abondance et de surplus implique aussi un « surplus d’hommes »; notre société de gaspillage et de déchet s’accompagne aussi d’un gaspillage et d’un déchet humains."  ( B. Vincent, Paul Goodman et la reconquête du présent) Une chose qui frappe, dans ce processus monstrueux de l'île aux fleurs, c’est son  caractère anonyme. A tous les maillons de la chaîne, conduisant la tomate du producteur  à sa livraison dans la décharge publique, personne n’est animée d’intentions malveillantes; chacun ne fait que poursuivre son intérêt bien compris conformément aux lois du marché. Ce sont ces mécanismes anonymes et impersonnels dont personne n’est responsable  qui produisent, en fin de compte la catastrophe sociale. C’est cela la superfluité humaine que produit  le système industriel du capitalisme moderne, une masse de plus en plus importante de gens dont c’est le fait d’exister qui les fait hors la loi. Ce qu'analysait Goodman, dans les années 1960 pour les Etats Unis, peut donc être étendu aujourd'hui à l'ensemble des pays de la planète soumis à la loi du marché économique mondialisé: "Telle a été la tendance continue en Amérique, où les vieux sont éliminés à un âge plus précoce et les jeunes écartés jusqu‘à un âge plus tardif; où il n‘y a pas de place pour les pauvres […] et où un nombre grandissant d‘individus sont déclarés atteints de folie ou d‘autres formes d‘incapacité.[…] Nous ne cherchons pas à tirer une plus value des Vietnamiens pas plus que nous ne cherchons à tirer une plus-value de la peau des Noirs. Ce qui leur est demandé aux uns comme aux autres, ce n’est point d’apporter une plus-value que le machinisme moderne est désormais bien plus apte à fournir, mais bel et bien de ne plus exister[…] la politique intérieure relative aux noirs n’est pas dicté par le racisme; les américains n’auraient rien contre les Noirs, si seulement ceux-ci acceptaient de se transporter au milieu de l’océan et de s’y noyer. Cela serait plus économique et efficace pour tout le monde." ( B. Vincent, Paul Goodman et la reconquête du présent) Il y a, en outre, un facteur aggravant le processus de production d’humains superflus, jetant des masses toujours plus importantes de gens au chômage, et qui vient de l’effondrement  du mouvement ouvrier dans le cours de l‘après-guerre, mouvement qui avait été le fer de lance de la réduction de la journée de travail. C'est pourquoi, pour partie, « le chômage actuel est dû au fait que l’élévation accélérée de de la productivité du travail depuis 1940 n’a été accompagnée que d’une très faible réduction de la durée du travail- à l’opposé  de ce qui s’était passé de 1840 à1940, où la durée hebdomadaire a été reduite de 72 heures à 40 heures. » (Castoriadis, Une société à la dérive, p. 30)
Structurellement, le marché, si ne s'y oppose aucune force sociale d'ampleur, comme a pu l'être le mouvement ouvrier, doit générer un trop plein de travailleurs. En effet, l’équilibre dont a besoin une société qui prétend s’organiser sur la base d’un marché en y intégrant le travail dont le prix (le salaire) est censé se déterminer par la loi de l’offre et de la demande; il est celui que réalise une situation où le surmenage des uns se complète par la misère des autres: "Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres… " (B. Russell, Eloge de l’oisiveté, p. 38) Telles est la situation que génère un marché du travail laissé à lui-même: le surmenage pour les uns permet de maintenir dans un noyau dur de la population la discipline du travail qui empêche de réfléchir sérieusement à autre chose. Comme le disait Nietzsche, « le travail constitue  la meilleure des polices. » (Aurores, livre III, § 173) La misère pour les autres, ce que Marx appelait « l’armée de réserve » du capitalisme, permet d’entretenir cette discipline (si l'on n’est pas content de ton travail, il y en d’autres qui attendent à la porte pour prendre ta place) et d’exercer une pression permanente à la baisse sur les salaires en maintenant l’offre de travail supérieure à la demande des entreprises. Cette complémentarité entre surmenage pour les uns et misère pour les autres avait déjà été parfaitement mise en évidence par Marx:"L'excès de travail imposé à la fraction de la classe salariée qui se trouve en service actif grossit les rangs de la réserve, et, en augmentant la pression que la concurrence de la dernière exerce sur la première, force celle-ci à subir plus docilement les ordres du capital." (Le capital, livre I, p. 700)
 C'est aussi la raison pour laquelle, soit dit en passant, un slogan comme "travailler plus pour gagner plus" est d’une absurdité sans nom. Comme l'explique S. Latouche, dans cette intervention à partir de 18'50, dans une situation de chômage de masse où l’offre de travail est déjà bien supérieure à la demande des entreprises, inciter les gens à augmenter encore d’avantage leur offre de travail, vouloir travailler encore plus, ne peut avoir comme conséquence logique, en vertu de la loi de l’offre et de la demande, que de continuer à dévaloriser  la valeur de l’offre, c’est-à-dire, à exercer une pression à la baisse sur les salaires, autrement dit, à gagner moins. De cette façon, se poursuivrait le processus de réduction de la part salariale (la part de la richesse produite qui revient au travail par opposition à celle qui va au capital) qui s'était déjà effondrée dans les années 1980. Notez que l‘allongement depuis les années 1990 de l‘âge de départ à la retraite a les mêmes "vertus" d'augmenter toujours plus l'offre de travail, et donc, mécaniquement, de faire baisser son prix. D'où la logique des "emplois-vieux", une catégorie spéciale d'emplois réservés aux vieux dont les entreprises ne veulent plus, et sous payés. On peut d'ailleurs généraliser la portée de cette analyse et en tirer un principe élémentaire d'auto-défense intellectuelle: chaque fois que la puissance publique mène une politique économique qui cible une catégorie spéciale de la population pour lui attribuer des emplois spécifiques, il faut se demander si cela ne cache pas, en réalité, une façon d'exercer une pression à la baisse sur l'ensemble des salaires. Les "emplois-jeunes", de ce point de vue, obéissent à la même logique que les "emplois-vieux".
  Qu’un candidat à la fonction suprême puisse se faire élire sur la base d’un slogan aussi aberrant que, "travailler plus pour gagner plus" est un symptôme assez frappant de l’état de décomposition mentale du corps électoral. Bien au contraire, si on suit la logique d’un marché du travail et si les travailleurs se comportaient, véritablement, en simples marchandises, en agents économiques obéissant à son mécanisme anonyme, leur intérêt devrait les pousser logiquement à faire grimper la valeur de leur offre de travail, ce qui devrait signifier d’en organiser artificiellement la rareté. C’est pourquoi Polanyi pouvait dire, que le système de marché, qui prétend traiter le travail comme une simple marchandise dont la valeur (le salaire) serait déterminée en fonction de l'offre et de la demande, devrait conduire les travailleurs à se mettre en situation de grève quasi permanente: "Conduite à son terme, cette idée signifie que la principale obligation du travail est d’être presque constamment en grève. Cette proposition est le comble de l’absurdité, néanmoins elle découle logiquement de la théorie du travail-marchandise." (Polanyi, La grande transformation, p. 314) Il s'en suit simplement que ladite théorie est invalidée, dans les faits, et qu’il est impossible que le travail puisse jamais devenir une simple marchandise dont le prix serait déterminé par le mécanisme anonyme et auto régulateur du marché. Elle ne peut jouer dans ce cadre théorique, que le rôle de "marchandise-fictive", comme Polanyi la désignait, une pure fiction n'ayant aucune consistance réelle...

(1) Pour des développements sur le concept de totalitarisme, et celui du camp, qui en constitue l'institution centrale, voir la partie 1 de l'étude des Réflexions sur la Révolution hongroise de Hannah Arendt.


1 commentaire:

  1. L'état de superfluité humaine, me semble évidemment découler d'un processus d'accumulation centripète des richesses. Et comme tu le dis plus haut, l'émergence de camps de concentration «modernes» résulte de ces premières formes d'enfermements massifs. Ils semblent être, comme le dit Arendt, une possibilité politique qui s'offre à celui qui tente de gérer une masse superflue.
    Mais, je vois aussi que tu as sollicité Nietzsche, «le travail est la meilleure des polices». Il nous fait état d'un processus d'autocontrainte (comme le traiter Élias), faisant coaguler le social. Ainsi, ces processus d'enfermement je les pense moins sous forme d'établissements institués politiquement, que sous forme d'individuation répressive. Agamben disait dans Le pouvoir souverain et la vie nue (Homo Sacer-I), que le camp est le paradigme de la biopolitique moderne. Cependant, (en maîtrisant vaguement l'ouvrage..) je vois dans ce camp, une forme relativement chaloupée de l'autocontrainte d'Élias. Nous procédons à notre propre enfermement, qui vient soit s'étendre et produire structurellement un enfermement général, soit cet enfermement provient d'une puissance étrangère à l'individu, et le conformise gravement. Le marché pourrait alors apparaître comme l'instance institutionnelle, vectrice d'un ensemble d'injonctions, concourant à la mise en place d'une autocontrainte (par l'exécution d'un travail marchandisé (voire, prolétarisant notre potentiel créatif)). Celle-ci, nous amenant à créer notre propre «camp» possèderait un lien déterminant pour la permanence d'un pouvoir coercitif. Il en revient donc à nous-mêmes d'exécuter une «déclôturation». Et de briser le lien imaginaire nous reliant à la sphère du labeur.Si cela était si simple, les luddiths seraient surement encore au fond de la campagne anglaise, produisant leur tissus de qualité supérieure..
    C'est une totalisation expansive. Je comprend l'intérêt d'une émancipation. Mais cette possibilité n'est pas voulue. Les émancipateurs sont superflus. Là est la volonté d'un pouvoir intransigeant qui s'ignore. Cependant, je m'accorde pour me dire que ceux qui ne sont pas voulus sont évidemment ceux qui permettent à la chose de se reconnaître comme n'étant pas ceux-là, comme étant ce dehors de la chose même. Ainsi ne deviennent-ils plus le superflu, mais l'ex-ception. Et ils seront constamment mis au ban de la société, par le souverain. C'est-à-dire, comme Agamben le rappelle, ban-nis et ban-nières, à la fois exclusion et ex-emple, rejet et assimilation. En ce sens, comment occuper la marge, quand nous savons qu'un poids incommensurable repose sur nous-mêmes? Le poids de la négation même d'un temps.
    Une fois la déclôturation de faite, ne laissons pas la grille se refermer dans l'inertie de notre passage. Tentons, encore un peu, de la laisser entre-ouverte...

    Une bouffée d'air, dans un coin,
    Comme un carré de foin, dans un camp.
    Mais les souris, dans un champ,
    Comment font-elles sans ombrelles ?
    Le chat surveille, pourtant.
    Très bien, souriions ! Montrons-lui nos grandes dents.

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