La démarche entreprise ici est d'autant plus nécessaire que l'époque actuelle souffre d'une occultation de ses origines qui l'empêche de se mettre au clair sur la nature des maux qui la rongent. Et cette oblitération prend deux formes. La plus courante, c'est l'ignorance pure et simple. Et dans des cercles plus restreints ne souffrant pas d'une amnésie complète, la minimisation des effets catastrophiques des processus à l'oeuvre au cours la Révolution industrielle dont nous avons aujourd'hui les derniers développements.
L'ignorance pure et simple avec pour chef de file l'école. Les élèves arrivés en classe de terminale ne savent déjà pas grand chose du volet politique des choses quand on les questionne sur la Révolution française; cela se limite généralement aux connaissances pour tout juste figurer, tant bien que mal, à, Question pour un champion. Mais alors que dire du volet industriel! Un abîme d'ignorance que je résumerais par une simple anecdote. Un jour, un élève d'une série générale, parmi les plus studieux de sa classe, me demandait en quelle année avait eu lieu la Révolution industrielle. C'est du même ordre que si l'on demandait en quelle année avait eu lieu la conversion des populations à l'élevage et l'agriculture au néolithique, ou bien plus loin encore, l'acquisition de la bipédie. Il est évidemment complètement absurde de croire que, s'agissant de processus aussi complexes, aux répercussions incalculables sur le destin de l'humanité entière, ils pourraient s'être effectués en une simple année. Voilà qui traduit un black out complet de l'enseignement scolaire sur le sujet, ce qui n'est évidemment pas innocent. Et pour se donner une idée des répercussions catastrophiques de cet "enseignement de l'ignorance", pour reprendre l'expression ici tout à fait appropriée de J. C. Michéa, on pourra observer avec quel déconcertant simplisme un ingénieur comme J. M. Jancovici professe sa bonne parole dans les grandes écoles ingénieurs, par exemple dans une vidéo qu'on trouve facilement dans la mégamachine de Youtube, enregistré à l'Ecole centrale de Nantes, sans que personne ne puisse trouver rien à y redire, faute des éléments de connaissance nécessaires, quand ce docte personnage croit détenir avec le simple facteur de l'approvisionnement énergétique la clé pour expliquer toute l'évolution de l'humanité, auquel il est donc aussi réduit pour rendre compte de ce qui s'est passé avec la Révolution industrielle. Grâce à l'exploitation des énergies fossiles qui a permis de mécaniser la production, "on a diminué le nombre de paysans et on a mis ces paysans quelque part". Dans l'imaginaire de cet ingénieur, bénéficiant aujourd'hui d'une audience de plus en plus large, les populations humaines peuvent être aussi facilement déplacées, d'un point A vers un point B, en l'occurrence, des campagnes vers les villes, que des stocks de charbon, sans que cela ne lui paraisse poser le moindre problème (cela étant, maintenant que les sociétés industrialisées risquent de se retrouver confrontées à la nécessité de faire chemin en sens inverse, le bougre sent quand même bien confusément que, décidément non, les populations humaines cela ne se déplace pas aussi aisément que des stocks de charbon). En réalité, ce genre de déplacement porte un nom fort peu sympathique quand on a intègré l'abîme qui sépare les deux, et dont le XXème siècle produira les formes paroxystiques: il s'agit de déportations dont on a donné dans les parties précédentes un aperçu des moyens mis en oeuvre, au moment de la Révolution industrielle en Angleterre, à partir du texte de Polanyi, La GT.
Revenons y donc pour essayer de comprendre comment on peut en prolonger le fil jusqu'à l'époque présente. Et partons pour cela de cette question: qu'est-ce qui fait que les sociétés occidentales ont pu malgré tout réussir leur décollage économique là où les peuples colonisés des terres lointaines n'ont pas réussi, le plus souvent, à surmonter le même genre de catastrophe sociale par laquelle il fallait en passer? On peut encore mieux le formuler. Les pays occidentaux ont pu surmonter la destruction de leurs structures sociales pour finir par se reconstituer en sociétés de marché; il faut entendre par là des formes de société, réinstituées sur les décombres de celles du passé, réajustées suivant les impératifs qu'impose une économie de marché, ou, à tout le moins, ne devant pas interférer avec eux; et cela suppose une reconstitution de la société, dans l'ensemble de ses aspects, conformes à cette exigence. Que les pays occidentaux aient réussi dans cette entreprise, au moins jusqu'à un certain point, c'est ce qui se voit à leur degré degré d'imprégnation de l'imaginaire économiciste, qui fournit la traduction idéologique d'un certain ethos requis pour qu'une telle société fonctionne: un comportement egoïste et calculateur, centré sur la relation aux biens plutôt qu'aux autres, motivé par l'appât du gain ou la peur de la faim. Pour résumer la chose au mieux: "Séparer le travail des autres activités de la vie et le soumettre aux lois du marché, c'était anéantir toutes les formes organiques de l'existence et les remplacer par un type d'organisation différent, atomisé et individuel." (GT, p. 235) Pourquoi, bien souvent, cette réinstitution de la société n'a pu être menée à bien dans d'autres régions du monde, ce qui explique le délabrement qu'on peut y constater? Ici aussi, la question de l'exploitation cache le fond du problème quand on croit qu'il suffit d'invoquer le pillage dont elles sont victimes. Deux remarques doivent être à ce sujet. La première pour rendre raison de cette différence; et la seconde pour fortement relativiser le succès des sociétés occidentales qui ne doit pas cacher les énormes problèmes auxquels elles doivent faire face aujourd'hui :
-Le
démembrement de la communauté traditionnelle des lointaines terres exotiques s'est opéré sous l'effet
d'une puissance extérieure et non à partir d'un processus interne. On
peut ainsi considérer qu'il y a eu en Europe un processus
d'acclimatation qui fait que la société avait été travaillée de longue date pour le
bouleversement qu'allait entraîner la diffusion des principes de
l'économie de marché au moment de la Révolution industrielle. Et on pense surtout ici au christianisme historique, dans son courant
paulinien qui contenait déjà en germe l'essentiel de l'esprit du libéralisme économique à venir deux millénaires plus tard, quand il formulait ce précepte clé,"Que celui qui ne travaille
pas ne mange pas". (Sain Paul, Second épître aux Thessaloniciens, ch. 3, verset 10), qui prolonge, au fond, dans le chistianisme, le mythe judaïque de la nécessité du dur labeur pour expier ses péchés (1). Il y aurait peu de monde, aujourd'hui, dans les sociétés occidentales, pour trouver de quoi s'opposer de façon consistante à l'éthique inhumaine qui en découle, et un assez grand nombre pour l'approuver purement et simplement, le pire dans tout cela étant qu'un tel précepte avait fini par être repris à son compte par... Lénine lui-même, sous le régime de la révolution bolchévique de 1917, au titre de principe nécessaire du socialisme, devant conduire vers la société communiste du futur (voir son texte, L'Etat et la Révolution). Quand on a fait sien le principe de base de l'économie bourgeoise pour organiser la société, il est clair que la révolution qu'on prétend faire contre elle avait déraillé d'emblée. Et, on ne peut trouver principe plus en contradiction avec celui qui fournit la base des organisations sociales indigènes pour lesquelles la communauté doit toujours garantir à chacun inconditionnellement ses moyens de subsistance libérant de cette façon les motivations sociales pour produire, celles détaillées dans la partie précédente.
-Et la destruction de ces communautés indigènes a été aggravée par le fait que l'imposition des préceptes du libéralisme économique s'est généralement faite à une vitesse foudroyante qui ne leur ont pas laissé le temps d'absorber le choc. On sait qu'en Occident, l'aristocratie terrienne a pendant longtemps freiné la mise en en place d'une économie de marché. De l'époque des premiers Tudors et Stuarts dans l'Angleterre du XVIème siècle jusqu'au premier tiers du XIXème siècle, avec le système de Speenhamland, ce rôle a été essentiel pour amortir le choc de la destruction des institutions de la société traditionnelle. Les communautés indigènes lointaines n'ont pas pu compter sur ces forces ralentissant le processus qui a été, dans cette mesure, d'une brutalité telle qu'il était à peu près impossible de surmonter ses effets destructeurs.
Reste qu'il ne faudrait donc pas surestimer la réussite des sociétés occidentales elles-mêmes à avoir absorber le choc de la déculturation qu'elles ont subi. On entend bien le discours généralement tenu par ses apologistes les moins bornés: certes, concèderont-ils, le choc de l'imposition d'une économie de marché a bien fait quelques dégâts; mais il fallait nécessairement en passer par là pour dégager les individus des liens de servitude où les tenait la féodalité et c'était de toute façon la seule façon pour que soit organisée au mieux la Révolution industrielle ave l'ère inaugurée par les machines alimentées aux énergies fossiles. Au bout du compte, la société dans son ensemble en a profité, toute classe confondue, comme en témoigne le niveau de production de richesses atteint sans précédent dans l'histoire. A la suite de Schumpeter, on pourra alors parler de la destruction créatrice qu'a pu représenter la Révolution industrielle, sorti de la propagande enfantine que nous réservent encore aujourd'hui les Ayatollahs du Progrès.
Or, même là, il y a beaucoup à redire. Ce concept de destruction créatrice nous semble souffrir à la fois d'une sous-estimation de ce qui a été détruit et d'une sur-estimation
de ce qui a pu être recrée en lieu et place. Et on trouve un même postulat à la base
de ces deux défauts complémentaires qui voudrait que l'abondance de biens économiques à
disposition pourrait
compenser le vide culturel qui résulte de la destruction des
communautés humaines héritées du passé:"Certaines
personnes qui seraient prêtes à concéder que la vie dans un vide
culturel n'est pas une vie, semblent néanmoins s'attendre que les
besoins d'ordre économique remplissent automatiquement ce vide et
fassent que la vie paraisse vivable dans n'importe quelles conditions." (GT.,
p. 228) Deux séries de phénomènes sécrétés par le monde occidental au
cours du XXème siècle paraissent devoir être abordées à la lumière de
cette insuffisance, quand bien même elles ont pris des formes tout à fait
différentes. Il y a d'abord eu la généralisation du phénomène fasciste
dans les années 1930. Polanyi prétendait qu'on ne pouvait le comprendre
sans retourner à ce qui s'est joué au moment de la Révolution industrielle.
Cette généalogie s'appuye sur le fait que les
besoins sociaux des individus ne peuvent être indéfiniment niés mais
finissent
par ressurgir sous la forme exacerbée d'un retour du réfoulé, pour
parler un langage pyschanalytique qui
semble parfaitement adapté ici: de façon générique, tout simplement, le besoin de faire-société. Le fascisme des années 1930 est
typiquement la forme pathologique, brutale et régressive qu'a pris la
réintégration de l'individu dans la société, une fois l'économie de
marché effondrée. Et, aujourd'hui, ce qui menace, c'est une reproduction du même genre de phénomène, prenant cette fois la forme d'une montée en puissance de l'intégrisme religieux appelant comme riposte un nationalisme haineux.
Plus tard dans le siècle, les observateurs ont eu à faire face à une autre perplexité lorsqu'il fallait essayer de comprendre pourquoi la jeunesse des pays du Nord, dits "riches", était entrée en rébellion dans les années 1960 dans des pays où elle jouissait pourtant d'un confort matériel à un niveau qu'aucune autre génération n'avait eu jusque là, suivant une aspiration à resocialiser le mode de vie de façon, cette fois quand même infiniment moins sinistre, en trouvant leur sympathie dans les formes primitives de communautés humaines plutôt que dans les sociétés d'ordre, ultra-hiérarchisées, de l'Ancien Régime européen.
Let's get together
Et il est tout à fait significatif de relever que cette rébellion prendra un tour résolument nihiliste dès la génération suivante des années 1970 avec le mouvement punk et sa devise désespérée, "No future", au moment même, et c'est difficile d'y voir une simple coïncidence, où les sociétés occidentales rentraient dans une phase de dépression économique à partir du Choc pétrolier, dans laquelle elles n'ont cessé de s'enfoncer depuis sans que personne n'ait jamais su trouver les clés pour en sortir. On pourra dire ce qu'on voudra, les faits n'en demeurent pas moins qui imposent cette conclusion: il faut bien que quelque chose ne tourne pas rond du tout dans une société qui en vient à engendrer une jeunesse marquée par un tel nihilisme. Et toutes les analyses conduites jusque là convergent pour dire qu'il serait parfaitement illusoire de s'imaginer en trouver la raison dernière dans des facteurs d'ordre économique. La marasme en ce domaine ne fait que mettre à nu les racines profondes du mal qui relèvent de la deshérence sociale, du même ordre que celle qui avait réduit à l'état de loque les populations indigènes. S. Latouche avait bien fait remarquer que les sociétés occidentales offrent au regard ce curieux paradoxe d'être les seuls à s'être mondialisées sur une telle échelle, mais, en même temps, les seuls à éprouver d'aussi grandes difficultés à s'assimiler ses propres membres. A contrario, le matériau ethnographique atteste que dans les sociétés dites "primitives", de tels cas d'individus que la société n'arrive pas s'assimiler sont tout à fait exceptionnels. Voir ce que dit P. Clastres à ce sujet à partir de 1 h 36'55:
Et ce qui persiste aujourd'hui dans notre milieu dit "civilisé", c'est un sentiment tenace et diffus de "malaise dans la civilisation", pour reprendre le titre d'un texte de Freud, qu'il n'a cependant pas élucidé dans le contexte historique précis où il se manifeste et se répand, en prétendant en faire un invariant anthropologique.Epuisement des stocks de charbon, épuisement des stocks de travailleurs
Prenons
maintenant par l'autre bout la logique de marché en se fondant, non
plus sur une politique de pression à la baisse des salaires, mais à la
hausse, en jouant sur l'autre grand ressort du système, non plus la peur
de la faim, mais l'appât du gain. A supposer que les choses
fonctionnent ainsi, quelle serait la forme de société qui en
découlerait? Castoriadis avait clairement formulé le problème: une telle
société serait vouée à un épuisement des réserves anthropologiques dans
lesquelles l'économie de marché a dû puiser pour sont son propre
développement, réserves qu'elle est incapable de reconstituer par
elle-même, tout autant que les gisements de pétrole ou de charbon. Il en
donnait tout un évantail balayant l'ensemble des sphères de l'activité
sociale. Dans le domaine judiciaire, le capitalisme a eu besoin de juges
incorruptibles, sans quoi plus personne ne pourrait avoir confiance en
elle pour faire respecter les contrats. Mais si un juge devait exercer
son activité suivant la motivation du gain, on ne voit plus du tout,
hormis la crainte de sanctions pénales, ce qui l'empêcherait de vendre
son jugement au plus offrant, le même type d'analyse valant pour le fonctionnaire ou le politicien. Dans le domaine éducatif, le capitalisme
avait aussi eu besoin d'enseignants dévoués à leur tâche pour assurer la
continuité dans la transmission de la culture. Mais, si un enseignant
était motivé d'abord par le salaire, il en ferait le moins possible, se
mettant en arrêt de travail aussi longtemps que cela ne l'affecte pas
financièrement, et se contenant simplement de reproduire le même cours tous les ans que lui cède à bon prix, sur un plateau, les manuels de l'industrie de la culture de masse. Le capitalisme a encore eu besoin, toujours pour son propre développement, d'ouvriers dont les
motivations étaient là encore foncièrement non économiques. C'est
ce que les idéologues du libéralisme économique ont toujours eu toutes
les peines du monde à reconnaître; ce sont précisément les ouvriers les
meilleurs dans leur domaine, ceux dont l'économie de marché avait le
plus besoin, qui ont été en même temps les fers de lance du
contre-mouvement pour rétablir une protection sociale interférant avec
le libre jeu du marché:"les ouvriers qualifiés étaient
mus par la fierté peu capitaliste du travail bien fait, preuve de leurs
capacités, les machines mêmes sur lesquelles ils travaillèrent,
entretenues avec amour et en parfait état de fonctionnement après un
siècle, en sont le vivant témoignage, tout comme les innombrables objets
qui eurent les honneurs des grandes expositions internationales en
attestent, tout laids qu'ils soient, le soin jaloux avec lequel ils
furent fabriqués. Ces hommes n'acceptaient pas volontiers les ordres ni
la surveillance, et ils échappaient souvent à tout contrôle réel en
dehors du contrôle collectif de l'atelier." (E. Hobsbawn, L'ère du capital. 1848-1875, p. 303) Les économistes libéraux
se sont sortis habituellement de cette pénible situation de dissonance
cognitive en se représentant ces ouvriers comme les victimes d'agitateurs
professionnels venus de l'extérieur, mais c'est là un expédiant grossier contraire à la réalité des faits. Et c'est aussi ce genre d'ouvriers qui ont été les plus portés à la pratique, ô combien perturbante, du perruquage.
Tous ces types anthropologiques
nécessaires à son fonctionnement, le capitalisme les a hérité du passé,
comme il a hérité du plus lointain passé géologique de la terre les
réserves de pétrole ou de charbon. En vertu de son propre imaginaire
pour lequel ne doit jouer que la peur de la faim ou l'appât du gain, il
aurait été parfaitement incapable de les susciter lui-même. Et il doit
tout aussi nécessairement les épuiser en vertu de ces pauvres motivations auxquelles il prétend réduire l'activité humaine. Si
les économies de marche ont continué, malgré tout, de fonctionner, tant bien
que mal, c'est parce que les travailleurs ont conservé un certain fonds
de réserve anthropologique venu de la nuit des temps, le même auquel puisaient les meilleurs des
ouvriers qualifiés au XIXème siècle, celui qu'on retrouvera tout aussi
bien dans le type indigène, qui les pousse à produire pour des raisons
d'abord non-économiques. C'est ce que le management d'entreprise a dû, d'une
façon ou d'une autre intégrer, par la force des choses, au moins depuis les études de sociologie
du travail menées par E. Mayo, F. Roethlisberger et W. Dickson dans l'usine Western Electric de Cicero, dans la région de Chicago, de 1924 à 1932, qui ont donné les Hawthorne Works. Le résultat essentiel à en retenir, qui conforte les analyses conduites ici, c'est que ce n'est pas en jouant sur les salaires qu'on améliore la productivité des travailleurs, mais bien en s'appuyant sur des ressorts sociaux.
On serait tenté de croire qu'à la différence du charbon, le stock de travailleurs est à ranger dans la catégorie des énergies renouvelables dans lesquelles on peut pomper sans limite. Le premier est donné une fois pour toute en quantité finie; le second semble devoir se reconstituer à mesure qu'on pioche dedans par le renouvellement des générations. Il y a bien sûr un abîme, comme on l'avait souligné pour commencer, entre du charbon qu'on extrait de la mine et la force de travail qu'on retire de la communauté humaine; et une autre façon de le considérer, c'est d'observer, à la suite de Castoriadis, que dans ce dernier cas, le rendement qu'on pourra en tirer n'est pas fixé d'avance, une fois pour toute, par des ingénieurs, mais sera l'enjeu d'une lutte constante tout au long de la journée de travail, via le management; et celui-ci ne pourra espérer en tirer une productivité suffisante qu'en exploitant les motivations d'ordre non-économique du travailleur qui sont elles aussi amenées à s'épuiser quand on a fait de la peur de la faim et de l'appât du gain les ressorts principaux de l'activité humaine. Et c'est à ce point que le destin réservé aux réserves anthropologiques et naturelles se rejoignent. Une fois tout le charbon désencastré de la mine, ne restera plus qu'une plaie béante dans les entrailles de la terre, un paysage dévasté, tout comme, une fois extraite toute la force de travail, ne doit plus rester que les débris flottants de ce qui était autrefois le tissu vivant des communautés humaines.
L'extraction de l'élément travail de la totalité sociale constitue ainsi une sorte de processus impossible au sens où il ne semble devoir se faire qu'en finissant par épuiser ce qu'il convoite.
La corruption dont on parle tant aujourd'hui, en croyant bravement qu'elle serait juste le fait d'une petite caste politique qu'il suffirait de chasser, est en fait celle de la société dans son ensemble: c'est le destin ineluctable d'une société de marché qui veut tout soumettre à la logique du gain. Simplement, comme le veut le dicton plein de bon sens, qui a toute sa place ici, "le poisson commence à pourrir par la tête" (à suivre...)
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