dimanche 7 juin 2020

2b) Les "démocraties" modernes: critique du système des partis politiques

Origine des partis politiques
Pour remonter à la racine des problèmes que pose aujourd'hui la césure de plus en plus prononcée que nous constatons entre les classes des politiciens et leur population, on commençera par repartir de l'origine de la formation des partis politiques. Ils constituent, bien sûr, des rouages essentiels du gouvernement représentatif, sans lesquels celui-ci ne pourrait tout simplement plus fonctionner. On s'appuyera ici sur un petit texte, paru à titre posthume, en 1950, de Simone Weil, une grande dame de la philosophie, au XXème siècle: Note sur la suppression générale des partis politiques. Le préjugé partout répandu, auquel nous allons nous attaquer, par son biais, voudrait que supprimer les partis reviendrait à supprimer la démocratie. Le sens du propos de Simone Weil va exactement à contre courant: la suppression des partis est, au contraire, un préalable indispensable à l’institution d’une démocratie. Restera, évidemment, la question cruciale de savoir par quoi ils pourraient être remplacés dans le cadre d'un tel projet? Pour apaiser l'angoisse du vide qui ne manquera pas de surgir ici, on évoquera assez vite une piste indiquant un début de solution que nous a laissé l'histoire politique moderne.

Simone Weil commence donc par retracer la genèse historique de la formation des partis politiques. Il faut, pour cela, remonter à la convocation par Louis XVI des états généraux (constitués des trois groupes de représentants de la Noblesse, du Clergé et du Tiers-état, à savoir, la bourgeoisie) en mai 1789, à la veille de la Révolution française, une terrible imprudence de ce pauvre roi, notons le en passant, qui avait toutes les chances de sonner le glas de la monarchie absolue, ainsi que cela se confirmera trois ans plus tard, avec la proclamation de la République. Comme l'ont fait remarquer des historiens, si la monarchie est absolue, elle ne devrait pas avoir besoin d'états généraux, puisque le roi est censé concentrer sur lui tous les pouvoirs. Cette convocation était donc déjà l'aveu de son agonie (les états généraux n'avaient plus été convoqués depuis 1614, soit près de deux siècles, c'est dire la gravité de la situation dans laquelle se trouvait le régime). C'est à partir de là que se forment différentes factions, dans le Tiers-état, au sein du Club des Jacobins, factions qui sont les ancêtres de nos partis politiques actuels. L’essentiel à retenir, c’est que le lieu originel de formation des partis politiques est une assemblée de type parlementaire, donc, une assemblée de représentants, et non pas une assemblée du peuple lui-même comme pouvait l’être l’Ekklesia grecque. Il en résulte que les clivages à partir desquels se sont constitués les différents partis politiques ne prennent pas du tout leur source dans le peuple lui-même, qui n'avait, de toute façon, aucun droit de représentation aux états généraux, mais, dans les différents courants de la bourgeoisie parlementaire. Les divisions entre ces partis, qui ne cesseront de se quereller jusqu'à aujourd'hui, n'avaient donc, dès l'origine, aucun véritable ancrage populaire. C'est ici qu'il faut introduire brièvement, pour voir apparaître, dans toute sa clarté, ce hiatus (décalage) constitutif de la forme parti entre le peuple et ses représentants, la forme institutionnelle par laquelle, à notre époque, le peuple s'est manifesté, qui n'est pas celle du parti politique mais celle du conseil. Parmi les traits les plus frappants qui la démarque fondamentalement du système des partis, il y a ce fait, qu'avait bien relevé H. Arendt, que les questions d'appartenance à tel ou tel parti politique, ne jouait à peu près aucun rôle, lorsqu'il s'agissait de désigner des délégués mandatés pour siéger aux échelons supérieurs. Les critères de base tenaient aux vertus civiques qu'on pouvait trouver chez tel ou tel individu dont on avait toujours une connaissance directe, et non pas médiatisée par des moyens de communication de masse (voir, La délégation du pouvoir dans le système des conseils, à propos des Réflexions sur la Révolution hongroise, de H. Arendt) Disons tout de suite ceci, à ce sujet, pour donner un début de réponse à la question posée au début: nous n'avons, comme alternative démocratique, dans notre héritage politique moderne, absolument rien d'autre de consistant sur quoi nous appuyer que la forme du conseil à opposer au système des partis: voilà pour combler momentanément l'angoisse du vide, comme on l'avait promis...
Simone Weil présentait trois reproches massifs qu’elle faisait au système des partis, plus que jamais d'actualité. Nous en ajouterons un quatrième, tout aussi important à faire, pour comprendre du mieux possible ce qui se joue exactement dans ce cadre, donnant au public ce sentiment de malaise, tout à fait justifié, comme on va essayer de le montrer, que, décidément, quelque chose ne tourne pas rond là-dedans.

1-  La démagogie du monde politico-médiatique
Ce sera le gros morceau à développer qui permettra déjà d'aller assez loin dans l'éclaircissement des raisons de ce sentiment qui nous porte à dire que les choses clochent dans ce monde. Comme le résumait bien S. Weil,"Le parti est une machine à fabriquer de la passion collective  et non à instruire rationnellement le débat public." C’est, au fond, le principe de la démagogie que Platon dénonçait déjà à l’époque de la dégénérescence de la démocratie athénienne. On flatte les passions de la foule en lui racontant ce qu'elle a envie d'entendre, plutôt que de faire appel en chacun à sa capacité de conduire une réflexion menée sur la base d'arguments rationnellement fondés et de faits bien établis. Il faut commencer par voir pourquoi il y a là quelque chose de profondément infantilisant à la racine de toute démagogie. On le saisit bien en partant des bases psychologiques de ce qui nous constitue en tant qu'être humain: la psyché humaine est ainsi constituée qu'elle tendra d'abord, dès le tout début de la vie, à former ses représentations pour en faire des sources de plaisir. C'est un des éléments clé de toute éducation, de rectifier ce penchant pour la conduire à intégrer un principe de réalité. Comme le disait le philosophe G. Simmel, nous ne pourrions survivre une seule journée si nous formions nos représentations simplement pour en faire des sources de plaisir: "Ah! une falaise; je rêve de m'envoler..." La façon dont est conduite une campagne électorale, dans le cadre du système des partis, est, de ce point de vue, profondément régressive, puisqu'elle vise à flatter en permanence ce penchant inscrit au coeur de l'âme humaine. C'est particulièrement criant aujourd'hui pour ce qui concerne  les questions tournant autour de la dégradation de notre milieu de vie, et sur lesquelles un expert dans ce domaine, J.-M. Jancovici, ne cesse de tirer la sonnette d'alarme, depuis des années, auprès des politiciens, sans qu'il en résulte aucune action concrète et sérieuse. Ce qui est en cause, c'est fondamentalement ce reproche qu'adressait au système des partis S. Weil, en son temps. Un politicien n'aura à peu près aucune chance de rassembler un nombre suffisant de voix pour se faire élire, s'il devait jouer les oiseaux de mauvaise augure en annonçant à ses électeurs que la perspective que nous avons devant nous est celle d'une contraction de l'approvisionnement en énergie, qui, fatalement, en vertu des lois de la physique, contre lesquelles on ne peut pas grand chose, entraînera une diminution globale de notre train de vie (on souligne "globale", en ce sens que cette contrainte pose indissociablement la question de la répartition de l'effort qui devrait être fait entre tous au sein de la nation, et donc celle de la justice sociale). Dans un cas comme celui-là, qui est pourtant de première importance pour l'avenir de nos sociétés, le politicien préfèrera se boucher les oreilles pour continuer à flatter son électorat avec des promesses, de toute façon intenables, à plus ou moins brève échéance, de perspectives de croissance et d'augmentation du niveau de vie, ce qui reviendrait, comme l'expose J.-M. Jancovici, dans cette conférence faite à l'Ecole centrale de Nantes, où l'on forme nos futurs ingénieurs, à partir de 28' 55" jusqu'à 30'05, à décider par un vote à l'Assemblée de changer les lois de la physique (voir aussi plus loin, en complément, une conséquence concrète de cette façon infantile de former ses représentations pour en faire des sources de plaisir, sans tenir compte de la réalité, à la base de toute démagogie politique: le black out complet -nuit noire- sur la question du pétrole dans les politiques énergétiques aujourd'hui conduites en Europe, à 56'):


Comme l'image bien notre conférencier, croire qu'on pourrait tirer de l'énergie à partir de rien, ce que sous-entendent les perspectives de croissance sans fin sur lesquelles se basent les politiciens, leur permettant de promettre monts et merveilles à leur électorat, c'est du niveau de Harry Potter ou de Merlin l'enchanteur: certes, c'est fantastiquement séduisant pour la psyché humaine, mais totalement chimérique. Il faudrait ici développer le sens des formes de praxis induites par les dispositifs techniques sortis de la matrice de la Révolution industrielle, pour bien comprendre pourquoi elles induisent ces tournures d'esprit tout à fait à fait enfantines nous faisant imaginer qu'on pourrait ainsi tirer à l'infini de l'énergie par un simple coup de baguette magique. De ce point de vue, l'expression qu'on a employé de "fée électricité" est tout à fait significative: par une simple pression du doigt sur un bouton, on fait "magiquement" s'allumer la lumière, nous donnant l'impression, tout à fait illusoire, de disposer du pouvoir de Merlin l'enchanteur; on s'installe ainsi dans la croyance de détenir un pouvoir de tirer de l'énergie à partir de rien:"Avec l'électricité, il suffit d'une pichenette, geste magique, alors, de demiurge: l'enfant profite d'un progrès sans donner aucun travail - même symbolique- en échange. Il s'installe dans la totale ignorance du travail nécessaire à cette consommation [...] L'univers fonctionnel - résultat du fantastique travail de l'humanité- est alors réduit à la fonction ludique qui prolonge et accomplit l'univers ludique enfantin. Le capitalisme veut que nous restions jeunes et que nous soyons comme des enfants! Le travail des uns sera l'éternelle adolescence des autres." (M. Clouscard, Le capitalisme de la séduction, p. 32) Pourtant, même dans la Bible, la prétendue création du monde "ex nihilo" (sortie du néant) par Lui-les-Dieux (traduction de Fabre d'Olivet de l'hébreu "Aelohîm" qui est un singulier collectif n'ayant pas d'équivalent dans notre langue), relève, en fait, d'une mauvaise interprétation du passage où il en est question. Nous avons justement les créations artistiques qu'on trouve, entre autres, dans le cinéma ou la littérature, pour sublimer le penchant de l'âme à se complaire dans des représentations oniriques. Mais, la politique, elle, doit bien, d'une façon ou d'une autre, tenir compte du monde réel dans lequel nous vivons, sous peine de nous conduire dans un mur.
Pire encore, suivant un principe de rivalité mimétique, on sera conduit à surenchérir dans la démagogie, par rapport à ses concurrents aux élections, jusqu'à promettre des choses parfaitement extravagantes dont on est sûr d'avance qu'elles ne se réaliseront jamais: un exemple parmi tant d'autres, dans un autre domaine, M. Sarkozy qui promettait ainsi qu'il n'y aurait plus un seul SDF à la fin de son mandat, sans jamais expliquer rationnellement comment il aurait pu compter s'y prendre.
Sous l'angle de ce premier reproche, le fait est que, depuis l'époque de S. Weil, les choses ont empiré dans des proportions encore bien plus grandes. Il faut prendre en compte ici une évolution globale de la société, qui se reproduit dans ses multiples dimensions, aussi bien dans le champ de la politique que de celui, par exemple, des techniques de propagande publicitaires. Partons justement de ce qu'on observe sur le temps long dans ce dernier cas. Au début, les publicités mettaient plutôt l'accent sur les propriétés techniques de l'objet commercialisé pour montrer ses avantages: on en appelait donc à une évaluation rationnelle de la part du consommateur. Cette approche est devenue, depuis déjà assez longtemps, obsolète. Nous sommes entrés dans le registre du pulsionnel qui court-circuite tout ce qui relève de l'analyse rationnelle, en associant, par exemple, une marque de voiture avec une star du football, les exemples de cette sorte pouvant être multipliés à l'infini.
Dans le champ de la politique, on prendra, pour les besoins d'une clarification de ce point, un cas particulièrement frappant, celui de B. Obama. Ce que démontre de façon implacable T. Frank, dans son ouvrage au titre ô combien significatif, Pourquoi les riches votent à gauche, c'est qu'en tirant le bilan de huit années passées à la Maison blanche, il n'a à peu près rien fait de ce qu'on est censé attendre d'un homme politique appartenant à un parti de gauche, alors même que les possibilités concrètes d'agir ne manquaient pas, ainsi que le montre bien T. Frank, ici aussi. Il ne faut donc pas trop s'étonner d'avoir droit à du Trump aujourd'hui. En revanche, ce qu'on a pu très bien observer, c'est avec quelle virtuosité il a court-circuité toute forme de "débat public rationnellement instruit", pour appliquer les techniques de manipulation de masse, et susciter ainsi "une passion collective" autour de sa personne, et ce, d'autant plus facilement qu'il a pu jouer de la couleur de sa peau: du strict point de vue de l'analyse rationnelle, on devrait pourtant s'en battre les coucougnettes de savoir s'il est noir, blanc, rouge, bleu ou vert, le point important étant de déterminer s'il a les aptitudes à bien gouverner et sur la base de quel programme précis il compte le faire; de la même façon, on devrait s'en contrefiche de la coiffure de S. Palin, la co-listière du républicain Mac Cain à une précédente candidature à la présidence de la Maison blanche: le coiffeur en question, qui lui ciselait de si ravissantes coupes, touchait ainsi un salaire deux fois supérieur au conseiller de Mac Cain pour les relations internationales, ce qui résume tout des priorités des candidats à ce genre d'élection. C'est quelque chose qu'ont bien mis en évidence M. Della Luna et P. Cioni, dans leur ouvrage, Neuro-esclaves. Le prototype du discours d'Obama, pour commencer, se déroule suivant un phraser soigneusement mis au point et bâti sur une cadence et une élocution qui se rapprochent de ceux employés pour hypnotiser quelqu'un:"Obama parle avec une lenteur anormale, affectée, il suit une cadence étudiée avec des pauses fréquentes tous les deux ou trois mots..." (Neuro-esclaves, p. 272) Ensuite, du point de vue de la structure du discours lui-même, il est complètement inconsistant rationnellement et ne passerait jamais la rampe s'il fallait le soummettre à l'expertise de n'importe quel groupe de logiciens. Le schéma type est, après l'évocation d'un problème (chômage, crise financière, guerre, inégalités, etc.), l'insertion  d'une formule incantatoire répétée à intervalles réguliers comme, "Nous avons besoin de changement et c'est pour cela ... que je serai votre prochain président." (ibid., p. 274) Du point de vue de l'analyse rationnelle, le discours ne vaut rien: il n'y a aucune conséquence logique qui conduit d'une proposition à une autre. Reformulé pour le rendre logiquement consistant, il faudrait dire quelque chose comme: "Etant donné que je suis compétent dans ce domaine (économique, par exemple), comme j'ai pu le prouver à telle ou telle occasion, je suis la personne capable de résoudre ce problème avec ces mesures que je vais vous préciser; vous avez donc intérêt à voter pour moi." Il est tout à fait improbable qu'un candidat quelconque qui procéderait ainsi aurait la moindre chance de se faire élire face à des concurrents employant à tours de bras les moyens les plus sophistiqués,de manipulation de masse aujourd'hui à disposition. Pour reprendre ce que disait une psychologue américaine, au sujet des techniques publicitaires, qui s'appliquent donc tout aussi bien à la vente de personnages politiques, il faut bien se rendre compte qu'avec les énormes progrès réalisés dans la connaissance de la psychologie humaine et des neurosciences, comparer la propagande d'hier à celle d'aujourd'hui serait comme vouloir comparer un fusil à air comprimé avec un missile téléguidé: c'est sans commune mesure (voir, pour plus de développements, En quel sens la liberté et la connaissance de soi sont liées?, Partie 2).
De fait, les campagnes électorales sont aujourd'hui rigoureusement planifiées sur le modèle de stratégies commerciales de conquête de parts de marché. De ce point de vue, la question fondamentale qui guide tout candidat à une élection n'est pas de savoir comment on va pouvoir bien gouverner, mais celle-ci: comment ratisser le plus grand nombre de voix possibles pour gagner les élections. La logique d'une campagne électorale est tout à fait la même que celle qu'on trouve, par exemple, dans la course à l'audimat, entre les grands médias, en vue de capter la plus grande "quantité de cerveau humain disponible", pour reprendre l'expression, passée la postérité, de l'ex pdg de TF1, P. Le Lay. Là aussi, la question de savoir comment faire de bonnes émissions est tout à fait secondaire. C'est ce qui rend compte du fait, comme l'explique Jancovici, de 50'00" à 51'50", dans la conférence incrustée plus haut, qu'il ne faut absolument pas se fier à ce qui est raconté dans les médias de masse si on veut réaliser ce qui se passe dans le monde, et cela n'a rien à voir avec une quelconque intention délibérée de duper le public, comme les gens le croient pour la plupart. Ce qui est en cause, c'est essentiellement la logique infernale de la course à l'audimat, logique qui fait qu'on n'est pas d'abord occupé à rendre compte objectivement du cours des affaires du monde, mais, à à capter les plus grosses parts d'audience possibles, par rapport à ses concurrents, exactement comme pour ce qui se passe en politique: c'est pourquoi, on est tout à fait fondé à parler du monde politico-médiatique, comme un tout indissociable obéissant aux mêmes règles de fonctionnement. Si l'on veut en sortir pour avoir une chance de saisir ce qui se passe dans le monde, il faut simplement commencer par chercher des sources d'information qui sont hors du champ de cette logique de course à l'audimat, avec des gens dont le travail est donc de comprendre les choses et non pas d'attirer à soi des parts d'audience ou d'électeurs. En théorie, c'est donc très simple, d'autant plus avec le nouvel outil que constitue l'Internet qui offre une mine de sources de ce type; en pratique, c'est évidemment une autre paire de manches, quand on infuse dans ce monde politico-médiatique depuis qu'on est petit, d'autant plus que l'Internet lui-même est aujourd'hui de plus en plus vampirisé par cette même logique de course effrénée à la captation de audience: c'est la recherche du "buzz", avec la mise à disposition, pour les administrateurs de site, d'outils informatiques servant à développer des stratégies de marketing...
Pour en rester à l'aspect strictement politique, qui nous occupe ici, on donnera trois illustrations de ce jeu extrêmement pervers, il faut bien le dire, qui s'enchaînent chronologiquement l'une à l'autre, jusqu'à nos jours, et qui, de ce fait, permettront de mieux comprendre, pourquoi nous en sommes arrivés à la situation actuelle.
-La première nous renvoie aux années 1980, avec ce grand stratège en matière de jeu politicien-politicien qu'était le présumé "socialiste" F. Mitterrand. Il a su manoeuvrer avec brio, il faut bien le reconnaître, en comprenant tout l'intérêt qu'il y aurait pour lui et son parti à exploiter la montée en régime du Front National, pour diviser la droite, et donc affaiblir ses adversaires: ceux-ci en sont ainsi venus à s'entre-déchirer entre le courant d'une droite dure, partisan d'une alliance avec le FN, et celui de la droite modérée qui s'y refusait catégoriquement, avec les indécis au milieu. Comment précisément a-t-il conduit les choses, avec ses brillants conseillers, comme J. Attali? En faisant monter en sauce le thème de l'antiracisme qui devenait dès lors l'enjeu central du débat politique, du pain béni pour le FN, dont les thèmes raciaux constituent le fonds de commerce, quitte à passer par dessus bord les sujets traditionnels de la gauche tournant autour de la question sociale (la lutte contre les inégalités, par exemple; voir, pour des développements, L'effacement du clivage droite-gauche) Ainsi, ce stratagème lui a grandement facilité sa réélection en 1988, pour régner pendant 14 ans, quitte à faire, au bout du compte, le jeu de l'extrême droite. Il faut donc tirer de cette première illustration la morale suivante: un parti de gauche qui s'est vendu comme le champion de la lutte antiraciste a, en réalité, manoeuvré pour ouvrir grand le champ politique à ce qu'on appelle aujourd'hui "l'extrême-droite". Il ne faut alors guère être surpris si ce genre de parti est, à l'heure actuelle, dans un comas profond.
-Le deuxième exemple met en scène le libéral de droite J. Chirac et son fameux thème inspiré de la gauche de la réduction de la fracture sociale, qui lui a permis de régner pendant douze ans (de 1995 à 2007) pendant que les inégalités n'ont continué d'augmenter: on voit tout de suite, ici aussi, la farce qu'on a joué au public. Mais, comment diable un homme de droite a-t-il ainsi pu faire son succès sur un thème emprunté à la gauche, s'étonnera-t-on peut-être? Chirac a tergiversé un certain temps pour savoir comment répliquer au piège machiavélique qu'avait tendu à la droite F. Mitterrand et ses acolytes. Il a fini par se ranger dans le camp des modérés, refusant tout compromis avec le FN, ce qui impliquait donc de chercher à ratisser le maximum de voix sur sa gauche, récupérant de cette façon un thème que la gauche était déjà entrain d'abandonner, d'après ce qui a été dit de l'exemple précédent. Il a ainsi pu siphonner un bon nombre de voix des premières vagues de déçus de la gauche, et, faut-il ajouter, bâtir son succès sur une large part du vote des jeunes (les 18-25 ans). On a même pu soutenir, non sans bonnes raisons, que sa réussite électorale venait en grande partie de ce que les Guignols de l'info présentait sa marionnette, qui y était omniprésente, sous un jour séduisant, en bon vivant toujours près à déconner, avec, martelé, le fameux slogan, éminement sympathique, qui était à la base de sa campagne électorale:"Mangez des pommes!", un sacré programme de bon gouvernement, en perspective, qui résume ce qu'il faut bien appeler le délabrement mental qui sévit dans les sociétés du capitalisme avancé.
-La troisième et dernière illustration est donc au coeur de notre actualité et découle fort logiquement des deux précédentes. Elle met en scène, cette fois-ci, le FN (Front National), ou, ce qui s'appelle aujourd'hui le RN (Rassemblement National), que les journalistes ont l'habitude de situer à l'extrême droite de l'échiquier politique. Quand une organisation quelconque, jouant un rôle important, change de dénomination, c'est rarement innocent. C'est à peu près toujours l'indice d'un changement important de sa stratégie: ça tombe bien, c'est le cas ici. Quand ce parti s'appelait encore le FN, avec Le Pen père, à sa tête, il était clairement situé sur une ligne politique de la droite dure, ultra-libérale sur le plan économique et conservatrice sur le plan politique. Sauf qu'entre-temps, les stratèges du FN se sont bien rendus compte que le parti récupérait de plus en plus de voix des déçus de la gauche appartenant aux classes populaires (ouvriers et employés) qui ne trouvaient plus d'autre moyen, pour exprimer leur ras-le-bol, en dehors de l'absention, que ce parti, exposé par le monde politico-médiatique, comme un épouvantail à moineaux. D'où le changement de stratégie qui nous fait passer au RN, s'accompagnant d'une inflexion sensible de son discours économique vers des thèmes sociaux à destination des classes populaires, autrefois de gauche; ce virage coule effectivement de source pour continuer à conquérir des parts de marché en direction des bataillons des déçus de la gauche et avoir ainsi une chance d'accéder au pouvoir. On comprend donc bien pourquoi, dans cette perspective, il était nécessaire de changer la dénomination du parti:"FN" était beaucoup trop associé à l'ancienne ligne politique du parti qui avait montré ses limites et était devenue obsolète. Pour celles ou ceux qui seraient aujourd'hui tentés d'exprimer leur ras-le bol par ce vote, on ne pourra pas dire qu'on ne les aura pas mis en garde ici sur le fait que tout ce qui se joue devant le public sur la scène médiatico-politique n'a pas grand chose à voir avec la perspective d'un programme concret de bon gouvernement, mais, relève, pour l'essentiel, de stratégies de conquête et de conservation du pouvoir, via la captation de la plus large frange possible de l'électorat.

2- La politique politiciennne
Deuxième reproche, le parti est, comme le disait encore S. Weil, "une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun de ses membres." Ici, il s'agit donc d'une pression interne, inhérente à la logique de tout parti politique, qui neutralise la capacité de penser par soi-même de ses membres. Comme S. Weil le précise encore mieux, "presque partout et même souvent pour des problèmes purement techniques, l’opération de prendre parti s’est substituée à l’obligation de pensée." Dans la logique des partis, on est d'accord ou l'on contredit quelqu'un, non pas d'abord en fonction du contenu intrinsèque de ce qu'il formule, mais suivant la position où il se situe sur l'échiquier politique, soit, dans un camp adverse, soit, parmi ses alliés, ou, au sein même de son parti, suivant qu'il se situe dans un tel ou tel courant en concurrence pour en conquérir la direction. On peut prendre n'importe quel "débat" télévisé entre deux candidats à une élection et on observera à peu près toujours le même phénomène qui en fait un dialogue de sourd: on cherche à contredire systématiquement son interlocuteur, non pas parce ce qu'il dirait serait forcément contestable, mais parce qu'il faut prendre parti, en partant du principe qu'il est dans le camp adverse et que toutes les procédures rhétoriques possibles sont à disposition pour le mettre échec et mat devant le public; dans ces conditions, se répand un état d'esprit qui se structure suivant ce genre de canevas:"Ah! lui il dit ça, donc je vais dire ça pour le contredire." Dans ces conditions, on tend simplement à ne plus penser du tout, ce qui, là aussi, est tout à fait catastrophique.
Ce deuxième reproche permet aussi de comprendre pourquoi les problèmes qui préoccupent en priorité les politiciens sont complètement étrangers à la population, contribuant ainsi prodigieusement à la coupure dramatique qu'on constate entre les deux. Cette logique où il s'agit d'abord de prendre parti, s'inscrit dans une sorte de jeu d'échec, d'où l'expression couramment employé par les journalistes, d'échiquier politique, pour rendre compte de ce que font et disent les politiciens. C'est ce qu'on appelle aussi, péjorativement, la politique politicienne: il s'agit d'une partie où ce qui se joue n'a rien à voir avec les intérêts de la  population mais concerne simplement l'entre-soi du monde politique. C'est quelque chose que la sociologie des partis politiques a bien étudié, en particulier P. Bourdieu:"Ainsi le fait que le champ politique est autonome et qu'il a sa logique propre et que cette logique est au principe des prises de position de ceux qui y sont engagés, implique qu'il y a un intérêt politique spécifique, qui n'est pas automatiquement réductible aux intérêts des mandants...Le fonctionnement en champ produit une sorte d'effet de fermeture. Cet effet observable est le résultat d'un processus: plus un espace politique s'autonomise, plus il avance selon sa logique propre, plus il tend à fonctionner conformément aux intérêts inhérents au champ, plus la coupure avec les profanes s'accroît." (Propos sur le champ politique, p. 58) Le désintérêt des gens pour ce jeu politicien n'a donc rien d'accidentel mais est inscrit dans la logique même du fonctionnement des partis. On pourrait prendre des dizaines et des dizaines d'exemples possibles de cet effet de fermeture qui doit faire nécessairement apparaître, pour le citoyen ordinaire, la politique comme un spectacle lointain, dont on peut éventuellement se distraire, comme un jeu du cirque, mais qui ne le concerne en rien pour les problèmes concrets qu'il rencontre dans sa propre vie. Bourdieu prenait le cas du Congrès de Rennes du Parti Socialiste, dans les années 1990: "Une partie très importante des problèmes qu’on nous présente comme étant des problèmes politiques importants sont des problèmes qui sont importants pour les politiques, notamment parce qu’ils leur permettent de faire des différences entre eux. Ce sont les problèmes de courants- l’exemple le plus typique, c’est le fameux congrès de Rennes du parti socialiste, où personne n’a jamais compris qu’elle était l’enjeu, en dehors des intérêts politiques les plus directs des chefs de courants." (ibid., p.35) Il s'agissait alors, pour l'essentiel, de préparer la succession de F. Mitterrand et de déployer des stratégies parmi les divers courants du parti, rocardien, jospiniste, chevènementiste, fabiusien, etc., pour mettre échec et mat les rivaux; bref, il s'agissait de problèmes ne concernant en rien ceux de la population, alors même que l'action politique est censée s'en préoccuper en priorité. D'où cette impression étrange et fort désagréable pour le grand public, qui vient de cet effet de clôture du champ politique, d'assister à des sortes de querelles byzantines, un peu comme autrefois les clercs de l'Eglise de Constantinople qui se chamaillaient sans fin, à coups de subtilités argumentatives, sur des points obscurs de l'orthodoxie religieuse, auxquels ne comprenait rien le profane et qui n'avaient pour lui, rigoureusement, aucune conséquence pratique, comme la plus fameuse qui nous est restée, devenue proverbiale, portant sur la question de déterminer le sexe des anges (qu'on pourrait aussi appliquer, dans des proportions encore bien supérieures, à ce qui se passe aujourd'hui dans le champ de la philosophie académique). Tenant compte des remarques faites dans la première partie de ce sujet consacré aux "démocraties" modernes, qui allaient déjà tout à fait dans ce sens, on en vient à penser que la place laissée vacante par les hommes d'Eglise a fini par être occupée par un nouveau Clergé laïque, tout aussi coupée de la masse des profanes que pouvaient l'être les clercs d'autrefois. Pour monnayer son pouvoir, l'ancien promettait la vie éternelle, le nouveau, la croissance sans fin. Au moins, les séductions du premier ne mettaient pas en péril l'équilibre de la vie.

3- La tendance totalitaire
Troisième reproche, poursuit S. Weil, "l’unique finalité d’un parti est sa propre croissance", ce qui fait que tout parti est, potentiellement, totalitaire, c’est à dire tend à exercer un pouvoir total sur la société; qu’il ne le devienne pas vient simplement du fait que son existence est limitée par celle des autres partis. De ce point de vue, S. Weil voyait dans la dictature du parti unique en URSS, à son époque, l’aboutissement logique d’une tendance interne à tout parti dès lors qu’il a réussi à éliminer ses adversaires politiques. Et, ce qu'il faut aussi faire ressortir, qui complète cette tendance, c'est le lien intrinsèque qui conduit de l'objet du reproche précédent à ce risque de dérive totalitaire, qui est assez évident. En effet, à partir du moment où ce qui compte avant tout, sur n'importe quel sujet, c'est de prendre parti, avant toute autre considération, les membres du parti, dans tout ce qu'ils peuvent dire, sont d'abord tenus de se conformer à "la discipline du parti", suivant la formule consacrée, et non pas à une analyse objective de la situation dont on parle. C'est ce qui explique très bien qu'ils peuvent en venir à construire une représentation complètement contraire aux faits, n'ayant plus rien à voir, de près ou de loin, avec la réalité. En suivant cette logique, où ce qui compte c'est de prendre parti, et non de penser, on est amené à pouvoir raconter absolument n'importe quoi. C'est, en particulier, ce qui permet de rendre compte de ce qu'avait constaté G. Orwell, pour la première fois de sa vie, lorsqu'il était sur le front, lors de la Guerre d'Espagne, en 1936. Il était tout simplement sidéré de constater que les compte rendus qu'il lisait dans les journaux affiliés aux différents partis politiques n'avaient strictement plus rien à voir avec ce qu'il constatait de ses propres yeux sur le terrain: "Tôt dans ma vie, je m'étais aperçu qu'un journal ne rapporte jamais correctement aucun événement, mais en Espagne, pour la première fois, j'ai vu rapporter dans les journaux des choses qui n'avaient plus rien à voir avec les faits, pas même le genre de relation vague que suppose un mensonge ordinaire. J'ai vu rapporter de grandes batailles là où aucun combat n'avait eu lieu et un complet silence là où des centaines d'hommes avaient été tués. J'ai vu des soldats, qui avaient bravement combattu, dénoncés comme des lâches et des traîtres, et d'autres, qui n'avaient jamais essuyé un coup de feu, salués comme les héros de victoires imaginaires." (Essais articles et lettres, Tome 2, p. 322-323) Ce tableau complètement délirant résulte donc du fait que la loyauté envers la ligne fixée par les partis passait avant toute autre considération, et d'abord celle de se conformer aux faits qu'on a sous les yeux. C'est tout à fait ce qui caractérise l'état d'esprit idéal pouvant engendrer un ordre totalitaire, qui repose donc sur la destruction du concept de vérité objective; c'est à partir de là que se comprend ce qui motivera Orwell a écrire son célèbre roman, 1984: il s'agissait, avant tout, pour lui, de partir de cette tendance qu'il voyait clairement se dessiner, dès 1936, pour en tirer le fil, et observer à quoi elle pourrait conduire logiquement si rien ne s'y oppose. Malheureusement, il faut bien reconnaître que les craintes qu'avait Orwell à son époque se précisent aujourd'hui dangereusement, comme en témoigne le fait que le très sérieux Oxford english dictionnary a pu faire de la "post vérité" le mot de l'année 2016, devant ce constat de la prolifération des contre-vérités les plus extravagantes, par le biais des moyens de communication de masse. Au point où nous en sommes de notre critique du système des partis, nous pouvons maintenant fort bien comprendre cet ensemble de facteurs qui nous ont fait rentrés dans l'ère de la post-vérité, soit un monde proprement halluciné: l'objet du reproche 1 y conduit, celui du reproche 2 aussi, et, pour finir, ce dernier reproche également. C'est précisément à ce point de convergence qu'on aimerait de nouveau tirer la sonnette d'alarme...

4- Conquérir le pouvoir vs bien gouverner
Et ce n'est hélas pas tout. Ce dernier reproche qu'on peut faire se trouvait déjà bien formulé dans les réflexions de Castoriadis: les qualités requises pour grimper l’échelle hiérarchique du pouvoir ne sont pas nécessairement les mêmes que celles requises pour bien gouverner, ce qui ne va pas sans soulever, ici encore, un gros problème: est-ce bien les plus aptes à gouverner qui parviennent au faîte du pouvoir ? En fait, il est même légitime de soutenir que ces deux aspects de la politique font appel à des qualités tout à fait antinomiques (incompatibles entre elles). Pour grimper l'échelle hiérarchique des partis et finir par être investi à des candidatures, et c'est d'autant plus vrai pour celle qui concerne l'investiture suprême, celle de président de la République, il faut être très rusé et prêt à user de tous les stratagèmes permettant de supplanter ses concurrents, et d'abord, au sein même de son parti. Dans cette perspective, le népotisme (le fait de placer ses proches et les membres de sa famille à des postes clés, plutôt que de choisir des personnes suivant des critères reposant sur le mérite ou la compétence), les trahisons, la corruption, le mensonge, l'habileté à manipuler les hommes sont requises: on voit très mal comment quelqu'un de foncièrement honnête aurait la moindre chance de grimper une à une les marches menant à la conquête du pouvoir. Les exemples pourraient être multipliés à l'infini. En bout de chaîne, ce qu'on constate, c'est que, pour ne repartir que de de Gaulle, tous les présidents de la République qu'on a eu se sont révélés être de fieffés menteurs, prêts à raconter des bobards aussi imposants que la Tour Eiffel. Pour un petit échantillon, voir, Les pires mensonges des présidents de la République. On pourrait remonter beaucoup plus loin dans le temps, évidemment. Rochefort avait lancé cette boutade, en son temps, que le seul gouvernement honnête que la France ait jamais eu fût celui de la Commune de 1871, qui fût aussi, incidemment, le seul gouvernement rouge de son histoire, pour deux petits mois (voir, La Commune de 1871, dans, La tripartition du champ politique au XIXème siècle).
Evidemment, ce que le public attend d'un bon gouvernant est aux antipodes de ce genre de qualité: des vertus touchant à l'honnêteté, au sens de l'intérêt général, aux capacités de prendre les bonnes décisions concernant ce qu'il est juste ou non de faire, et autres choses de cet ordre. Il ne serait sûrement pas exagéré d'aller jusqu'à dire que ceux qui seraient les plus aptes à bien gouverner n'ont, de toute façon, aucune appétence, ni talent pour grimper l'échelle des partis, pour qu'on ait, un jour, la moindre chance de les voir se présenter à une élection. Il faudrait ici, comme sur bien d'autres points, se rappeler en quoi consistait la fonction de chef dans les sociétés primitives, et pourquoi, dans certains cas limites, il fallait recourir à la coercition pour contraindre quelqu'un a accepté les tâches bien précises dévolues à la chefferie (voir, Chefferie archaïque vs chefferie primitive dans, Les sociétés archaïques et la redistribution). Beaucoup plus proche de nous, et donc aussi, pour cette raison, quelque chose qui devrait nous être bien plus familier, on retombe sur la forme-conseil et son système bien à lui de délégation du pouvoir, en contraste complet avec celui qu'on trouve dans le système des partis, et au sein duquel les vertus civiques qu'on décelait chez quelqu'un fournissaient les critères de choix (voir plus haut).
 En fait, si les gouvernants ont une compétence dont on ne peut douter, c'est celle qui leur a permis de grimper la hiérarchie du pouvoir: c'est ce qui définit le sens de l’expertise qu'ils détiennent. Mais, pour ce qui est de l'art de bien gouverner, absolument rien ne laisse à penser qu'ils seraient plus qualifiés qu'une assemblée de citoyens ordinaires; c'est même plutôt le contraire qu'on est enclin à penser, d'après tout ce qui précède. Prenons un cas parmi des centaines possibles, qui trouvera un écho dans l'actualité la plus brûlante, l’affaire de la grippe H1N1, en 2010. C'est une illusion complète de croire que ce sont des experts, mieux qualifiés que nous, qui décident en fin de compte. Ceux-ci se contentent d'exposer au ministre (R. Bachelot, à l'époque) diverses scénarii possibles de l'évolution future de la propagation du virus, qui ne s'accordent pas forcément entre elles, et, en dernier recours, ce sont les politiques qui tranchent, sans qu'ils aient plus de compétence pour le faire que n'importe quel autre groupement de citoyens qui aurait été consulté: a posteriori, on se rend compte, dix ans après, que la décision politique de commander une quantité astronomique de vaccins ne s'imposait pas, sauf, bien sûr, pour la prospérité des géants de l'industrie pharmaceutique qui ont engrangé des bénéfices records ( voir, L'affaire de la grippe H1N1 dans Les contraintes invisibles qui pèsent sur la pensée). Bien entendu, cela ne préjuge en rien des décisions à prendre pour l'actuelle pandémie; il serait totalement stupide de croire qu'une histoire comme celle-ci se reproduirait automatiquement suivant le même schéma. Le plus raisonnable dans ce genre de situation, et c'est d'autant plus à conseiller en cette ère de "post-vérité", où l'on est inondé d'un déluge de représentations phantasmatiques des événements, c'est de laisser le temps faire son oeuvre, qui seul pourra éventuellement décanter les choses, et, en attendant, de ne surtout pas se fier à l'ensemble des informations véhiculées partout, obéissant à la logique de la course à l'audimat, pour la raison essentielle qu'on a exposé au sujet du premier reproche fait au monde politico-médiatique...

 Conclusion
Au terme de l'ensemble de cette analyse, on s'autorisera donc à conclure que le système des partis politiques, pour des raisons qui tiennent à sa structure même, et non pas d'abord à la mauvaise qualité des individus qui le composeraient, comme s'il suffisait simplement de les remplacer par les bonnes personnes, est:
-parfaitement incompatible avec le projet d'une démocratie, ce qui, après tout, ne serait pas encore dramatique en soi. Après tout, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir d'autres formes de régime politique qui pourraient fonctionner dans la durée? L'histoire répond, sans aucun doute, que c'est possible.
- ce qui est vraiment grave, c'est qu'il est aussi, manifestement, incapable d'être à la mesure des gros problèmes auxquels nos sociétés vont bien devoir faire face à plus ou moins brève échéance, sans se voiler la face. La logique même suivant laquelle fonctionne le monde politico-médiatique, dans son ensemble, conduit à se former et se conforter dans des représentations proprement hallucinées du monde, comme on peut s'autoriser à le dire de tout ce qui précède, qui n'iront pas sans se heurter, à un moment ou à un autre, aux dures réalités de ce monde.
- Ce qu'on cherchera à penser, pour finir ce sujet, c'est la contradiction fondamentale, au coeur de la crise d'ordre systémique (vs ponctuel ou accidentel) qui fait de ces "démocraties" modernes des régimes destinés à être structurellement instables. Depuis des décennies qu'on parle d'une crise de la représentation politique, il doit sûrement s'agir d'autre chose que d'une simple grippe passagère, comme tout porte à le dire jusque là...


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