Mise à jour, 21-06-20
"Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin que je me souvienne l'horreur des tortures infligées aux bêtes (...) Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieures, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants, cherchant à s'enfouir sous terre, jusqu'à l'oie dont on cloue les pattes, jusqu'au cheval qu'on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l'homme. Et plus l'homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent." (Louise Michel)
."La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent." (Milan Kundera)
N'y allons pas par quatre chemins pour introduire ce sujet; on s'inspirera d'une remarque du primatologue F. de Waal: il avait assisté à un colloque où l'on dissertait à l'infini, sans arriver à se mettre d'accord, pour savoir comment se comporter avec les animaux, et s'il fallait tenir compte de ce qu'ils pouvaient éprouver, si tant est qu'ils éprouvent quelque chose, comme certains en doutaient; la question a finalement été vite réglée quand on a fait visionner à tout le monde la séquence d'un cochon qui hurlait de façon indescriptible en subissant une castration sans anesthésie. En ce sens, il est tout à fait certain que l' argument le plus percutant qu'on pourra jamais présenter ici en faveur de la cause animale, consistera à proposer de visionner ce documentaire de Shaun Monson, Earthlings, fruit de cinq années de travail, consacré aux traitements que nos sociétés industrielles réservent aux animaux, que ce soit dans les abattoirs, les laboratoires, les lieux d'élevage industriel, etc.:
J'ai moi-même pris le risque de le diffuser deux ou trois fois à des classes d'élèves de terminales et le résultat a été assez édifiant, quoiqu'assez prévisible, puisque certains ont dû quitter la salle, faute de pouvoir soutenir les images. Pour tout dire, je n'ai pas pu le montrer d'avantage de fois car il aurait été trop pénible, pour moi-même, de devoir
m'infliger cette chose en boucle tous les ans: une véritable honte (la
Vergogne aurait dit les Grecs anciens, qui ne rigolaient pas avec cette
vertu cardinale pour eux, qui fait qu'il y a certaines choses que l'on
ne peut pas se permettre) pour la très grande partie de l'humanité
actuelle. S'il y a bien ici une spécificité propre à l'humain, c'est au
sens où l'écrivain américain M. Twain en parlait et
dont il n'y a pas de raison valable de se glorifier:"L'homme est le seul animal qui rougit - ou à des raisons de le faire." (Cité par F. de Waal, Sommes-nous trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux?, p. 25)
Aussi puissante que puisse être la preuve par l'image, elle ne doit pourtant pas nous arrêter pour réfléchir à ce qui est en jeu ici. C'est très persuasif les images, mais, à partir de là, il faut bien trouver de quoi élaborer une narration qui donne sens à ce qui nous émeut ici. Alors, allons-y. Nous sommes, autant que l'on peut en juger, devant un énorme problème qui se pose et qui ne pourra être résolu, jouons tout de suite cartes sur table, qu'en plaidant pour des droits reconnus aux animaux. En théorie, il existe bien un embryon de législation qui a commencé à se constituer, à l'époque moderne, au XIXème siècle, interdisant certaines pratiques à leur égard, et pour commencer, les actes de cruauté. Il est donc bien censé y avoir un droit, aussi ténu soit-il, qui les protège. Mais, en pratique, comme le montre le documentaire ci-dessus, il n'en est à peu près pas tenu compte. De la même façon, il y a une conscience grandissante du grand public pour ce qui touche la condition animale comme l'atteste ce sondage de 2003 concluant que "96 % des Américains sont favorables à l'adoption de mesures limitant l'exploitation animale." (Donaldson et Kymlicka, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, p. 12) Mais, dans le même temps, le mouvement réel des choses va tout à fait en sens inverse: la production de viande d'abattoir, si les choses continuent à suivre ce cours, devrait doubler d'ici 2050 alors même que nous tuons déjà aujourd'hui 56 milliards d'animaux par an sans même compter les animaux aquatiques, suivant les chiffres que donnent Donaldson et Kymlicka. Ainsi qu'ils le récapitulent, si les partisans de la cause animale ont gagné çi et là des batailles, il faut bien se rendre à l'évidence que globalement ils ont perdu la guerre. Et il est possible ici de poser l'hypothèse radicale que cette défaite pourrait peut-être bien sonner le glas de l'humanité elle-même. Il s'agira de prendre au sérieux le verdict de M. Kundera. Nous sommes devant le spectacle d'une barbarie d'une ampleur telle qu'elle témoigne d'une terrible faillite morale de l'humanité dite "civilisée". En fait, comme l'a établi une étude parue dans l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis, si l'on prend comme point de repère de l'apparition de la dite "civilisation", la sédentarisation, autour de 10 000 ans avant J.-C., l'humanité aurait détruit 83 % des mammifères sauvages et 50 % des plantes. Mais surtout, le mouvement s'est emballé à l'époque actuelle; nous sommes désormais rentrés dans l'ère de la sixième extinction de masse des espèces depuis que la vie est apparue sur terre, à une date que l'on ne sait encore déterminer précisément (qui doit se situer quelque part entre 3,5 et 4 milliards d'années: la Terre, en raison de son intense activité géologique, ne nous a pas laissé de traces de cette origine, du moins dans l'état actuel de nos connaissances), celle-ci ayant la particularité d'être directement causée par l'activité humaine et d'être aussi la plus foudroyante. L'humanité ne représente pourtant que 0, 01 % de l'ensemble des espèces vivantes sur terre; elle s'est donc octroyée une place incroyablement disproportionnée au sein de la biodiversité nécessaire à l'équilibre de la vie, au point de mettre en péril aujourd'hui ses propres conditions de subsistance. Il faut bien admettre que nous sommes devenus une espèce terriblement invasive et meurtrière, si nous ne nous voilons pas la face. Nous soutiendrons la thèse voulant que l'humanité dite "civilisée" ne pourra espérer réaliser son propre salut que le jour où elle aura rétablit sa relation aux animaux en leur garantissant de pouvoir coexister en paix et en liberté avec nous. Autrement dit, le pari que nous ferons ici sera de prendre au mot M. Kundera et de dérouler le fil de son intuition pour observer jusqu'où elle pourra bien nous mener. Dissipons, à ce propos, une équivoque dans son propos. Lorsqu'il est question des "faillites de l'homme", la notion d''"homme" elle-même peut s'entendre en deux sens distincts. Parlons-nous de l'homme en tant qu'être générique, c'est-à-dire de l'espèce humaine (niveau phylogénique) ou de l'homme en tant qu'individu humain (niveau ontogénique)? Le contexte de la citation ne permet pas de trancher de façon claire et nette. Il faut alors préciser que nous nous situerons dans ce qui suit essentiellement au niveau phylogénique, à charge pour chacun de déterminer s'il répliquera ou non, à son échelle individuelle, cet enchaînement de faillites qui aurait conduit l'humanité là où elle en est aujourd'hui. Et il faut encore préciser autre chose: le concept d'espèce humaine est lui-même encore beaucoup trop indéterminé pour penser ce qui a dû se jouer dans la rupture survenue entre l'humain et l'animal. Ce qu'il faudra tâcher de cerner assez précisément, c'est le type d'humanité par lequel elle s'est faite, puisqu'il est clair, comme nous l'apprendra très vite l'anthropologie dans la suite, que cette supposée faillite de l'homme peut très difficilement s'appliquer à ce que nous avons appelé "les sociétés primitives".
Aussi puissante que puisse être la preuve par l'image, elle ne doit pourtant pas nous arrêter pour réfléchir à ce qui est en jeu ici. C'est très persuasif les images, mais, à partir de là, il faut bien trouver de quoi élaborer une narration qui donne sens à ce qui nous émeut ici. Alors, allons-y. Nous sommes, autant que l'on peut en juger, devant un énorme problème qui se pose et qui ne pourra être résolu, jouons tout de suite cartes sur table, qu'en plaidant pour des droits reconnus aux animaux. En théorie, il existe bien un embryon de législation qui a commencé à se constituer, à l'époque moderne, au XIXème siècle, interdisant certaines pratiques à leur égard, et pour commencer, les actes de cruauté. Il est donc bien censé y avoir un droit, aussi ténu soit-il, qui les protège. Mais, en pratique, comme le montre le documentaire ci-dessus, il n'en est à peu près pas tenu compte. De la même façon, il y a une conscience grandissante du grand public pour ce qui touche la condition animale comme l'atteste ce sondage de 2003 concluant que "96 % des Américains sont favorables à l'adoption de mesures limitant l'exploitation animale." (Donaldson et Kymlicka, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, p. 12) Mais, dans le même temps, le mouvement réel des choses va tout à fait en sens inverse: la production de viande d'abattoir, si les choses continuent à suivre ce cours, devrait doubler d'ici 2050 alors même que nous tuons déjà aujourd'hui 56 milliards d'animaux par an sans même compter les animaux aquatiques, suivant les chiffres que donnent Donaldson et Kymlicka. Ainsi qu'ils le récapitulent, si les partisans de la cause animale ont gagné çi et là des batailles, il faut bien se rendre à l'évidence que globalement ils ont perdu la guerre. Et il est possible ici de poser l'hypothèse radicale que cette défaite pourrait peut-être bien sonner le glas de l'humanité elle-même. Il s'agira de prendre au sérieux le verdict de M. Kundera. Nous sommes devant le spectacle d'une barbarie d'une ampleur telle qu'elle témoigne d'une terrible faillite morale de l'humanité dite "civilisée". En fait, comme l'a établi une étude parue dans l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis, si l'on prend comme point de repère de l'apparition de la dite "civilisation", la sédentarisation, autour de 10 000 ans avant J.-C., l'humanité aurait détruit 83 % des mammifères sauvages et 50 % des plantes. Mais surtout, le mouvement s'est emballé à l'époque actuelle; nous sommes désormais rentrés dans l'ère de la sixième extinction de masse des espèces depuis que la vie est apparue sur terre, à une date que l'on ne sait encore déterminer précisément (qui doit se situer quelque part entre 3,5 et 4 milliards d'années: la Terre, en raison de son intense activité géologique, ne nous a pas laissé de traces de cette origine, du moins dans l'état actuel de nos connaissances), celle-ci ayant la particularité d'être directement causée par l'activité humaine et d'être aussi la plus foudroyante. L'humanité ne représente pourtant que 0, 01 % de l'ensemble des espèces vivantes sur terre; elle s'est donc octroyée une place incroyablement disproportionnée au sein de la biodiversité nécessaire à l'équilibre de la vie, au point de mettre en péril aujourd'hui ses propres conditions de subsistance. Il faut bien admettre que nous sommes devenus une espèce terriblement invasive et meurtrière, si nous ne nous voilons pas la face. Nous soutiendrons la thèse voulant que l'humanité dite "civilisée" ne pourra espérer réaliser son propre salut que le jour où elle aura rétablit sa relation aux animaux en leur garantissant de pouvoir coexister en paix et en liberté avec nous. Autrement dit, le pari que nous ferons ici sera de prendre au mot M. Kundera et de dérouler le fil de son intuition pour observer jusqu'où elle pourra bien nous mener. Dissipons, à ce propos, une équivoque dans son propos. Lorsqu'il est question des "faillites de l'homme", la notion d''"homme" elle-même peut s'entendre en deux sens distincts. Parlons-nous de l'homme en tant qu'être générique, c'est-à-dire de l'espèce humaine (niveau phylogénique) ou de l'homme en tant qu'individu humain (niveau ontogénique)? Le contexte de la citation ne permet pas de trancher de façon claire et nette. Il faut alors préciser que nous nous situerons dans ce qui suit essentiellement au niveau phylogénique, à charge pour chacun de déterminer s'il répliquera ou non, à son échelle individuelle, cet enchaînement de faillites qui aurait conduit l'humanité là où elle en est aujourd'hui. Et il faut encore préciser autre chose: le concept d'espèce humaine est lui-même encore beaucoup trop indéterminé pour penser ce qui a dû se jouer dans la rupture survenue entre l'humain et l'animal. Ce qu'il faudra tâcher de cerner assez précisément, c'est le type d'humanité par lequel elle s'est faite, puisqu'il est clair, comme nous l'apprendra très vite l'anthropologie dans la suite, que cette supposée faillite de l'homme peut très difficilement s'appliquer à ce que nous avons appelé "les sociétés primitives".
Pour commencer ce cheminement, arrêtons nous déjà un peu sur ce fait que les pays dits "riches" souffre d'une sur-consommation de viande qui est un désastre à tout point de vue, sanitaire, écologique aussi bien que social. Ce n'est pas ici ce qui peut déjà fonder les droits des animaux (et de
loin pas), mais, du moins, cela doit commencer de nous inciter à
relâcher l'emprise de la (sur)exploitation que nous faisons d'eux. Les enquêtes faites à ce sujet montrent que dans ces pays, comme en France, on mange deux fois trop de viande relativement aux besoins de l'organisme en protéines (qui n'ont pas nécessairement à être de nature animale, est-il besoin de le préciser). Il en résulte, écologiquement, que l'une des principales causes du triple désastre en cours, tellurique (épuisement et empoisonnement des sols), atmosphérique (réchauffement climatique) et biologique (effondrement de la biodiversité) vient de l'élevage intensif d'animaux destinés aux abattoirs; pour se limiter à la production de GES (Gaz à Effet de Serre), voilà ce que représente un régime carné en équivalent de kilomètres parcourus en voiture, d'après cette étude:
Mais, c'est aussi directement, pour les populations humaines elles-mêmes que les conséquences sont terribles, et c'est ici que cause animale et cause humaine commencent à se donner la main, aux antipodes de ceux qui voudraient croire que le défenseur de la cause animale souffrirait d'une misanthropie maladive. C'est plutôt eux qui sont néfastes pour leur propre espèce en diffusant ce genre de préjugé: 80 % des terres arables et des pâturages, selon un rapport de la FAO (l'organisme des Nations-Unies qui travaillent sur les questions du droit à l'alimentation) servent à nourrir du bétail pendant qu'un milliard d'êtres humains souffrent de la famine. Il suffit simplement de comprendre que la production de viande nécessite une surface agricole considérable: pour obtenir un kilo de viande, il faut, en moyenne, 7 kilos de grain; il n'est donc pas étonnant, dans ces conditions, qu'il n'y ait plus assez de terres pour nourrir les populations humaines et que les denrées de base pour la subsistance finissent, de toute façon, par être trop chères pour les plus pauvres, suivant la "sacro-sainte loi de l'offre et de la demande":
Ainsi, on obtient l'obésité pour les uns et la misère pour les autres: c'est la situation absurde qui résulte de cette surexploitation. On voit donc bien combien il serait aberrant de vouloir opposer cause humaine et
cause animale, ou de trancher une priorité entre ce qui est fait aux uns
ou aux autres, puisqu'il s'agit de sortir de cette boucle infernale
dans laquelle animaux et humains en sont venus à
s'entre-dévorer, la sur-exploitation subie par les animaux impactant de
façon directe et dramatique le sort de milliards d'êtres humains: nous
les mangeons, dans des conditions de production épouvantables, mais, en
retour, les animaux d'élevage "dévorent les hommes"; c'est
précisément l'expression
qu'employait déjà Thomas More à propos des moutons accaparant les
pâturages, à la fin du XVème siècle: il
décrivait, en Angleterre, la situation catastrophique de ces paysans
pauvres, suite aux actes d'enclosure des terres, les ayant transformé en
une tourbe de mendiants, de vagabonds et de voleurs n'ayant plus accès
(légalement) à
la source nourricière de toute vie, la Terre, pour le profit des grands
propriétaires désireux d'accroître leur production de laine. La
situation actuelle n'est donc que le développement sur une échelle
planétaire de ce qui a commencé à se produire à ce moment là. Voilà
probablement une "faillite" majeure, inséparable de celle qui verra le jour, au XIXème siècle, avec la
Révolution industrielle, l'une appelant l'autre.
Si nous prenons en compte l'eau nécessaire à la production, une autre ressource vitale en voie de raréfaction, la disproportion est aussi énorme, jusqu'à atteindre des quantités vertigineuses pour la viande de boeuf, là aussi:
La démarche suivi ici conduira à soutenir qu'il faudra aller bien plus loin que de simplement desserrer le joug que nous imposons aux animaux, et remettre radicalement sur la table la question de notre relation à eux, pour établir positivement leurs droits. Pour les fonder, l'étape incontournable sera évidemment de se confronter aux objections les plus sérieuses qui sont habituellement faites contre un tel projet politique. Retenons en juste deux ici, qui pourraient sembler, de prime abord, rédhibitoires. Une première, parmi les plus souvent faites, dont on trouve des déclinaisons innombrables, est celle que donnait, par exemple, l'économiste W.
Block:" Si les animaux avaient vraiment des droits, alors le lion serait coupable de tuer l'antilope." Présentée ainsi, la question d'un droit reconnu aux animaux devient évidemment absurde. Nous pensons pourtant qu'une telle objection est loin d'être aussi définitive qu'elle en a l'air. Dans le cadre de la théorie politique de Donaldson et Kimlicka, elle se règle d'ailleurs assez facilement, comme on le verra dans la dernière partie. Une autre qui est déjà plus délicate à traiter, au coeur de la longue tradition de l'humanisme juridique, consiste à faire remarquer que c'est toujours nous qui prenons l'initiative d'accorder des droits aux animaux, ceux-ci étant condamnés à rester les sujets passifs de notre bon vouloir. Or, un droit, dira-t-on, pour être substantiel, ne se reçoit pas mais se conquiert. Si c'est nous qui accordons des droits aux animaux, rien ne pourra empêcher, le jour où nous changeons d'avis, de leur retirer comme bon nous semble. Comme le formulait un farouche adversaire de toute revendication de ce type, dans la plus pure tradition de l'humanisme juridique pour qui seul l'individu humain peut être un sujet de droit, "nous reconnaîtrons les Droits des animaux quand ils les réclameront". (Murray Rothbard, L'éthique de la liberté). Il n'y a guère, dira-t-on à l'appui de cet argument, que dans des scénarii de science-fiction comme La planète des singes que des animaux se révoltent contre la domination impitoyable que nous leur faisons subir. Le problème est donc de savoir s'il est possible de déterminer des droits des animaux alors même qu'ils semblent incapables, par nature, d'en revendiquer, d'aucune sorte. Le pari que nous ferons ici sera de trancher la question par l'affirmative en suivant la démarche suivante:
- Commencer par prendre au sérieux le verdict de Milan Kundera (qui n'était pas le seul à alerter l'humanité, en ce sens) qui nous enjoint absolument de revoir notre rapport aux animaux. Si c'est bien de là que vient, à son niveau le plus fondamental, la faillite morale d'une certaine humanité, alors il ne faudra rien espérer de bon tant que nous n'aurons pas réparer le lien brisé entre eux et nous.
- On mobilisera les acquis de l'éthologie (étude du comportement animal) dont nous disposons aujourd'hui qui convergent pour réduire considérablement le fossé que nous avons cru creuser entre les animaux et nous. Nombre de traits que nous avons longtemps pensé être propres à l'humanité se retrouvent, en fait, à des degrés divers, dans le monde animal, de sorte qu'il est possible aujourd'hui de donner une assise robuste aux concepts, créés par l'éthologie japonaise, de personne et de culture animales à l'aide desquels il sera envisageable de les appréhender comme des membres de plein droit d'une communauté humaine élargie. On rejoindra ainsi, par une voie complètement différente, ce qu'avait été, dans les sociétés primitives, la relation humain-animal. On sera sur le bon chemin pour restaurer notre lien aux animaux.
-Pour finir de dégager le terrain, il faudra alors se questionner sur ce qui fonde, en dernier recours, notre supériorité affichée sur eux, soit ce qu'il est convenu d'appeler "le spécisme"? Il apparaîtra que nous n'avons rien d'autre de solide à proposer que l'usage de la force brute. Cette supériorité apparaîtra comme extrêmement suspecte et pas nécessairement à notre avantage, en vertu de certains principes à la base de la vie elle-même et de son évolution.
-Nous aurons finalement de quoi étayer solidement la thèse plaidant pour la reconnaissance de droits aux animaux. Restera alors à déterminer leur contenu. Faut-il plaider pour des droits forts qui feraient d'eux nos égaux? Ou des droits faibles qui se contenteraient d'en appeler seulement à limiter leur exploitation tout en conservant l'idée de notre supériorité? Comme on a pu déjà le laisser entendre, c'est la version forte qui sera soutenue ici, tout en sachant qu'une telle position reste très minoritaire à l'heure actuelle. C'est, malgré tout, en ce sens que nous parlerons tout du long de "droits des animaux" (forme active) et non pas de "droits pour les animaux" (forme passive), qui est une dernière formulation qui ne peut ouvrir qu'à des droits faibles construits sur du sable, comme nos législations actuelles. Evidemment, la version forte impliquerait de renoncer à un nombre massif de pratiques aujourd'hui quasi-universellement répandues: ne pas les faire souffrir pour notre bon plaisir (corridas, combats d'animaux dressés dans ce but, etc.), ne pas les enfermer dans des zoos ou des cirques, des laboratoires ou des lieux d'élevages industriels, etc, mais, nouer avec eux des rapports fondés prioritairement sur la réciprocité (ce concept est à prendre ici au sens précis où il a été défini pour caractériser l'économie des sociétés primitives), en intégrant bien tous les services qu'ils nous rendent déjà, sans réclamer le moindre centime, ce qui soulèvera évidemment la question de savoir à quoi nous en tenir concernant les animaux que nous qualifions habituellement de "nuisibles" (au même titre d'ailleurs que ce nous appelons "les mauvaises herbes"). Qu'importe au fond que cette version forte soit marginale, pour l'heure: il fût un temps où les militants pour l'abolition de l'esclavage devaient se sentir bien seuls (voyez, par exemple, comment T. Paine a fini sa vie) et on verra dans la suite qu'il est possible, et même nécessaire, de pousser très loin le parallèle entre la colonisation esclavagiste des sociétés indigènes, aux effets très souvent génocidaires, et celle des sociétés animales. Déjà, il n'est sûrement pas anodin de remarquer que l'approche que nous avons eu, nous Occidentaux, des indigènes est en tout point semblable à celle que nous réservons aux animaux: à chaque fois, il s'est agi de se demander s'ils avaient ou non une âme, et, le plus souvent, la question a été tranchée par la négative, justifiant les pires exactions à leur endroit. Il est vrai que nous (re)partons de tellement loin que cette version forte ne pourra s'envisager que dans une perspective de long-terme; nous soutiendrons que c'est ce qu'il faut viser, soit, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Sue Donaldson et Will Kymlicka, la constitution d'une Zoopolis, c'est-à-dire, une communauté politique élargie à la gente animale.
-Pour finir de dégager le terrain, il faudra alors se questionner sur ce qui fonde, en dernier recours, notre supériorité affichée sur eux, soit ce qu'il est convenu d'appeler "le spécisme"? Il apparaîtra que nous n'avons rien d'autre de solide à proposer que l'usage de la force brute. Cette supériorité apparaîtra comme extrêmement suspecte et pas nécessairement à notre avantage, en vertu de certains principes à la base de la vie elle-même et de son évolution.
-Nous aurons finalement de quoi étayer solidement la thèse plaidant pour la reconnaissance de droits aux animaux. Restera alors à déterminer leur contenu. Faut-il plaider pour des droits forts qui feraient d'eux nos égaux? Ou des droits faibles qui se contenteraient d'en appeler seulement à limiter leur exploitation tout en conservant l'idée de notre supériorité? Comme on a pu déjà le laisser entendre, c'est la version forte qui sera soutenue ici, tout en sachant qu'une telle position reste très minoritaire à l'heure actuelle. C'est, malgré tout, en ce sens que nous parlerons tout du long de "droits des animaux" (forme active) et non pas de "droits pour les animaux" (forme passive), qui est une dernière formulation qui ne peut ouvrir qu'à des droits faibles construits sur du sable, comme nos législations actuelles. Evidemment, la version forte impliquerait de renoncer à un nombre massif de pratiques aujourd'hui quasi-universellement répandues: ne pas les faire souffrir pour notre bon plaisir (corridas, combats d'animaux dressés dans ce but, etc.), ne pas les enfermer dans des zoos ou des cirques, des laboratoires ou des lieux d'élevages industriels, etc, mais, nouer avec eux des rapports fondés prioritairement sur la réciprocité (ce concept est à prendre ici au sens précis où il a été défini pour caractériser l'économie des sociétés primitives), en intégrant bien tous les services qu'ils nous rendent déjà, sans réclamer le moindre centime, ce qui soulèvera évidemment la question de savoir à quoi nous en tenir concernant les animaux que nous qualifions habituellement de "nuisibles" (au même titre d'ailleurs que ce nous appelons "les mauvaises herbes"). Qu'importe au fond que cette version forte soit marginale, pour l'heure: il fût un temps où les militants pour l'abolition de l'esclavage devaient se sentir bien seuls (voyez, par exemple, comment T. Paine a fini sa vie) et on verra dans la suite qu'il est possible, et même nécessaire, de pousser très loin le parallèle entre la colonisation esclavagiste des sociétés indigènes, aux effets très souvent génocidaires, et celle des sociétés animales. Déjà, il n'est sûrement pas anodin de remarquer que l'approche que nous avons eu, nous Occidentaux, des indigènes est en tout point semblable à celle que nous réservons aux animaux: à chaque fois, il s'est agi de se demander s'ils avaient ou non une âme, et, le plus souvent, la question a été tranchée par la négative, justifiant les pires exactions à leur endroit. Il est vrai que nous (re)partons de tellement loin que cette version forte ne pourra s'envisager que dans une perspective de long-terme; nous soutiendrons que c'est ce qu'il faut viser, soit, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Sue Donaldson et Will Kymlicka, la constitution d'une Zoopolis, c'est-à-dire, une communauté politique élargie à la gente animale.
1) Questionnement autour de la"faillite fondamentale de l'homme"
a) Critères de civilisation et enjeux politiques de la défense de la cause animale
Posons nous déjà ces questions: qu'est ce que la civilisation? Et qu'est-ce qu'être civilisé? On a donné quantité de critères qui montrent que la réponse est loin d'être évidente. Parmi ceux-ci, il y en a un qui va nous retenir auquel on ne penserait pas forcément en premier, d'autant moins qu'il ne serait guère à notre avantage et aboutirait à un renversement assez complet de la hiérarchie que nous établissons habituellement entre les sociétés, à partir de critères plus conventionnels comme la naissance des villes; c'est celui que donnait un des grands défenseurs de la cause animale au XXème siècle, Gandhi:"On reconnaît le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses animaux". On peut assez facilement reformuler le sens de ce critère de civilisation dans les termes de Kundera; "le véritable test moral" est celui que nous passons au révélateur de notre comportement face à ceux qui sont sans défense face à nous; nul besoin d'être bon pour bien se comporter face à quelqu'un de deux fois plus fort que soi; or, les animaux sont ceux qui sont les plus vulnérables face à notre pouvoir: un lion, tout aussi fort qu'il soit, restera totalement impuissant face à un fusil ou un bulldozer qui vient dévaster son milieu de vie; c'est donc à leur endroit que se manifeste le degré d'élévation morale d'une société. Hélas, Il faut effectivement faire ici le constat d'une faillite qui se résume par le dicton bien connu donnant la formule complète de la lâcheté, un vice qui a largement contribué à produire les pires calamités dans l'histoire, auquel aurait souscrit sans réserve Louise Michel pour qualifier les tortionnaires des animaux:"Faible avec les forts, fort avec les faibles".
Posons nous déjà ces questions: qu'est ce que la civilisation? Et qu'est-ce qu'être civilisé? On a donné quantité de critères qui montrent que la réponse est loin d'être évidente. Parmi ceux-ci, il y en a un qui va nous retenir auquel on ne penserait pas forcément en premier, d'autant moins qu'il ne serait guère à notre avantage et aboutirait à un renversement assez complet de la hiérarchie que nous établissons habituellement entre les sociétés, à partir de critères plus conventionnels comme la naissance des villes; c'est celui que donnait un des grands défenseurs de la cause animale au XXème siècle, Gandhi:"On reconnaît le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses animaux". On peut assez facilement reformuler le sens de ce critère de civilisation dans les termes de Kundera; "le véritable test moral" est celui que nous passons au révélateur de notre comportement face à ceux qui sont sans défense face à nous; nul besoin d'être bon pour bien se comporter face à quelqu'un de deux fois plus fort que soi; or, les animaux sont ceux qui sont les plus vulnérables face à notre pouvoir: un lion, tout aussi fort qu'il soit, restera totalement impuissant face à un fusil ou un bulldozer qui vient dévaster son milieu de vie; c'est donc à leur endroit que se manifeste le degré d'élévation morale d'une société. Hélas, Il faut effectivement faire ici le constat d'une faillite qui se résume par le dicton bien connu donnant la formule complète de la lâcheté, un vice qui a largement contribué à produire les pires calamités dans l'histoire, auquel aurait souscrit sans réserve Louise Michel pour qualifier les tortionnaires des animaux:"Faible avec les forts, fort avec les faibles".
Cela dit, ce critère donné par Gandhi peut et doit être discuté, comme, en règle générale, tous les autres qu'on a donné pour définir la civilisation. On sera déjà tout de suite tenté de lui objecter la législation que les Nazis ont mis en place en faveur des animaux, alors qu'il serait quand même très compliqué de faire du IIIème Reich un modèle de civilisation; Hitler lui-même, paraît-il, était végétarien et aimait beaucoup sa chienne. C'est un point qui a fait l'objet de débats houleux de savoir si les Nazis ont réellement promu la cause animale ou s'il s'agissait d'une propagande mensongère. Comme c'est la règle générale, à l'époque moderne, bien au-delà du seul cas des Nazis, il faut distinguer entre ce qui est dit et ce qui est fait; dans la pratique, sous le régime hitlérien, la chasse, la pêche, les abattoirs industriels ou encore la vivisection sont restés plus que jamais en vigueur. De ce point de vue, les Nazis ne se sont pas comportés d'une façon fondamentalement différente de nos sociétés libérales: la même duplicité s'y retrouve: on fait le contraire de ce que l'on dit (Voir sur Wikipedia, Protection de la nature et des animaux sous le Troisième Reich, pour plus de développement). Il n'en reste pas moins que, parmi les premières législations visant à protéger les animaux à l'époque moderne, on trouve, exemple fort instructif, celle votée en France, en 1850, par un député bonapartiste, Jacques Delmas comte de Grammont. Nous avons affaire ici à un courant (certes pas le plus extrême) de la droite d'Ancien Régime, reconnue pour son aversion prononcée envers la démocratie. C'est un point sans aucun doute très important qui mériterait d'être creusé: pourquoi ce type de législation est d'abord venu d'un bord politique, en France du moins, pas spécialement recommandable, par ailleurs, en termes d'idéaux émancipateurs? On peut déjà proposer cette hypothèse de recherche: c'est un fait établi qu'un des axes forts de la droite d'Ancien Régime a été sa critique de la Révolution industrielle qui a fini par détruire de fond en comble les bases de la société féodale qui donnait l'assise à son pouvoir. Or, là aussi, c'est un autre fait difficilement contestable: avec l'avènement du système industriel, au XIXème siècle, c'est sans doute produite l'une des dernières grandes faillites de l'humanité dite "civilisée", celle qui l'a conduit à étendre sur une échelle sans précédent la torture et l'extermination des animaux. Partant de là, il est tout de suite moins étonnant de constater que la réaction de la société contre ce nouveau pallier franchi dans la barbarie soit plutôt venue de bords politiques réactionnaires que progressistes de gauche (noter cependant que ce fondement anti-industriel de la défense des animaux ne peut être appliqué aux Nazis, qui, eux, étaient littéralement fascinés par les innovations techniques de la civilisation industrielle: une preuve de plus de leur duplicité...). Les questions politiques qui en découlent, mettant en jeu la défense de la cause animale, sont assez évidentes, et de première importance. Peut-on faire partie du mouvement de défense de la cause animale, de façon cohérente, tout en se réclamant de bords politiques progressistes dits "de gauche" qui s'inscrivent, sans la distance critique nécessaire, dans le prolongement de la Révolution industrielle du XIXème siècle? Et les premiers socialismes (qu'il ne faut surtout pas confondre avec la gauche bourgeoise et républicaine, comme on l'a largement développé sur ce chantier), à cette même époque, qui ont ce dénominateur commun avec la droite réactionnaire d'Ancien Régime, de s'être eux aussi édifiés sur la base d'une critique de la civilisation industrielle, ne pourraient-ils pas offrir un cadre, éthique, politique et philosophique, d'une portée autrement plus émancipatrice, pour la défense de la cause animale? A ma connaissance (mais peut-être trouvera-t-on des exceptions en cherchant bien), les premiers socialismes ont été animés, pour l'essentiel, eux aussi, par une éthique de type humaniste auto-centrée ayant oublié d'élargir le champ de la question de l'émancipation jusqu'à y englober les animaux. Il est vrai que la condition ouvrière était, à cette époque, tellement misérable, qu'elle devait forcément accaparer tout le champ de la réflexion politique. Mais, le contexte n'est aujourd'hui plus le même. C'est un des points précis et cruciaux, à partir duquel il serait sûrement d'une grande importance de s'inspirer des premiers socialismes, pour réélaborer un projet d'émancipation humaine incluant cette fois la gente animale. (2)
b)Vers la faillite terminale?
Il est d'autant plus nécessaire d'envisager un tel projet politique qui lie cause humaine et cause animale dans un tout indissociable, dès lors que nous comprenons bien pourquoi, en s'inspirant d'une célèbre formule de K. Marx, le sort que nous réservons aujourd'hui aux animaux constitue, en quelque sorte, le miroir dans lequel nous pouvons contempler ce que l'homme risquera un jour d'infliger à l'homme. Le cas du pucage électronique est un premier exemple: quand une technique de cette sorte est d'abord appliquée aux animaux, qui fait d'ailleurs disparaître le métier de berger pour le remplacer par un travail de bureau derrière un écran de contrôle, ce qui, il faut bien en être conscient, conduit droit à son ultime développement la rupture de notre relation à eux, on peut anticiper assez facilement le risque que l'étape suivante sera de l'appliquer aux populations humaines pour donner naissance à une société de contrôle total. Cette tendance apparaît déjà clairement en gestation dans la gestion de l'actuelle pandémie du covid 19.
Cet enchaînement de l'animal à l'humain peut encore être abordé par un autre biais, celui de la violence jusqu'à ses formes les plus extrêmes. On sait que le XXème siècle n'a pas été avare en la matière (dans ce registre, le pire dans l'histoire de la civilisation occidentale avec le XIVème siècle, comme le font remarquer les historiens). On s'est beaucoup interrogé sur les causes de l'horreur qu'il a apporté. Il y en a peut-être une à laquelle on n'a pas assez réfléchi dont on peut au moins comprendre pourquoi elle a facilité son déchaînement; elle nous renvoie précisément à la question de notre rapport aux animaux, en permettant, d'ailleurs, d'éclairer sous un nouveau jour l'intuition de Kundera d'un enchaînement de faillites, à partir de celle qui aurait brisé initialement notre relation à eux:"Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté, qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes. Rappelons-nous, s'il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu'il y aurait moins d'enfants martyrs s'il y avait moins d'animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures, si nous n'avions pris l'habitude des fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en attendant l'abattoir." (Marguerite Yourcenar, Message à l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir) Voilà qui appelle au moins deux remarques. Premièrement, il faut bien voir ici pourquoi il y a dans le traitement que nous réservons aux animaux, un conditionnement invisible, diffus et informel, qui désensibilise l'humain à la violence, libérant tout son potentiel. Ce n'est pas un fantasme d'écrivain souffrant d'un excès de sentimentalisme, car c'est tout à fait le même esprit qu'on retrouve dans des types de conditionnement encore aujourd'hui pratiqués dans les armées pour désinhiber les soldats relativement à l'usage de la violence et en faire des machines à tuer, comme par exemple, dans la marine américaine:"La désensibilisation consistait à ordonner à ces sujets l'exécution de tâches banales tout en regardant un film où l'on mutilait ou tuait des êtres humains." (Della Luna et Cioni, Neuro-esclaves, p. 112) Par la répétition de ces associations dans l'esprit, l'acte de tuer ou torturer quelqu'un est lié inconsciemment à des choses banales et parfaitement inoffensives qui fait que tuer et torturer finissent par devenir, à leur tour, des choses de tout à fait ordinaires pour celui qui devra les accomplir: on a ainsi formé le parfait soldat qui pourra exécuter ses tâches criminelles froidement et méthodiquement. Il faut donc bien prendre garde au fait que le sort que nous réservons aux animaux, qui est un traintrain quotidien, nous prépare, en réalité, psychologiquement et idéalement, à infliger des choses de même nature à nos congénères, sans que nous en ayons la moindre conscience: c'est ici que peut commencer à s'éclarcir aussi cette précision, de prime abord assez énigmatique, qu'apportait Kundera, lorsqu'il situait le test moral passé au révélateur de notre rapport aux animaux," à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard". Il est clair, en tout cas, que nous subissons généralement ce genre de conditionnement complètement à notre insu. On serait facilement tenté de croire que cela concernerait surtout les travailleurs appelés à collaborer quotidiennement dans cette industrie, et d'abord ceux dans les abattoirs. Il faut infiniment plus élargir le focus, une première fois, à tous les maillons de la chaîne, de la production à la vente: le conducteur de locomotive, qui acheminait les déportés vers Auschwitz, était aussi nécessaire à l'organisation de l'extermination que le Waffen SS qui liquidait physiquement les gens, et il n'avait aucun besoin d'être un monstre, mais simplement quelqu'un qui était déjà conditionné pour être désensibilisé relativement à la monstruosité de ce à quoi il collaborait. Ensuite, au niveau le plus général, c'est bien l'indifférence du reste de la population, habituée, dans sa routine quotidienne, à voir passer les convois d'animaux qui pose problème ( aujourd'hui on s'arrange, paraît-il, pour les faire circuler, de préférence, aux heures creuses de la nuit). Si on réfléchit bien à tout ceci, on voit qu'il est impossible de séparer nettement la question qui met en jeu notre relation aux animaux de celle que pose notre relation à nos semblables, la première conditionnant la seconde.
C'est donc bien d'abord notre rapport aux animaux qu'il faut interroger. Ici, il ne faudrait pas se laisser induire en erreur par la concession que M. Yourcenar nous fait: ce qui pose avant tout problème, c'est cette attitude, totalement auto-centrée, qui nous conduit à "toujours tout ramener à nous-mêmes". Tout humain (nul besoin d'être exceptionnel) dispose en lui de trois facultés qui sont les plus élevées, parmi toutes les autres, et qui sont précisément celles qui doivent, par leur développement, éviter tout risque de verser dans une telle barbarie. Celle qui est ici le plus directement en jeu est ce qu'on appelle "la capacité à décentrer son existence", que l'on peut aussi appeler "empathie imaginative": c'est cette faculté qui nous rend capable de nous mettre en imagination à la place d'un autre que nous, dans ce cas-ci, l'animal que nous faisons souffrir et détruisons suivant le pouvoir que nous détenons sur lui. On est tenté ici, histoire de faire un pied-de-nez à l'humanisme auto-centré, d'illustrer en quoi consiste cette faculté par un exemple emprunté... aux grands singes, le Bonobo, chez qui cette faculté se manifeste de la façon la plus nette qui soit; c'est l'histoire d'une femelle, Kuni, qui avait recueilli un étourneau qui s'était échoué dans son enclos au zoo de Twycross, en Angleterre. Après deux efforts infructueux pour le faire redécoller, elle "grimpa au sommet de l'arbre le plus élevé des environs, enserrant le tronc de ses jambes pour avoir les deux mains libres. Ensuite, elle déplia soigneusement les ailes de l'oiseau, les ouvrit toutes grandes, avant de le projeter aussi fort qu'elle put au-delà des limites de l'enclos." (F. de Waal, Bonobo le bonheur d'être singe, p. 156) Kuni atteste ainsi qu'elle est capable d'adopter la perspective de l'animal appartenant à une toute autre espèce qu'elle, de comprendre ses besoins, et, à partir de là, de lui venir en aide de la façon adéquate. C'est une des choses que rend possible l'activation de l'empathie imaginative.
Si l'on veut vraiment prendre au sérieux le verdict de M. Kundera, il n'y aura rien à attendre de bon d'un certain type d'humain tant qu'il n'aura pas réactivé cette faculté jusqu'à la porter au degré précis où il sera en mesure de se mettre en imagination à la place de ceux qui sont les plus à sa merci, les animaux. Donnons en une illustration très simple: les agriculteurs qui aspergent leur champ avec du glyphosate le font désormais avec des combinaisons qui les protègent des effets toxiques de cette substance; mais les vers, eux, qui vivent dans les sols et les entretiennent, n'ont absolument rien de ce genre pour se protéger. Ne pas arriver ici à se mettre à la place des vers et autre animaux peuplant les sous-sols résume tout d'un auto-centrisme narcissique (le comble de la bêtise étant ce genre de propos paru dans un journal en vogue qui imputait l'étiquette de narcissique à l'ensemble du mouvement de défense de la cause animale). On s'en fiche des vers, dira-t-on peut-être, ils ont un cerveau microscopique, si tant est qu'ils en aient un; quand ils ne seront plus là, on les remplacera par des robots miniaturisés pour faire le même travail.
b)Vers la faillite terminale?
Il est d'autant plus nécessaire d'envisager un tel projet politique qui lie cause humaine et cause animale dans un tout indissociable, dès lors que nous comprenons bien pourquoi, en s'inspirant d'une célèbre formule de K. Marx, le sort que nous réservons aujourd'hui aux animaux constitue, en quelque sorte, le miroir dans lequel nous pouvons contempler ce que l'homme risquera un jour d'infliger à l'homme. Le cas du pucage électronique est un premier exemple: quand une technique de cette sorte est d'abord appliquée aux animaux, qui fait d'ailleurs disparaître le métier de berger pour le remplacer par un travail de bureau derrière un écran de contrôle, ce qui, il faut bien en être conscient, conduit droit à son ultime développement la rupture de notre relation à eux, on peut anticiper assez facilement le risque que l'étape suivante sera de l'appliquer aux populations humaines pour donner naissance à une société de contrôle total. Cette tendance apparaît déjà clairement en gestation dans la gestion de l'actuelle pandémie du covid 19.
Cet enchaînement de l'animal à l'humain peut encore être abordé par un autre biais, celui de la violence jusqu'à ses formes les plus extrêmes. On sait que le XXème siècle n'a pas été avare en la matière (dans ce registre, le pire dans l'histoire de la civilisation occidentale avec le XIVème siècle, comme le font remarquer les historiens). On s'est beaucoup interrogé sur les causes de l'horreur qu'il a apporté. Il y en a peut-être une à laquelle on n'a pas assez réfléchi dont on peut au moins comprendre pourquoi elle a facilité son déchaînement; elle nous renvoie précisément à la question de notre rapport aux animaux, en permettant, d'ailleurs, d'éclairer sous un nouveau jour l'intuition de Kundera d'un enchaînement de faillites, à partir de celle qui aurait brisé initialement notre relation à eux:"Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté, qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes. Rappelons-nous, s'il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu'il y aurait moins d'enfants martyrs s'il y avait moins d'animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures, si nous n'avions pris l'habitude des fourgons où des bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en attendant l'abattoir." (Marguerite Yourcenar, Message à l'oeuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir) Voilà qui appelle au moins deux remarques. Premièrement, il faut bien voir ici pourquoi il y a dans le traitement que nous réservons aux animaux, un conditionnement invisible, diffus et informel, qui désensibilise l'humain à la violence, libérant tout son potentiel. Ce n'est pas un fantasme d'écrivain souffrant d'un excès de sentimentalisme, car c'est tout à fait le même esprit qu'on retrouve dans des types de conditionnement encore aujourd'hui pratiqués dans les armées pour désinhiber les soldats relativement à l'usage de la violence et en faire des machines à tuer, comme par exemple, dans la marine américaine:"La désensibilisation consistait à ordonner à ces sujets l'exécution de tâches banales tout en regardant un film où l'on mutilait ou tuait des êtres humains." (Della Luna et Cioni, Neuro-esclaves, p. 112) Par la répétition de ces associations dans l'esprit, l'acte de tuer ou torturer quelqu'un est lié inconsciemment à des choses banales et parfaitement inoffensives qui fait que tuer et torturer finissent par devenir, à leur tour, des choses de tout à fait ordinaires pour celui qui devra les accomplir: on a ainsi formé le parfait soldat qui pourra exécuter ses tâches criminelles froidement et méthodiquement. Il faut donc bien prendre garde au fait que le sort que nous réservons aux animaux, qui est un traintrain quotidien, nous prépare, en réalité, psychologiquement et idéalement, à infliger des choses de même nature à nos congénères, sans que nous en ayons la moindre conscience: c'est ici que peut commencer à s'éclarcir aussi cette précision, de prime abord assez énigmatique, qu'apportait Kundera, lorsqu'il situait le test moral passé au révélateur de notre rapport aux animaux," à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard". Il est clair, en tout cas, que nous subissons généralement ce genre de conditionnement complètement à notre insu. On serait facilement tenté de croire que cela concernerait surtout les travailleurs appelés à collaborer quotidiennement dans cette industrie, et d'abord ceux dans les abattoirs. Il faut infiniment plus élargir le focus, une première fois, à tous les maillons de la chaîne, de la production à la vente: le conducteur de locomotive, qui acheminait les déportés vers Auschwitz, était aussi nécessaire à l'organisation de l'extermination que le Waffen SS qui liquidait physiquement les gens, et il n'avait aucun besoin d'être un monstre, mais simplement quelqu'un qui était déjà conditionné pour être désensibilisé relativement à la monstruosité de ce à quoi il collaborait. Ensuite, au niveau le plus général, c'est bien l'indifférence du reste de la population, habituée, dans sa routine quotidienne, à voir passer les convois d'animaux qui pose problème ( aujourd'hui on s'arrange, paraît-il, pour les faire circuler, de préférence, aux heures creuses de la nuit). Si on réfléchit bien à tout ceci, on voit qu'il est impossible de séparer nettement la question qui met en jeu notre relation aux animaux de celle que pose notre relation à nos semblables, la première conditionnant la seconde.
C'est donc bien d'abord notre rapport aux animaux qu'il faut interroger. Ici, il ne faudrait pas se laisser induire en erreur par la concession que M. Yourcenar nous fait: ce qui pose avant tout problème, c'est cette attitude, totalement auto-centrée, qui nous conduit à "toujours tout ramener à nous-mêmes". Tout humain (nul besoin d'être exceptionnel) dispose en lui de trois facultés qui sont les plus élevées, parmi toutes les autres, et qui sont précisément celles qui doivent, par leur développement, éviter tout risque de verser dans une telle barbarie. Celle qui est ici le plus directement en jeu est ce qu'on appelle "la capacité à décentrer son existence", que l'on peut aussi appeler "empathie imaginative": c'est cette faculté qui nous rend capable de nous mettre en imagination à la place d'un autre que nous, dans ce cas-ci, l'animal que nous faisons souffrir et détruisons suivant le pouvoir que nous détenons sur lui. On est tenté ici, histoire de faire un pied-de-nez à l'humanisme auto-centré, d'illustrer en quoi consiste cette faculté par un exemple emprunté... aux grands singes, le Bonobo, chez qui cette faculté se manifeste de la façon la plus nette qui soit; c'est l'histoire d'une femelle, Kuni, qui avait recueilli un étourneau qui s'était échoué dans son enclos au zoo de Twycross, en Angleterre. Après deux efforts infructueux pour le faire redécoller, elle "grimpa au sommet de l'arbre le plus élevé des environs, enserrant le tronc de ses jambes pour avoir les deux mains libres. Ensuite, elle déplia soigneusement les ailes de l'oiseau, les ouvrit toutes grandes, avant de le projeter aussi fort qu'elle put au-delà des limites de l'enclos." (F. de Waal, Bonobo le bonheur d'être singe, p. 156) Kuni atteste ainsi qu'elle est capable d'adopter la perspective de l'animal appartenant à une toute autre espèce qu'elle, de comprendre ses besoins, et, à partir de là, de lui venir en aide de la façon adéquate. C'est une des choses que rend possible l'activation de l'empathie imaginative.
Si l'on veut vraiment prendre au sérieux le verdict de M. Kundera, il n'y aura rien à attendre de bon d'un certain type d'humain tant qu'il n'aura pas réactivé cette faculté jusqu'à la porter au degré précis où il sera en mesure de se mettre en imagination à la place de ceux qui sont les plus à sa merci, les animaux. Donnons en une illustration très simple: les agriculteurs qui aspergent leur champ avec du glyphosate le font désormais avec des combinaisons qui les protègent des effets toxiques de cette substance; mais les vers, eux, qui vivent dans les sols et les entretiennent, n'ont absolument rien de ce genre pour se protéger. Ne pas arriver ici à se mettre à la place des vers et autre animaux peuplant les sous-sols résume tout d'un auto-centrisme narcissique (le comble de la bêtise étant ce genre de propos paru dans un journal en vogue qui imputait l'étiquette de narcissique à l'ensemble du mouvement de défense de la cause animale). On s'en fiche des vers, dira-t-on peut-être, ils ont un cerveau microscopique, si tant est qu'ils en aient un; quand ils ne seront plus là, on les remplacera par des robots miniaturisés pour faire le même travail.
Voilà effectivement la pente que suit l'humanité actuelle: un monde de plus en plus cybernétisé nous conduisant droit vers l'élimination de la vie au profit d'un univers d'artefacts bio-technologiques. C'est peut-être bien ici la dernière grande faillite à venir de l'humanité, si nous n'y prenons garde, car il est permis de se demander si elle ne sera pas, finalement, la dernière de toutes (là où nous nageons de nouveau en pleine bêtise, c'est quand on lit des articles de la même espèce que celui évoqué juste au-dessus qui prétendent discréditer la cause animale en montrant qu'elle serait le Cheval de Troie des bio-technologies, sans se donner la peine de faire la moindre distinction en son sein, ici aussi) (2).
c) L'âge de pierre de l'humanité d'avant les faillites successives: la parenté humain-animal dans les sociétés dites "primitives"
Si on y revient, on se rend compte finalement que le critère de civilisation que formulait Gandhi ne résiste pas si mal que cela à un examen approfondi de ce qui est en jeu dans notre relation aux animaux. Si on devait vraiment l'appliquer, alors, comme on l'avait déjà laissé entendre, on serait conduit à renverser du tout au tout la pyramide civilisationnelle, et les Sauvages des sociétés primitives qui étaient censés être au degré 0 devraient, fort logiquement, se retrouver tout en haut, pendant que les sociétés occidentales qui ont pensé les faire s'élever, seraient à situer assez bas. On voit venir ici les objections habituelles. Tuer les animaux n'est-il pas un comportement universel que l'on retrouve dans toutes les sociétés, de tout temps, et, en premier, chez celles des dits "Sauvages"? La chasse n'est-elle pas aussi vieille que l'humanité elle-même? Et n'est-il pas dans l'ordre des choses que l'humanité cherche à exploiter les animaux pour assurer sa propre subsistance, comme les animaux eux-mêmes se mangent les uns les autres pour survivre? Concédons tout de suite que l'humanité occidentale n'a pas le monopole de la maltraitance des animaux, loin s'en faut; elle est devenue aujourd'hui, comme nous l'avons déjà signalé, quasi-universelle, ce qui mesure bien toute l'étendue du problème auquel nous sommes aujourd'hui confrontés.
Il n'en reste pas moins que ces objections reposent sur une ignorance complète des sociétés que nous qualifions de "primitives". Abordons la chose sous l'angle de la question de la chasse, justement. Dans notre imaginaire d'Occidentaux, cette activité est l'expression, par excellence, des instincts carnassiers et brutaux de l'humanité qui se seraient, partout et toujours, manifestés. Partant de là, le projet de reconnaître des droits aux animaux ne pourrait être le fait que de doux rêveurs souffrant d'un excès de sentimentalisme et incapables d'intégrer ces données élémentaires de la "nature humaine" qui fait que serait inscrit dans nos gènes une férocité qui nous aurait amené, de tout temps, à tuer les animaux, d'abord pour simplement survivre, ensuite, une fois libéré de la pression de notre milieu, par simple plaisir sadique. Si l'on osait reprendre une formule chère à J. Goebbels, on dirait que ces petites natures souffrent "d'une inhibition maladive face à l'usage de la force". Plus consensuellement, la représentation des choses qui prévaut dans les milieux scientifiques, depuis le milieu du siècle dernier, consiste à dire que l'humanité aurait cédé inexorablement à ces instincts brutaux le jour où elle a abandonné "le régime frugivore des grands singes pour se tourner vers la chasse au gros gibier..." (M. Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale, p. 95) Le point à partir duquel s'est faite cette divergence avec les grands singes (chimpanzé, bonobo, gorille, orang-outan, gibbons..) reste tout à fait obscur pour la recherche préhistorique, et doit se situer quelque part autour de 6 millions d'années, il y a donc déjà un bon bout de temps. Le régime frugivore est à base de fruits et donc végétarien, même s'il faut préciser que les grands singes peuvent, à l'occasion, manger de la viande, mais elle ne représente qu'une toute petite fraction de leur nourriture, à peine 1 % chez les Bonobos, par exemple. Le "péché originel" de l'humanité, se situerait donc au moment précis où elle a abandonné ce régime pour s'engager dans la consommation de viande; on trouverait d'ailleurs dans les religions judéo-chrétienne ou gréco-romaine des traces d'une représentation similaire des origines du mal auquel a succombé l'humanité. Cette façon foncièrement pessimiste de se représenter l'origine de l'humanité a été considérablement renforcée par les interprétations extrêmement discutables qu'a fait R. Dart de sa découverte en 1925 du premier fossile de l'Australopithecus africanus, tenu comme notre plus lointain ancêtre, ayant vécu autour de trois millions d'années. Dart le présentait comme "un carnivore qui dévorait ses proies vivantes, les démembrait et apaisait sa soif en buvant leur sang encore chaud." (F. de Waal, Bonobo le bonheur d'être singe, p. 2) C'est à partir de là qu'on en a tiré une vulgarisation de ce que devait être notre plus lointain ancêtre, qui s'est diffusée dans l'esprit du grand public, via les livres de R. Aldrey, et dont on trouve la représentation cinématographique la plus fameuse dans la scène inaugurale du film de S. Kubrick, 2001 Odyssée de l'espace. Par une mystérieuse mutation, ce très lointain ancêtre serait passé subitement du régime végétarien des grands singes à un régime carnivore, destinant d'emblée l'humanité à la férocité et à la brutalité, sans qu'elle ait pu avoir le temps de développer des inhibitions pour éviter que ses membres s'entretuent, comme c'est le cas chez les grands prédateurs (lion, loup, requin, etc.). En réalité, il est tout à fait douteux que ce récit corresponde à la réalité, d'après ce qu'ont pu nous apprendre les fouilles préhistoriques ultérieures; on serait plutôt porté à conclure que notre plus lointain ancêtre devait d'avantage se situer du côté des proies que des prédateurs dans la chaîne de la vie:"Ironiquement, on pense aujourd'hui que l'australopithèque, loin d'avoir été un prédateur, fut l'une des proies préférées des grands carnivores. Les dommages infligés aux crânes fossiles, où Dart voyait l'oeuvre d'hommes-singes armés de massues, se révèlent parfaitement conformes à ce qu'on sait de l'action prédatrice des léopards et des hyènes. Il se pourrait donc que les débuts de notre lignée aient été marqués non par la férocité, mais par la peur." (ibid., p. 3)
En fait, en l'état actuel, la conversion du genre Homo à la consommation de viande est encore mal située dans le temps, pour la connaissance préhistorique: elle remonte au moins à Homo habilis, autour de 2,5 millions d'années. Comme le rapporte le préhistorien P. Depaepe, le plus plausible est que les premiers Homos aient d'abord été des charognards, puisqu'il s'agissait là du moyen le plus direct pour se procurer, à peu de frais, de la viande. Toutefois, il ne faut pas s'arrêter à la réaction de dégoût qu'on pourrait avoir ici, car, il faut bien admettre aussi les avantages qu'a eu la conversion à un régime carné pour l'humanité, (et je suis d'autant plus à l'aise pour souligner ce point que que je ne consomme pas de viande: il faut bien voir que nous parlons ici de temps extrêmement réculés, et ce qui pouvait être valable à cette période là ne l'est plus nécessairement aujourd'hui). En effet, la viande contient une concentration en protéines et en vitamines bien plus importante que dans les fruits et légumes, ce qui a permis d'obtenir un accroissement sensible de l'approvisionnement énergétique pour nos très lointains ancêtres. Cela a certainement eu des répercussions facilitant le processus d'hominisation, et, en premier lieu, pour ces deux caractéristiques essentielles que sont l'acroissement de la taille du cerveau et le développement de la bipédie, qui demandent beaucoup d'énergie. En outre, on peut aussi supposer qu'il a pu en résulter une complexification des formes d'organisation sociale, ne serait-ce que pour mettre au point, ultérieurement, les techniques de chasse. Est-ce pour autant que le prix à payer pour obtenir ces avantages a pu être cette "faillite fondamentale de l'homme" qui aurait libéré ses instincts carnassiers, à partir de ce moment là?
Le problème de cette conception, c'est qu'elle colle mal avec ce que nous a appris l'anthropologie sur l'esprit des pratiques de chasse de sociétés de chasseurs-collecteurs dites, "primitives". Pour elles, le gibier n'est pas considéré comme une simple source de subsistance mais comme une personne pleine et entière avec laquelle le chasseur possède des liens de parenté qui fait qu'il doit le considérer avec le plus grand respect. Ce que note l'anthropologue Philippe Descola à propos d'une tribu d'Amazonie en donne une illustration parmi bien d'autres possibles; sa relation à l'ensemble des êtres vivants (pas seulement les animaux, faut-il le préciser, mais aussi les plantes) est pleinement intégrée à la communauté humaine et se constitue suivant un dialogue de personne à personne et absolument pas suivant celle d'un sujet exploitant une ressource:"Ce qui m’a le plus frappé, c’est que les Achuar traitaient les non-humains, tous les éléments de leur environnement, comme des partenaires sociaux, des êtres humains. Ils entraient en communication avec eux par le moyen des rêves et d’incantations. On ne pouvait donc pas considérer que les non-humains étaient seulement une source de subsistance." (L'opposition entre la culture et la nature n'est pas universelle) Prenons un autre exemple précisant mieux ce qu'il faut entendre par là, celui de la chasse à la chèvre pratiquée chez les Indiens de la rivière Thompson en Amérique du Nord-Ouest ainsi que le relatait l'anthropologue C. Lévi-Strauss:"Quand tu tueras des chèvres, traite leur corps avec respect car ce sont des personnes. Ne tire pas les femelles: elles furent tes épouses et te donneront des enfants. Ne tue pas les petits qui sont peut-être ta progéniture. Tire seulement tes beaux-frères, les mâles." (Cité par M. Sahlins, ibid., p. 94) Ce cas peut être sans problème généralisé à l'ensemble des sociétés "primitives" de sorte qu'on est amené à dire que, dans ce cadre là, et complètement à rebours de nos propres moeurs, "l'ethnographie nous prouve plutôt que la chasse a plus à voir avec l'amour qu'avec la guerre." (ibid., p. 95) C'est ce qui rend compte du fait que, comme l'avait rapporté P. Clastres, dans la langue des Guayakis d'Amazonie, le mot "tyku" signifie à la fois l'acte de se nourrir et celui de faire l'amour.
Il n'en reste pas moins que ces objections reposent sur une ignorance complète des sociétés que nous qualifions de "primitives". Abordons la chose sous l'angle de la question de la chasse, justement. Dans notre imaginaire d'Occidentaux, cette activité est l'expression, par excellence, des instincts carnassiers et brutaux de l'humanité qui se seraient, partout et toujours, manifestés. Partant de là, le projet de reconnaître des droits aux animaux ne pourrait être le fait que de doux rêveurs souffrant d'un excès de sentimentalisme et incapables d'intégrer ces données élémentaires de la "nature humaine" qui fait que serait inscrit dans nos gènes une férocité qui nous aurait amené, de tout temps, à tuer les animaux, d'abord pour simplement survivre, ensuite, une fois libéré de la pression de notre milieu, par simple plaisir sadique. Si l'on osait reprendre une formule chère à J. Goebbels, on dirait que ces petites natures souffrent "d'une inhibition maladive face à l'usage de la force". Plus consensuellement, la représentation des choses qui prévaut dans les milieux scientifiques, depuis le milieu du siècle dernier, consiste à dire que l'humanité aurait cédé inexorablement à ces instincts brutaux le jour où elle a abandonné "le régime frugivore des grands singes pour se tourner vers la chasse au gros gibier..." (M. Sahlins, La nature humaine une illusion occidentale, p. 95) Le point à partir duquel s'est faite cette divergence avec les grands singes (chimpanzé, bonobo, gorille, orang-outan, gibbons..) reste tout à fait obscur pour la recherche préhistorique, et doit se situer quelque part autour de 6 millions d'années, il y a donc déjà un bon bout de temps. Le régime frugivore est à base de fruits et donc végétarien, même s'il faut préciser que les grands singes peuvent, à l'occasion, manger de la viande, mais elle ne représente qu'une toute petite fraction de leur nourriture, à peine 1 % chez les Bonobos, par exemple. Le "péché originel" de l'humanité, se situerait donc au moment précis où elle a abandonné ce régime pour s'engager dans la consommation de viande; on trouverait d'ailleurs dans les religions judéo-chrétienne ou gréco-romaine des traces d'une représentation similaire des origines du mal auquel a succombé l'humanité. Cette façon foncièrement pessimiste de se représenter l'origine de l'humanité a été considérablement renforcée par les interprétations extrêmement discutables qu'a fait R. Dart de sa découverte en 1925 du premier fossile de l'Australopithecus africanus, tenu comme notre plus lointain ancêtre, ayant vécu autour de trois millions d'années. Dart le présentait comme "un carnivore qui dévorait ses proies vivantes, les démembrait et apaisait sa soif en buvant leur sang encore chaud." (F. de Waal, Bonobo le bonheur d'être singe, p. 2) C'est à partir de là qu'on en a tiré une vulgarisation de ce que devait être notre plus lointain ancêtre, qui s'est diffusée dans l'esprit du grand public, via les livres de R. Aldrey, et dont on trouve la représentation cinématographique la plus fameuse dans la scène inaugurale du film de S. Kubrick, 2001 Odyssée de l'espace. Par une mystérieuse mutation, ce très lointain ancêtre serait passé subitement du régime végétarien des grands singes à un régime carnivore, destinant d'emblée l'humanité à la férocité et à la brutalité, sans qu'elle ait pu avoir le temps de développer des inhibitions pour éviter que ses membres s'entretuent, comme c'est le cas chez les grands prédateurs (lion, loup, requin, etc.). En réalité, il est tout à fait douteux que ce récit corresponde à la réalité, d'après ce qu'ont pu nous apprendre les fouilles préhistoriques ultérieures; on serait plutôt porté à conclure que notre plus lointain ancêtre devait d'avantage se situer du côté des proies que des prédateurs dans la chaîne de la vie:"Ironiquement, on pense aujourd'hui que l'australopithèque, loin d'avoir été un prédateur, fut l'une des proies préférées des grands carnivores. Les dommages infligés aux crânes fossiles, où Dart voyait l'oeuvre d'hommes-singes armés de massues, se révèlent parfaitement conformes à ce qu'on sait de l'action prédatrice des léopards et des hyènes. Il se pourrait donc que les débuts de notre lignée aient été marqués non par la férocité, mais par la peur." (ibid., p. 3)
En fait, en l'état actuel, la conversion du genre Homo à la consommation de viande est encore mal située dans le temps, pour la connaissance préhistorique: elle remonte au moins à Homo habilis, autour de 2,5 millions d'années. Comme le rapporte le préhistorien P. Depaepe, le plus plausible est que les premiers Homos aient d'abord été des charognards, puisqu'il s'agissait là du moyen le plus direct pour se procurer, à peu de frais, de la viande. Toutefois, il ne faut pas s'arrêter à la réaction de dégoût qu'on pourrait avoir ici, car, il faut bien admettre aussi les avantages qu'a eu la conversion à un régime carné pour l'humanité, (et je suis d'autant plus à l'aise pour souligner ce point que que je ne consomme pas de viande: il faut bien voir que nous parlons ici de temps extrêmement réculés, et ce qui pouvait être valable à cette période là ne l'est plus nécessairement aujourd'hui). En effet, la viande contient une concentration en protéines et en vitamines bien plus importante que dans les fruits et légumes, ce qui a permis d'obtenir un accroissement sensible de l'approvisionnement énergétique pour nos très lointains ancêtres. Cela a certainement eu des répercussions facilitant le processus d'hominisation, et, en premier lieu, pour ces deux caractéristiques essentielles que sont l'acroissement de la taille du cerveau et le développement de la bipédie, qui demandent beaucoup d'énergie. En outre, on peut aussi supposer qu'il a pu en résulter une complexification des formes d'organisation sociale, ne serait-ce que pour mettre au point, ultérieurement, les techniques de chasse. Est-ce pour autant que le prix à payer pour obtenir ces avantages a pu être cette "faillite fondamentale de l'homme" qui aurait libéré ses instincts carnassiers, à partir de ce moment là?
Le problème de cette conception, c'est qu'elle colle mal avec ce que nous a appris l'anthropologie sur l'esprit des pratiques de chasse de sociétés de chasseurs-collecteurs dites, "primitives". Pour elles, le gibier n'est pas considéré comme une simple source de subsistance mais comme une personne pleine et entière avec laquelle le chasseur possède des liens de parenté qui fait qu'il doit le considérer avec le plus grand respect. Ce que note l'anthropologue Philippe Descola à propos d'une tribu d'Amazonie en donne une illustration parmi bien d'autres possibles; sa relation à l'ensemble des êtres vivants (pas seulement les animaux, faut-il le préciser, mais aussi les plantes) est pleinement intégrée à la communauté humaine et se constitue suivant un dialogue de personne à personne et absolument pas suivant celle d'un sujet exploitant une ressource:"Ce qui m’a le plus frappé, c’est que les Achuar traitaient les non-humains, tous les éléments de leur environnement, comme des partenaires sociaux, des êtres humains. Ils entraient en communication avec eux par le moyen des rêves et d’incantations. On ne pouvait donc pas considérer que les non-humains étaient seulement une source de subsistance." (L'opposition entre la culture et la nature n'est pas universelle) Prenons un autre exemple précisant mieux ce qu'il faut entendre par là, celui de la chasse à la chèvre pratiquée chez les Indiens de la rivière Thompson en Amérique du Nord-Ouest ainsi que le relatait l'anthropologue C. Lévi-Strauss:"Quand tu tueras des chèvres, traite leur corps avec respect car ce sont des personnes. Ne tire pas les femelles: elles furent tes épouses et te donneront des enfants. Ne tue pas les petits qui sont peut-être ta progéniture. Tire seulement tes beaux-frères, les mâles." (Cité par M. Sahlins, ibid., p. 94) Ce cas peut être sans problème généralisé à l'ensemble des sociétés "primitives" de sorte qu'on est amené à dire que, dans ce cadre là, et complètement à rebours de nos propres moeurs, "l'ethnographie nous prouve plutôt que la chasse a plus à voir avec l'amour qu'avec la guerre." (ibid., p. 95) C'est ce qui rend compte du fait que, comme l'avait rapporté P. Clastres, dans la langue des Guayakis d'Amazonie, le mot "tyku" signifie à la fois l'acte de se nourrir et celui de faire l'amour.
Ces données, ô combien déroutantes pour nous, s'éclairent un peu si l'on tient compte du fait que dans l'imaginaire de ces sociétés, les choses sont prises à
l'envers de notre façon de nous représenter l'évolution. Alors que pour nous, l'humain
descend de l'animal, c'est l'inverse qui s'impose dans ces sociétés; ce sont
les animaux qui sont perçus comme descendant de la communauté humaine:"il ne faut s'étonner lorsque les rapports ethnographiques sur la
Nouvelle-Guinée ou les Amériques montrent que les animaux étaient à
l'origine des hommes. Les animaux descendent des hommes et non
l'inverse." (ibid., p. 97) De sorte que dans l'évolutionnisme inversé de ces sociétés, les animaux partagent toujours avec nous une même humanité:"La condition commune aux hommes et aux animaux n'est pas l'animalité, mais l'humanité." (E. V. de Castro, Métaphysiques cannibales, p. 35) Il découle tout naturellement d'un tel imaginaire, dont on sera tenté de se moquer en le taxant d'anthropomorphiste (prêter aux êtres non humains des traits humains) sans se rendre compte que nous-mêmes nageons en plein imaginaire anthropocentrique ("ramener tout à nous-mêmes"), que ces sociétés sont, de toutes celles qu'il nous est possible de connaître, et de très loin, les meilleures qui soient, aussi bien du point de vue de la préservation de notre milieu de vie que de celui du respect dû aux animaux, et donc, les plus civilisées, en suivant le critère défini par Gandhi:
Notons maintenant cet autre fait important que ces sociétés de
chasseurs-collecteurs ont des religions animistes (qui reconnaissent une âme aux êtres de leur environnement, aussi bien aux animaux, qu'aux plantes ou minéraux) qui ne connaissent pas les sacrifices d'animaux. Il semblerait que ce soit dans d'autres types de formation religieuse, plus tardives, dominées par des affects de peur que ceux-ci sont apparus:"Les religions à sacrifices sont les religions où les dieux dominent l'homme de toute leur puissance et s'en font craindre." (M. Godelier, L'énigme du don, p. 251) On peut raisonnablement supposer
que les rituels sacrificiels d'animaux ne sont apparus qu'avec, là encore, ce que nous
avons cru bon d'appeler l'"apparition de la civilisation" marquée par
la sédentarisation, l'élevage et l'institution de la richesse (au sens où en parlait l'anthropologue A. Testart), déjà pour cette raison élémentaire que pour sacrifier, encore faut-il avoir quelque chose sous la main pour le faire. Il faut ici bien distinguer, comme l'avait fait de façon lumineuse le philosophe L. Wittgenstein, entre les religions qui s'enracinent dans la confiance, qui renferment sûrement des germes salvateurs pour l'humanité, des religions qui s'alimentent à la peur et qui relèvent alors de la catégorie des superstitions qui sont toxiques, déjà pour cette raison élémentaire que la peur est l'architecte du pouvoir, comme l'avait bien formulé K. Polanyi.
On peut donc proposer comme hypothèse de recherche, que la faillite fondamentale de l'humanité pourrait se situer quelque part au néolithique (nouvel âge de pierre). C'est une thèse d'ailleurs assez largement répandue dans le milieu de la paléoanthropologie de dire que le début des ennuis pour l'humanité a commencé en entrant dans cette nouvelle ère. Avant cela, c'est une toute autre humanité qui aurait pu se développer, même si on doit rester très prudent, car ce que nous savons des sociétés primitives étudiées par l'anthropologie, à notre époque, n'est pas forcément transposable tel quel à ce qu'ont pu être les moeurs des hommes préhistoriques: rien ne dit que ces sociétés n'ont pas, elles aussi, suivant des voies bien à elles, évoluer relativement aux temps reculés de la préhistoire. Il faut bien avouer ici notre ignorance, étant donné les données extrêmement lacunaires de la connaissance préhistorique. Du moins, nous pouvons affirmer que c'est ce que nous avons sous la main qui doit s'en éloigner le moins. Aussi bien, on voit à travers elles, de la façon la plus claire qui soit, que l'humanité a développé des types d'imaginaires très différents du nôtre, qui n'autorisent absolument pas à croire que nos propres comportements brutaux à l'endroit des animaux obéiraient à une norme universelle inscrite dans une nature humaine, toujours et partout la même. On peut prendre la question actuelle de l'immigration, pour l'illustrer aussi bien. Lorsqu'on craint (à tort ou à raison, peu importe ici) que les populations affluent des quatre coins du monde en étant attirées comme par un aimant par notre niveau de vie, il faudrait commencer par préciser qu'on vise celles dont le mode de vie prend sa source à l'âge du néolithique, à cette époque donc où aurait déjà pu se produire "la faillite fondamentale de l'homme". Mais si vous montrez des images de notre monde à des sociétés de chasseurs-collecteurs, qui ont perpétué le mode de vie de l'ancien Age de pierre, on peut vous assurer que vous n'avez rien à redouter qu'elles viennent nous envahir; c'est le cas de cette tribu amazonienne dont la seule chose vraiment positive qu'elle retient de notre monde parmi une variété d'images qu'on leur montre, ce n'est pas le voyage de l'homme sur la lune (qui les inquiète plutôt), ni des supermarchés remplis toute l'année, ni nos techniques médicales, etc., mais simplement une retransmission du chant de Maria Callas dans le Norma de Bellini..
On peut donc proposer comme hypothèse de recherche, que la faillite fondamentale de l'humanité pourrait se situer quelque part au néolithique (nouvel âge de pierre). C'est une thèse d'ailleurs assez largement répandue dans le milieu de la paléoanthropologie de dire que le début des ennuis pour l'humanité a commencé en entrant dans cette nouvelle ère. Avant cela, c'est une toute autre humanité qui aurait pu se développer, même si on doit rester très prudent, car ce que nous savons des sociétés primitives étudiées par l'anthropologie, à notre époque, n'est pas forcément transposable tel quel à ce qu'ont pu être les moeurs des hommes préhistoriques: rien ne dit que ces sociétés n'ont pas, elles aussi, suivant des voies bien à elles, évoluer relativement aux temps reculés de la préhistoire. Il faut bien avouer ici notre ignorance, étant donné les données extrêmement lacunaires de la connaissance préhistorique. Du moins, nous pouvons affirmer que c'est ce que nous avons sous la main qui doit s'en éloigner le moins. Aussi bien, on voit à travers elles, de la façon la plus claire qui soit, que l'humanité a développé des types d'imaginaires très différents du nôtre, qui n'autorisent absolument pas à croire que nos propres comportements brutaux à l'endroit des animaux obéiraient à une norme universelle inscrite dans une nature humaine, toujours et partout la même. On peut prendre la question actuelle de l'immigration, pour l'illustrer aussi bien. Lorsqu'on craint (à tort ou à raison, peu importe ici) que les populations affluent des quatre coins du monde en étant attirées comme par un aimant par notre niveau de vie, il faudrait commencer par préciser qu'on vise celles dont le mode de vie prend sa source à l'âge du néolithique, à cette époque donc où aurait déjà pu se produire "la faillite fondamentale de l'homme". Mais si vous montrez des images de notre monde à des sociétés de chasseurs-collecteurs, qui ont perpétué le mode de vie de l'ancien Age de pierre, on peut vous assurer que vous n'avez rien à redouter qu'elles viennent nous envahir; c'est le cas de cette tribu amazonienne dont la seule chose vraiment positive qu'elle retient de notre monde parmi une variété d'images qu'on leur montre, ce n'est pas le voyage de l'homme sur la lune (qui les inquiète plutôt), ni des supermarchés remplis toute l'année, ni nos techniques médicales, etc., mais simplement une retransmission du chant de Maria Callas dans le Norma de Bellini..
d) Remise en question du spécisme
Le courant archi-dominant qui a imprègné à peu près tout nos comportements face aux animaux jusqu'à ceux en apparence les plus bienveillants, a été celui du spécisme, c'est-à-dire une façon ou une autre d'admettre la supériorité de l'espèce humaine justifiant sa domination et son exploitation des animaux. Le spécisme est donc un
lieu commun de l'imaginaire occidental, depuis l'antiquité. La philosophie elle-même a massivement apporté sa contribution pour l'alimenter. Déjà, les penseurs stoïciens de l'antiquité prétendaient démontrer
l'exclusion des animaux de toute communauté politique sur la base de la
non-réciprocité des droits et des devoirs entre eux et nous; la
réciprocité, pensaient-ils, n'est envisageable qu'entre êtres doués de raison, faculté qui n'appartiendrait qu'à l'homme: par exemple, nous pouvons délibérer si nous voulons tuer quelqu'un ou pas; le lion, lui, comme les autres animaux, est dépourvu de cette faculté, de sorte qu'on ne pourrait attendre de lui qu'il se conforme à nos catégories morale et politique du bien et du mal, du juste et de l'injuste, pour qu'il choisisse de nous manger ou pas si l'envie lui en vient. Il en découle que n'importe quel projet politique qui voudrait faire des animaux des sujets de droit serait strictement dépourvu de sens.
C'est une objection sérieuse qu'il faut bien prendre en compte: mais, comme toutes les autres, nous ne pensons pas qu'elle puisse clôre définitivement le sujet. En philosophie, comme en science d'ailleurs, la règle fondamentale est de toujours se méfier de ce qui paraît trop évident, qu'on finit par rabâcher mécaniquement, sans plus pouvoir le penser. Une bonne façon de procéder ici, pour se confronter à ces arguments stoïciens, qu'on retrouvera jusqu'à nos jours, est de partir des exceptions, dans la tradition de pensée occidentale, qui ont échappé aux lieux communs du spécisme, et la première de toute qu'on trouve chez l'inventeur même du terme de "philosophie", Pythagore, au VIème siècle avant J.-C., "le premier philosophe des droits des animaux", comme on a pu le qualifier rétrospectivement. Sa conception semble bien se situer dans le prolongement de celle des sociétés primitives, suivant la norme de réciprocité régulant chez elles les relations humains-animaux. Pour Pythagore aussi, les animaux sont des personnes à part entières à qui l'on doit le respect en vertu du principe de la transmigration des âmes qui fait qu'en tuant un animal, c'est un membre de la communauté humaine à part entière avec qui on est en relation. La nouveauté qu'introduit Pythagore, c'est d'avoir radicalisé les conséquences pratiques de cette parenté en refusant ce qu'il faudrait donc logiquement considéré,dans la perspective indigène, comme une sorte de cannibalisme, pour revendiquer le végétarisme, c'est-à-dire, une façon de renouer avec un régime alimentaire similaire à celui des grands singes. C'est là quelque chose qui est, à présent, bien trop éloigné de nous, dira-t-on. Alors, prenons, beaucoup plus proche de nous, Montaigne, au XVIème siècle, qui, lui, de façon encore bien plus provocatrice, va jusqu'à renverser complètement la perspective spéciste; l'espèce humaine, loin d'être le sommet de la création, serait, en réalité, la plus apte à se faire des illusions sur elle-même, en gonflant démesurément son importance, lui évitant ainsi d'avoir à réaliser sa pauvre condition:"La présomption est nostre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fraile de toutes les creatures, c'est l'homme, et quant et quant la plus orgueilleuse." (Montaigne, Essais, Livre II, Chapitre XII) Voilà une drôle de façon de faire valoir l'humanisme auquel est censé appartenir Montaigne comme l'un de ses représentants les plus éminents, dans nos récits traditionnels. Nous savons pourtant aujourd'hui rigoureusement étayer cette thèse très embêtante pour le spécisme, grâce aussi bien à une longue tradition philosophique remontant à l'antiquité qu'aux acquis récents de la biologie: l'humain est, du point de vue biologique, une monstruosité qui en fait effectivement, comme l'avait parfaitement préssenti Montaigne, sans qu'il dispose encore des acquis de la science moderne pour l'étayer, l'être le plus fragile, démuni, faible et dépendant de la création. Il est, pour reprendre le terme inventé par la biologie au XIXème siècle, un néotène, un être que la nature a laissé profondément inachevé. Certes, on pourra objecter que cette déficience naturelle s'est transformée, de façon dialectique, en un avantage évolutif car l'humain a dû compenser par la ruse et l'intelligence ce que la nature a "oublié" de lui donner, ce qu'on appelle donc, de façon générique, "la raison": grâce à elle, le plus faible a fini par supplanter le plus fort. Sauf que la question méritera d'être posée plus tard de savoir s'il ne s'agirait pas de la puissance d'un colosse aux pieds d'argile, ou, dit autrement, celle d'un être constamment menacé de verser dans la démesure et perdre la raison (on peut être complètement fou et très intelligent, et, il faudrait ajouter qu'on retrouve dans cet alliage les formes les plus dangereuses de folie, et de loin: la psychiatrie est richement documentée pour étayer ce point). C'est ici qu'on voit bien que la définition traditionnelle de l'homme comme "être doué de raison", sur laquelle s'est fondé tout le spécisme, depuis l'antiquité, pour asseoir la supériorité de l'homme, est, en réalité, extrêmement problématique, d'autant plus qu'on l'a tenu comme une évidence indiscutable. Si c'est bien la raison dont peut s'enorgeuillir l'homme que faudrait-il alors penser de lui s'il venait à la perdre?
C'est une objection sérieuse qu'il faut bien prendre en compte: mais, comme toutes les autres, nous ne pensons pas qu'elle puisse clôre définitivement le sujet. En philosophie, comme en science d'ailleurs, la règle fondamentale est de toujours se méfier de ce qui paraît trop évident, qu'on finit par rabâcher mécaniquement, sans plus pouvoir le penser. Une bonne façon de procéder ici, pour se confronter à ces arguments stoïciens, qu'on retrouvera jusqu'à nos jours, est de partir des exceptions, dans la tradition de pensée occidentale, qui ont échappé aux lieux communs du spécisme, et la première de toute qu'on trouve chez l'inventeur même du terme de "philosophie", Pythagore, au VIème siècle avant J.-C., "le premier philosophe des droits des animaux", comme on a pu le qualifier rétrospectivement. Sa conception semble bien se situer dans le prolongement de celle des sociétés primitives, suivant la norme de réciprocité régulant chez elles les relations humains-animaux. Pour Pythagore aussi, les animaux sont des personnes à part entières à qui l'on doit le respect en vertu du principe de la transmigration des âmes qui fait qu'en tuant un animal, c'est un membre de la communauté humaine à part entière avec qui on est en relation. La nouveauté qu'introduit Pythagore, c'est d'avoir radicalisé les conséquences pratiques de cette parenté en refusant ce qu'il faudrait donc logiquement considéré,dans la perspective indigène, comme une sorte de cannibalisme, pour revendiquer le végétarisme, c'est-à-dire, une façon de renouer avec un régime alimentaire similaire à celui des grands singes. C'est là quelque chose qui est, à présent, bien trop éloigné de nous, dira-t-on. Alors, prenons, beaucoup plus proche de nous, Montaigne, au XVIème siècle, qui, lui, de façon encore bien plus provocatrice, va jusqu'à renverser complètement la perspective spéciste; l'espèce humaine, loin d'être le sommet de la création, serait, en réalité, la plus apte à se faire des illusions sur elle-même, en gonflant démesurément son importance, lui évitant ainsi d'avoir à réaliser sa pauvre condition:"La présomption est nostre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fraile de toutes les creatures, c'est l'homme, et quant et quant la plus orgueilleuse." (Montaigne, Essais, Livre II, Chapitre XII) Voilà une drôle de façon de faire valoir l'humanisme auquel est censé appartenir Montaigne comme l'un de ses représentants les plus éminents, dans nos récits traditionnels. Nous savons pourtant aujourd'hui rigoureusement étayer cette thèse très embêtante pour le spécisme, grâce aussi bien à une longue tradition philosophique remontant à l'antiquité qu'aux acquis récents de la biologie: l'humain est, du point de vue biologique, une monstruosité qui en fait effectivement, comme l'avait parfaitement préssenti Montaigne, sans qu'il dispose encore des acquis de la science moderne pour l'étayer, l'être le plus fragile, démuni, faible et dépendant de la création. Il est, pour reprendre le terme inventé par la biologie au XIXème siècle, un néotène, un être que la nature a laissé profondément inachevé. Certes, on pourra objecter que cette déficience naturelle s'est transformée, de façon dialectique, en un avantage évolutif car l'humain a dû compenser par la ruse et l'intelligence ce que la nature a "oublié" de lui donner, ce qu'on appelle donc, de façon générique, "la raison": grâce à elle, le plus faible a fini par supplanter le plus fort. Sauf que la question méritera d'être posée plus tard de savoir s'il ne s'agirait pas de la puissance d'un colosse aux pieds d'argile, ou, dit autrement, celle d'un être constamment menacé de verser dans la démesure et perdre la raison (on peut être complètement fou et très intelligent, et, il faudrait ajouter qu'on retrouve dans cet alliage les formes les plus dangereuses de folie, et de loin: la psychiatrie est richement documentée pour étayer ce point). C'est ici qu'on voit bien que la définition traditionnelle de l'homme comme "être doué de raison", sur laquelle s'est fondé tout le spécisme, depuis l'antiquité, pour asseoir la supériorité de l'homme, est, en réalité, extrêmement problématique, d'autant plus qu'on l'a tenu comme une évidence indiscutable. Si c'est bien la raison dont peut s'enorgeuillir l'homme que faudrait-il alors penser de lui s'il venait à la perdre?
C'est à l'époque moderne que l'affirmation de cette suprématie affichée a trouvé sa formule théorique la plus complète, avec sa source principale, la théorie des animaux-machines héritée de l'oeuvre de Descartes.(3) Les animaux ne seraient rien de plus que
des sortes d'automates qui, non seulement sont dépourvus de la faculté de raisonner, mais en outre, n'auraient pas plus de capacité à ressentir
du plaisir ou de la peine qu'une horloge. C'est pourquoi les premiers disciples de Descartes pouvaient rejeter les accusations de cruauté à l'égard
des animaux comme étant dénuées de tout fondement. Quand, par exemple, nous croyons entendre un chien gémir lorsque nous l'amputons d'un membre, ce n'est qu'une illusion; en
réalité, ces bruits seraient du même ordre que les grincements que peut
faire entendre une machine mal huilée. Ainsi, un jésuite comme Gabriel
Daniel montrait, à cette époque, pour les dénoncer, comment les
pratiques de vivisection sur les animaux ne posaient aucun problème de
conscience aux héritiers de Descartes:"Avant que d'être Cartésien,
j'étais si tendre, que je ne pouvais pas seulement voir tuer un poulet:
mais depuis que je fus persuadé, que les bêtes n'avaient ni
connaissance, ni sentiment, je pensais dépeupler de chiens la ville où
j'étais, pour faire des dissections anatomiques, où je travaillais
moi-même, sans avoir le moindre sentiment de compassion." (Cité par
Thierry Gontier, De l'homme à l'animal, p. 176) La conception
cartésienne des animaux-machines a donc pu servir de caution
philosophique pour justifier le fait que l'on peut absolument tout se
permettre avec les animaux, sans aucune limite. Ils ne sont rien de plus
que des choses à notre entière disposition avec le statut juridique de "biens meubles", au même titre qu'une banquette, dans la législation des sociétés industrielles, pièce juridique intégrante d'un projet
métaphysique qui est celui de "se rendre comme maître et possesseur de
la nature". (C'est évidemment le "comme" qu'on oublie le plus souvent, en ressassant constamment cette formule de Descartes, ce qui ne veut plus dire tout à fait la même chose...) Bien au-delà de la seule question des animaux, la relation à la nature n'est plus celle d'un dialogue inter-personnel entre membres d'une même parenté mais une manipulation technicienne pour la conquérir et l'exploiter. C'est cette conception qui était encore archi-dominante pendant la majeure partie du XXème siècle dans les sciences de la vie, comme l'atteste le primatologue F. de Waal:"les deux écoles de pensée dominantes considéraient les animaux soit comme des machines qui répondent à des stimuli pour obtenir une récompense ou éviter une punition, soit comme des robots génétiquement pourvus d'instincts utiles." (F. de Waal, Sommes-nous-trop "bêtes" pour comprendre l'intelligence des animaux?, p. 12) En réalité, il s'agit là d'une évolution ultérieure; au début des sciences de la vie, au XIXème siècle, on ne considérait pas du tout les choses ainsi; en particulier, pour son représentant le plus célèbre, Charles Darwin, il n'y avait pas de différence de nature entre l'humanité et les animaux:"Si considérable qu'elle soit, la différence entre l'esprit de l'homme et celui des animaux les plus élevés n'est certainement qu'une différence de degré et non d'espèce." (Darwin cité par de Waal, ibid., p. 9) Il semble pourtant bien que les choses évoluent à nouveau dans ce sens, conforme aux premières conclusions de Darwin, comme le montre le préhistorien P. Depaepe, dans cette conférence, La modernité de l'homme préhistorique, à partir de 1 h 22' 10, lorsqu'il donne à comparer les tableaux de l'arbre de l'évolution tels qu'on les représentait aux élèves en biologie il y a un demi siècle avec ceux d'aujourd'hui: ce n'est plus du tout la même façon d'appréhender notre relation aux vivants, en invitant dorénavant à infiniment plus de modestie, comme inclinait déjà à le faire la philosophie de Montaigne: on visualise très bien ici que notre espèce ne représente donc que 0,01 % de la biodiversité su terre, chose qui avait été totalement invisibilisée dans le cadre des représentations inspirées du spécisme..
Auparavant, la conception cartésienne des choses avait donc massivement repris le dessus au XXème siècle; en cela, elle ne faisait que suivre un mouvement d'ensemble des sciences qui a été de toujours plus chercher à conquérir le monde au détriment de son exploration. Dans le champ de la biologie, le modèle théorique du mécanisme, que ce soit celui d'une machine ou d'un robot, définit un cadre au sein duquel peut se déployer un pouvoir qui semble sans limite sur le vivant, qu'on peut bricoler à sa guise, à la façon d'un mécano qu'on démonte et remonte; et, il faut bien dire "semble" car il serait assez facile de montrer qu'il s'agit, en réalité, d'une "pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle", tout ce qu'il y a de plus illusoire, pour reprendre l'expression de C. Castoriadis: la façon dont nous avons été débordé par la pandémie du covid 19, est, en l'état, un petit coup de semonce qui en appelle d'autres, qui seront sûrement moins commodes à maîtrise; déjà en 1973, le constat lucide était fait par l'écologiste R. Dumont, en exergue de son ouvrage, L'utopie ou la mort:"Jamais dans l'histoire de l'humanité, une société n'avait à ce point perdu le contrôle à la fois de sa démographie, de sa technologie et de son modèle de consommation."(Cité par S. Juan, La transition écologique, p. 14) On pourrait même remonter bien plus loin dans la dénonciation de cette illusion de pouvoir que la civilisation industrielle s'est accordée; ainsi, dès 1904, le sociologue C. Bouglé apercevait que "dans le filet qu'elle a jeté sur le monde, l'humanité se prend à son tour." (Cité par S. Juan, ibid., p. 118)
Cette évolution de la science sous l'impulsion d'un appétit de conquête incontrôlé est particulièrement visible dans la façon dont le génie génétique tend, depuis plusieurs décennies, à vampiriser le champ de la recherche: voir le cas des opérations annuelles du Téléthon, sous couvert d'alibis humanistes, qui est, en ce sens, très significatif. De façon très générale, la question prioritaire n'est plus tant celle de connaître son objet que d'affirmer son pouvoir sur lui. Ce qui se développe alors ne relève plus tant de la science que de la techno-science, dont l'objectif est, avant tout, de mettre au point des innovations: d'où l'inflation proprement délirante de ce dernier terme qu'on retrouve affiché partout aujourd'hui.
Science Techno-science
Priorités Priorités
Exploration du monde Conquête du monde
Découvertes Innovations
Pouvoir de l'amour Amour du pouvoir
Si nous voulons à nouveau ouvrir grand le champ des découvertes, alors, pour reprendre les termes d'un certain J. Hendrix, il faut substituer à l'amour du pouvoir, le pouvoir de l'amour, ce que le grand homme de science et philosophe B. Russell avait déjà formulé avant lui en des termes très proches, lorsqu'il attirait l'attention sur le fait que la science, dans son évolution actuelle, a monnayé le pouvoir qu'elle nous confère au prix de l'amour de son objet, quelque chose qui relevait pour lui, qui était pourtant un critique intransigeant des religions, du satanique. Tout au contraire, un de ces pouvoirs que confère l'amour est de nous ouvrir le champ des découvertes: il s'identifie donc avec la pulsion d'exploration du monde. C'est ce qu'on peut très bien clarifier avec les progrès qu'a réalisé l'éthologie ces dernières décennies et qui ont conduit à une conclusion que partagerait aujourd'hui n'importe quel chercheur dans ce domaine, réfutant catégoriquement l'affirmation des héritiers auto-proclamés de Descartes suivant laquelle "les bêtes n'[ont] ni connaissance, ni sentiment..." En réalité, l'éthologie, dans sa pratique, a renoué, à sa façon, par les voies rationnelles de la science, avec quelque chose de la métaphysique des sociétés primitives. C'est un point qui nous semble capital, dans la perspective de restaurer notre relation aux animaux, et, plus encore, à l'ensemble de la nature; il permet déjà d'avoir de quoi répondre à celui qui penserait que, de toute façon, l'expérience primitive du monde forme un univers peuplé de superstitions qui ne nous concernerait plus en en rien. Il a fallu à l'éthologie reconsidérer les animaux comme des personnes à part entières et engager un dialogue d'égal à égal avec eux, pour pouvoir commencé à lever le voile sur ce qu'ils sont en réalité. C'est flagrant, parmi bien d'autres exemples possibles, dans les travaux de Barbara Smuts au sujet des babouins. Au point de départ, les singes la fuyaient. Elle a dû complètement modifier son comportement, bien trop anthropocentrée initialement, pour surmonter cette attitude de rejet, et être accepté comme un sujet à part entière de leur communauté; de cette façon s'ouvre la possibilité de les étudier au plus près, de l'intérieur. On a l'exemple parfait montrant comment peut être activée notre capacité à nous décentrer qui est donc indispensable ici au déploiement de la pulsion d'exploration:"j'ai cessé d'être traitée comme un objet provoquant parmi les babouins une réaction unilatérale (de fuite) et j'ai été reconnue comme un sujet avec lequel il est possible de communiquer. Plus le temps passa, et plus ils me traitèrent comme un être social, avec tout ce que cela implique en termes de contraintes et de gratifications. Cela signifie que j'étais parfois obligée d'accorder davantage d'importance à leurs exigences qu'à la collecte de données. Mais cela signifie aussi que j'étais de plus en plus la bienvenue parmi eux; je n'étais plus simplement tolérée comme une intruse, j'étais considérée comme une connaissance, et parfois même traitée en amie." (Smuts citée par Donaldson et Kymlicka, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, p. 62)
C'est donc un pallier considérable qu'a franchi la recherche en éthologie le jour où elle a commencé à intégrer le fait que l'on ne pouvait pas espérer découvrir ce que sont les animaux en les considérant comme de simples objets à étudier mais qu'il fallait les approcher comme des sujets doués d'une vie sociale, affective et intentionnelle. Il a fallu pour cela rectifier les multiples biais cognitifs, entièrement imputables à notre imaginaire spéciste auto-centré, qui ont longtemps faussé la connaissance que l'on croyait tirer de leur étude. C'est précisément l'objet de la partie à suivre...
Cette évolution de la science sous l'impulsion d'un appétit de conquête incontrôlé est particulièrement visible dans la façon dont le génie génétique tend, depuis plusieurs décennies, à vampiriser le champ de la recherche: voir le cas des opérations annuelles du Téléthon, sous couvert d'alibis humanistes, qui est, en ce sens, très significatif. De façon très générale, la question prioritaire n'est plus tant celle de connaître son objet que d'affirmer son pouvoir sur lui. Ce qui se développe alors ne relève plus tant de la science que de la techno-science, dont l'objectif est, avant tout, de mettre au point des innovations: d'où l'inflation proprement délirante de ce dernier terme qu'on retrouve affiché partout aujourd'hui.
Science Techno-science
Priorités Priorités
Exploration du monde Conquête du monde
Découvertes Innovations
Pouvoir de l'amour Amour du pouvoir
Si nous voulons à nouveau ouvrir grand le champ des découvertes, alors, pour reprendre les termes d'un certain J. Hendrix, il faut substituer à l'amour du pouvoir, le pouvoir de l'amour, ce que le grand homme de science et philosophe B. Russell avait déjà formulé avant lui en des termes très proches, lorsqu'il attirait l'attention sur le fait que la science, dans son évolution actuelle, a monnayé le pouvoir qu'elle nous confère au prix de l'amour de son objet, quelque chose qui relevait pour lui, qui était pourtant un critique intransigeant des religions, du satanique. Tout au contraire, un de ces pouvoirs que confère l'amour est de nous ouvrir le champ des découvertes: il s'identifie donc avec la pulsion d'exploration du monde. C'est ce qu'on peut très bien clarifier avec les progrès qu'a réalisé l'éthologie ces dernières décennies et qui ont conduit à une conclusion que partagerait aujourd'hui n'importe quel chercheur dans ce domaine, réfutant catégoriquement l'affirmation des héritiers auto-proclamés de Descartes suivant laquelle "les bêtes n'[ont] ni connaissance, ni sentiment..." En réalité, l'éthologie, dans sa pratique, a renoué, à sa façon, par les voies rationnelles de la science, avec quelque chose de la métaphysique des sociétés primitives. C'est un point qui nous semble capital, dans la perspective de restaurer notre relation aux animaux, et, plus encore, à l'ensemble de la nature; il permet déjà d'avoir de quoi répondre à celui qui penserait que, de toute façon, l'expérience primitive du monde forme un univers peuplé de superstitions qui ne nous concernerait plus en en rien. Il a fallu à l'éthologie reconsidérer les animaux comme des personnes à part entières et engager un dialogue d'égal à égal avec eux, pour pouvoir commencé à lever le voile sur ce qu'ils sont en réalité. C'est flagrant, parmi bien d'autres exemples possibles, dans les travaux de Barbara Smuts au sujet des babouins. Au point de départ, les singes la fuyaient. Elle a dû complètement modifier son comportement, bien trop anthropocentrée initialement, pour surmonter cette attitude de rejet, et être accepté comme un sujet à part entière de leur communauté; de cette façon s'ouvre la possibilité de les étudier au plus près, de l'intérieur. On a l'exemple parfait montrant comment peut être activée notre capacité à nous décentrer qui est donc indispensable ici au déploiement de la pulsion d'exploration:"j'ai cessé d'être traitée comme un objet provoquant parmi les babouins une réaction unilatérale (de fuite) et j'ai été reconnue comme un sujet avec lequel il est possible de communiquer. Plus le temps passa, et plus ils me traitèrent comme un être social, avec tout ce que cela implique en termes de contraintes et de gratifications. Cela signifie que j'étais parfois obligée d'accorder davantage d'importance à leurs exigences qu'à la collecte de données. Mais cela signifie aussi que j'étais de plus en plus la bienvenue parmi eux; je n'étais plus simplement tolérée comme une intruse, j'étais considérée comme une connaissance, et parfois même traitée en amie." (Smuts citée par Donaldson et Kymlicka, Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux, p. 62)
C'est donc un pallier considérable qu'a franchi la recherche en éthologie le jour où elle a commencé à intégrer le fait que l'on ne pouvait pas espérer découvrir ce que sont les animaux en les considérant comme de simples objets à étudier mais qu'il fallait les approcher comme des sujets doués d'une vie sociale, affective et intentionnelle. Il a fallu pour cela rectifier les multiples biais cognitifs, entièrement imputables à notre imaginaire spéciste auto-centré, qui ont longtemps faussé la connaissance que l'on croyait tirer de leur étude. C'est précisément l'objet de la partie à suivre...
(1) Il est à noter qu'une problématique de même type se poserait pour l'écologie politique, dont les premiers ferments, au XIXème siècle, sont aussi plutôt situés à droite (même si, au XXème siècle, a eu lieu un basculement qui fait que ses principaux architectes comme Gorz, Ellul ou même Castoriadis, ont toujours veillé à bien faire la jointure entre l'écologie et le socialisme). Toutefois, même si elles sont cousines, écologie politique et cause animale n'en diffèrent pas moins sur certains points non négligeables à propos desquels il faudra revenir plus tard. Là aussi, il serait important que partisans de l'écologie politique et défenseurs de la cause animale puissent parvenir à s'entendre raisonnablement.
(2) Il y a, au fond, une raison simple à cette misère intellectuelle: ces gens là occupant l'espace des médias, ne réceptionnent en guise d'élaboration argumentée de la cause animale que ce qu'ils trouvent dans ces mêmes médias, c'est-à-dire, les versions les plus ridiculement faibles, ce qui situe bien le niveau auquel le débat se déroule: au ras des pâquerettes, ce qui est certes très économique pour notre gros cerveau si gourmand en énergie.
(3) Que Descartes ait été bien ou mal compris par ses successeurs, comme on
a pu le prétendre, est secondaire ici, ce qui ne veut évidemment pas
dire que la question serait à négliger par ailleurs, bien au contraire:
ce serait un chantier considérable et d'une grande portée de revisiter l'oeuvre de Descartes
pour enlever toute la couche de cartésianisme sédimentée sur plus de trois
siècles; certains se sont déjà attelés à la tâche. L'important dans ce contexte-ci est ce que ses auto-proclamés héritiers en ont retenu qui entraîne la
négation radicale des droits des animaux par presque toute la tradition
philosophique moderne se réclamant de Descartes, ce qui n'est pas rien,
on s'en doute bien.
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