On connait bien la chanson. L'abolition du travail des enfants de pauvres dans les usines, pour leur permettre de s'instruire dans les écoles, est systématiquement présenté comme une des grandes avancées sociales de notre temps. Problème: il est rare de se demander si les premiers concernés, les enfants eux-mêmes, viendraient corroborer cette version idyllique.
Comme toujours, dans ces cas là, il est très compliqué de retrouver des documents qui donneraient à voir l'histoire d'un point de vue différent de celui conservé dans la "mémoire de l'Etat" (H. Kissinger). Ce qui s'est passé un peu partout dans le Royaume-Uni en 1911 aurait peut-être bien sombré à jamais dans les oubliettes de l'histoire, si, tout à fait par hasard, un docker anglais, D. Marson, n'était pas tombé dessus, en cherchant des informations sur le mouvement ouvrier de cette époque. Les compte rendus qu'il a retrouvé de cet événement laissent à penser que les enfants auraient pu nous raconter un récit fort différent et beaucoup moins rose. En parcourant leurs revendications, on en vient à se dire qu'ils auraient sans doute été séduits par l'impératif de déscolariser la société, qu'I. Illich formulera une soixante d'années plus tard, et qui peut s'exprimer encore autrement comme un appel à la déprolétarisation de la société par la réabsorption en son sein des tâches éducatives.
Manifestations
« La grève a commencé à l’école catholique de Sainte Marie quand 13 des garçons plus âgés ont abandonné les plus jeunes dans la cour de récréation. Une fois qu’on sut qu’ils étaient en grève, la nouvelle se répandit tout autour de l’école et avant le début des classes de l’après-midi, elle avait atteint plusieurs écoles de l’est de Hull. Aussitôt il y eut des attroupements d’enfants devant les écoles hurlant : « dehors ! » ou bien « jaunes ! » aux élèves qui retournaient en classe». (Hull paily News 13 sept. 1911)
“De véritables scènes de charivari eurent lieu hier à l’occasion d’une grève d’écoliers. Il n’y avait pas moins de 8 écoles concernées et on a calculé que vers l’après-midi plusieurs milliers de garçons se sont mutinés. L’agitation commença à l’école de Cowgate où il y eut un débrayage dans la matinée et où l’on vit les chefs du mouvement brutaliser ceux qui refusaient de les suivre... Vers11 heures, l’agitation semblait avoir pris fin. Mais la nouvelle de la grève s’était largement répandue dans la ville et à l’heure du déjeuner, il y eut des défections dans les écoles de Wallacetown, Victoria Road, Blackness, Balfour Street et Ann Street ; les garçons défilèrent à travers la ville adoptant différentes tactiques pour protéger ceux qui voulaient rejoindre leurs rangs. Une bande se rendit à la High School et armée de bâtons et de projectiles fit une manifestation. Elle ne réussit pas à faire la moindre recrue dans cette institution...” (Paisley Daily Express, 15 septembre)
“Les garçons ayant appris qu’il y avait à l’extérieur un grand nombre de grévistes se révoltèrent. Ils claquèrent leurs pupitres et se ruèrent sauvagement dehors rejoindre les autres grévistes... Il s’en suivit un grand désordre, et l’équipe des enseignants fut incapable de ramener le calme.” (The Greenock Telegraph, 16 septembre)
“Quand les écoliers du quartier de Edgehill furent lâchés à l’heure de la récréation, ils se mirent en grève et manifestèrent à travers les rues... il y eut des vitres brisées et des réverbères en miettes, quant aux ‘bons écoliers’ ils reçurent des coups de bâton.” (School Government Chronicle, 16 septembre)
“Hier matin des troubles ont à nouveau éclaté à l’école de Sainte-Anne et les maîtres ont connu des difficultés en passant dans les rues près de l’école, les plus révoltés les ont hués, injuriés et comme l’un des maîtres avaient saisi un assaillant, il reçut une volée de pierres... On a demandé la protection de la police pour les maîtres et des mesures pour venir à bout de l’agitation ont été prises à la fois par la police et les autorités scolaires.” (Liverpool Daily Post and Mercury, 14 septembre)
L'usage de la violence n'est toutefois pas le seul aspect des choses à prendre en compte. La grève, imitant à sa façon celles des travailleurs adultes, eût aussi une dimension foncièrement ludique et festive: "[...] partout ils s’amusèrent à composer des chansons, paroles et musique. Ils montrèrent de l’imagination et de l’originalité, témoignant que, “malgré l’étouffoir scolaire, leurs esprits n’avaient pas été détruits par la grise monotonie des salles de classe et contenaient encore des idées comme une boîte de peinture des couleurs.”( Les révoltes logiques, n° 3, p. 89)
Revendications
“Age limite fixé à 14 ans,
Des cours moins longs
Des vacances pour le ramassage des pommes de terre
Pas de travail à la maison
L’abolition de la ceinture
Des crayons et des gommes gratuites.” (The Greenock Telegraph, 19 septembre)
“Les élèves des écoles municipales de Low Felling demandent à commencer l’école à 9 h 30 pour terminer à 12 h et reprendre l’après-midi à 14 h jusqu’à16 h, et si ces conditions ne sont pas acceptées, ils disent que le conseiller municipal Costelloe n’a aucune chance d’être maire de Gateshead l’an prochain.”(The Illustrated Chronicle, 15 septembre)
“50 garçons de l’école municipale de Bolton Woods sortirent demandant la suppression du surveillant chargé de contrôler l’assiduité et un jour de congé supplémentaire en dehors du samedi.” (The Star London, 12 septembre)
“Un nombre important de garçons se regroupèrent pour demander l’abolition de la canne, une demi-journée de congé par semaine et réclamer qu’un penny soit donné tous les vendredis à chaque enfant. Apparemment, les socialistes avaient effectué un certain travail parmi ces jeunes plaisantins.”(Northem Daily Mail, 15 septembre)
Rétablissement de l'ordre
“A Maryport, les maîtres furent capables de mobiliser les élèves loyaux pour se battre contre les grévistes. Quand un piquet de l’école de Grasslot arriva à l’école de Maryport pour entraîner les garçons dans la grève, les élèves des grandes classes furent envoyés dehors pour capturer ceux qui dirigeaient le piquet, il y eut une bataille sur la place du marché, on se servit de pierres et des poings; quelques-uns des élèves de Grasslot furent attrapés mais ils se battirent avec vigueur et comme ils étaient grands et forts ils purent s’échapper.”(Northern Daily Mail, 16 septembre)
“L’absence des enfants à l’école diminuerait grandement la subvention du gouvernement. L’absence d’un enfant signifiait une perte d’environ un penny à un penny et demi par demi-journée, il invitait donc les parents à veiller à ce que leurs enfants suivent régulièrement les cours. Plus la subvention serait grande, plus la participation des familles serait faible, la diminution des subventions toucherait indirectement les travailleurs qui auraient à payer davantage.” (Llanelly Mercury, 7 septembre)
“les garçons pouvaient bénéficier de la sympathie de leurs pères qui comprenaient leurs sentiments, mais ceux-ci n’intervenaient pas dans les questions d’école”.“Les plus actifs briseurs de grève dans beaucoup d’endroits semblent avoir été les mères. Non seulement elles exerçaient des pressions sur les enfants quand ils rentraient à la maison à la fin du premier jour de grève, mais dans bien des cas, elles intervenaient plus activement, entraînant les enfants de force les jours suivants, et dans quelques cas elles montèrent un contre-piquet devant les portes de l’école. Par exemple, une tentative de grève à East Wall National School, Dublin, fut très rapidement interrompue par les mères qui s’étaient rassemblées en force munies de toutes sortes d’armes. Quand les élèves se dispersèrent hier après-midi à trois heures, quelques policiers et de nombreuses mères étaient là pour protéger les garçons qui avaient résisté à toutes les tentations de s’écarter du droit chemin; sous escorte féminine, ils regagnèrent leur domicile en sécurité.” (The Irish Times, 1er septembre)
“Je t’en ficherais, moi, des grèves! disait-elle, comme elle traînait le petit réfractaire devant le directeur.” (Northern Daily Telegraph, 13 septembre)
Comme toujours, dans ces cas là, il est très compliqué de retrouver des documents qui donneraient à voir l'histoire d'un point de vue différent de celui conservé dans la "mémoire de l'Etat" (H. Kissinger). Ce qui s'est passé un peu partout dans le Royaume-Uni en 1911 aurait peut-être bien sombré à jamais dans les oubliettes de l'histoire, si, tout à fait par hasard, un docker anglais, D. Marson, n'était pas tombé dessus, en cherchant des informations sur le mouvement ouvrier de cette époque. Les compte rendus qu'il a retrouvé de cet événement laissent à penser que les enfants auraient pu nous raconter un récit fort différent et beaucoup moins rose. En parcourant leurs revendications, on en vient à se dire qu'ils auraient sans doute été séduits par l'impératif de déscolariser la société, qu'I. Illich formulera une soixante d'années plus tard, et qui peut s'exprimer encore autrement comme un appel à la déprolétarisation de la société par la réabsorption en son sein des tâches éducatives.
Manifestations
« La grève a commencé à l’école catholique de Sainte Marie quand 13 des garçons plus âgés ont abandonné les plus jeunes dans la cour de récréation. Une fois qu’on sut qu’ils étaient en grève, la nouvelle se répandit tout autour de l’école et avant le début des classes de l’après-midi, elle avait atteint plusieurs écoles de l’est de Hull. Aussitôt il y eut des attroupements d’enfants devant les écoles hurlant : « dehors ! » ou bien « jaunes ! » aux élèves qui retournaient en classe». (Hull paily News 13 sept. 1911)
“De véritables scènes de charivari eurent lieu hier à l’occasion d’une grève d’écoliers. Il n’y avait pas moins de 8 écoles concernées et on a calculé que vers l’après-midi plusieurs milliers de garçons se sont mutinés. L’agitation commença à l’école de Cowgate où il y eut un débrayage dans la matinée et où l’on vit les chefs du mouvement brutaliser ceux qui refusaient de les suivre... Vers11 heures, l’agitation semblait avoir pris fin. Mais la nouvelle de la grève s’était largement répandue dans la ville et à l’heure du déjeuner, il y eut des défections dans les écoles de Wallacetown, Victoria Road, Blackness, Balfour Street et Ann Street ; les garçons défilèrent à travers la ville adoptant différentes tactiques pour protéger ceux qui voulaient rejoindre leurs rangs. Une bande se rendit à la High School et armée de bâtons et de projectiles fit une manifestation. Elle ne réussit pas à faire la moindre recrue dans cette institution...” (Paisley Daily Express, 15 septembre)
“Les garçons ayant appris qu’il y avait à l’extérieur un grand nombre de grévistes se révoltèrent. Ils claquèrent leurs pupitres et se ruèrent sauvagement dehors rejoindre les autres grévistes... Il s’en suivit un grand désordre, et l’équipe des enseignants fut incapable de ramener le calme.” (The Greenock Telegraph, 16 septembre)
“Quand les écoliers du quartier de Edgehill furent lâchés à l’heure de la récréation, ils se mirent en grève et manifestèrent à travers les rues... il y eut des vitres brisées et des réverbères en miettes, quant aux ‘bons écoliers’ ils reçurent des coups de bâton.” (School Government Chronicle, 16 septembre)
“Hier matin des troubles ont à nouveau éclaté à l’école de Sainte-Anne et les maîtres ont connu des difficultés en passant dans les rues près de l’école, les plus révoltés les ont hués, injuriés et comme l’un des maîtres avaient saisi un assaillant, il reçut une volée de pierres... On a demandé la protection de la police pour les maîtres et des mesures pour venir à bout de l’agitation ont été prises à la fois par la police et les autorités scolaires.” (Liverpool Daily Post and Mercury, 14 septembre)
L'usage de la violence n'est toutefois pas le seul aspect des choses à prendre en compte. La grève, imitant à sa façon celles des travailleurs adultes, eût aussi une dimension foncièrement ludique et festive: "[...] partout ils s’amusèrent à composer des chansons, paroles et musique. Ils montrèrent de l’imagination et de l’originalité, témoignant que, “malgré l’étouffoir scolaire, leurs esprits n’avaient pas été détruits par la grise monotonie des salles de classe et contenaient encore des idées comme une boîte de peinture des couleurs.”( Les révoltes logiques, n° 3, p. 89)
Revendications
“Age limite fixé à 14 ans,
Des cours moins longs
Des vacances pour le ramassage des pommes de terre
Pas de travail à la maison
L’abolition de la ceinture
Des crayons et des gommes gratuites.” (The Greenock Telegraph, 19 septembre)
“Les élèves des écoles municipales de Low Felling demandent à commencer l’école à 9 h 30 pour terminer à 12 h et reprendre l’après-midi à 14 h jusqu’à16 h, et si ces conditions ne sont pas acceptées, ils disent que le conseiller municipal Costelloe n’a aucune chance d’être maire de Gateshead l’an prochain.”(The Illustrated Chronicle, 15 septembre)
“50 garçons de l’école municipale de Bolton Woods sortirent demandant la suppression du surveillant chargé de contrôler l’assiduité et un jour de congé supplémentaire en dehors du samedi.” (The Star London, 12 septembre)
“Un nombre important de garçons se regroupèrent pour demander l’abolition de la canne, une demi-journée de congé par semaine et réclamer qu’un penny soit donné tous les vendredis à chaque enfant. Apparemment, les socialistes avaient effectué un certain travail parmi ces jeunes plaisantins.”(Northem Daily Mail, 15 septembre)
Rétablissement de l'ordre
“A Maryport, les maîtres furent capables de mobiliser les élèves loyaux pour se battre contre les grévistes. Quand un piquet de l’école de Grasslot arriva à l’école de Maryport pour entraîner les garçons dans la grève, les élèves des grandes classes furent envoyés dehors pour capturer ceux qui dirigeaient le piquet, il y eut une bataille sur la place du marché, on se servit de pierres et des poings; quelques-uns des élèves de Grasslot furent attrapés mais ils se battirent avec vigueur et comme ils étaient grands et forts ils purent s’échapper.”(Northern Daily Mail, 16 septembre)
“L’absence des enfants à l’école diminuerait grandement la subvention du gouvernement. L’absence d’un enfant signifiait une perte d’environ un penny à un penny et demi par demi-journée, il invitait donc les parents à veiller à ce que leurs enfants suivent régulièrement les cours. Plus la subvention serait grande, plus la participation des familles serait faible, la diminution des subventions toucherait indirectement les travailleurs qui auraient à payer davantage.” (Llanelly Mercury, 7 septembre)
“les garçons pouvaient bénéficier de la sympathie de leurs pères qui comprenaient leurs sentiments, mais ceux-ci n’intervenaient pas dans les questions d’école”.“Les plus actifs briseurs de grève dans beaucoup d’endroits semblent avoir été les mères. Non seulement elles exerçaient des pressions sur les enfants quand ils rentraient à la maison à la fin du premier jour de grève, mais dans bien des cas, elles intervenaient plus activement, entraînant les enfants de force les jours suivants, et dans quelques cas elles montèrent un contre-piquet devant les portes de l’école. Par exemple, une tentative de grève à East Wall National School, Dublin, fut très rapidement interrompue par les mères qui s’étaient rassemblées en force munies de toutes sortes d’armes. Quand les élèves se dispersèrent hier après-midi à trois heures, quelques policiers et de nombreuses mères étaient là pour protéger les garçons qui avaient résisté à toutes les tentations de s’écarter du droit chemin; sous escorte féminine, ils regagnèrent leur domicile en sécurité.” (The Irish Times, 1er septembre)
“Je t’en ficherais, moi, des grèves! disait-elle, comme elle traînait le petit réfractaire devant le directeur.” (Northern Daily Telegraph, 13 septembre)
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