jeudi 27 octobre 2011

2) Sur le signifiant "terrorisme" : le terrorisme des grandes puissances

Pour la partie précédente voir ici

Mise à jour, 18-03-2019

"Les grandes puissances n'ont pas de principe, seulement des intérêts." Henry Kissinger

Proposition
L’actuelle "guerre contre le terrorisme" que mène les grandes puissances occidentales dans le monde, avec, à leur tête, les Etats-Unis, s’inscrit dans la droite ligne de cette longue histoire de conquête du monde par la stratégie de la terreur.
L'expression  "guerre contre le terrorisme" désigne, en réalité, autre chose que ce qu'elle est censée signifier pour au moins deux raisons:
a) Car elle désigne, en, réalité, la pratique du terrorisme et ce, sur une échelle telle, qu'elle n'a aucun équivalent dans le monde.
b) Le deuxième point est la conséquence logique du premier: cette "guerre contre le terrorisme" , en réalité, ne fait que stimuler la tentation du terrorisme partout où elle est conduite dans le monde en entraînant une montée aux extrêmes des conflits.

Scolie
Peut-il y avoir un sens autre que orwellien ( sera appelé "orwellien" tout usage mensonger des mots qui désignent alors le contraire de ce qu’ils sont censés signifier; par exemple, ici, appeler "guerre contre le terrorisme" la pratique à grande échelle du terrorisme) de cette guerre dès lors que la surabondante documentation que réunit quelqu’un comme Noam Chomsky amène à conclure que le premier de tous les Etats terroristes ce sont les Etats-Unis? "Terroriste" doit être pris ici en son sens premier et littéral de celui qui fait régner la terreur. Quelle autre puissance au monde détiendrait le pouvoir de faire subir à la Corée, au Cambodge, au Laos, au Vietnam, à l’Irak, à l’Afghanistan etc. ce que les Etats-Unis leur ont fait subir? Nous avons à faire ici à des guerres terroristes au sens le plus rigoureux du terme, c’est-à-dire, à des guerres qui ont pour stratégie la terreur.
Nous nous attarderons ici sur deux exemples. Précisons qu'ils concernent les Etats-Unis, non par anti-américanisme primaire, mais parce qu' il se trouve qu'il s'agit aujourd'hui de la puissance dominant le monde, et dans cette mesure, c'est elle qui est en mesure d'imposer la terreur sur la plus grande échelle; mais, il ne faudrait evidemment pas avoir la naïveté de croire qu'elle aurait le monopole de ce genre de politique; en d'autres temps, quand l'Angleterre, la France ou l'Espagne, dominaient le monde, elles ne se comportaient pas de façon fondamentalement diférente (je laisse le soin aux représentants d'autres ères civilisationnels de nettoyer leur propre nid, pour reprendre l'expression de Chomsky) En cette matière, il est fort utile d'avoir toujours présent à l'esprit la fameuse formule de Lord Acton qui veut que si "le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument."

"La pomme pourrie" du Vietnam
Le Vietnam était "la pomme pourrie" par le virus de l’indépendance et des mouvements populaires qui menaçait de contaminer tout le continent asiatique. La menace d’un développement autonome de ces pays exprimait ici comme partout dans le monde la crainte que ces pays se développent d’abord dans l’intérêt de leur propre population et non dans celui des capitaux à valoriser des grandes puissances étrangères. Les notes confidentielles du Conseil national de sécurité datant de 1952 donnent une bonne idée des véritables préoccupations des hauts stratèges américains:"Le Sud-Est asiatique, et en particulier la Malaisie et l‘Indonésie, fournit la plus grande part de caoutchouc naturel et d’étain de notre marché intérieur, et regorge de pétrole et autres matières premières d’une importance stratégique évidente." (cité par Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats Unis, p.533) Dans le même sens, "en 1953, une commission d’enquête du Congrès déclarait:"l’Indochine est extrêmement riche en riz, caoutchouc, charbon et minerai de fer. Sa situation en fait la clef stratégique de tout le Sud- Est asiatique.""(ibid., p.534) Comme une pomme pourrie qu'il faut retirer du panier avant qu'elle n'infecte tout le tas, il fallait donc soigner le continent asiatique de façon semblable. Une autre formulation de ce principe est ce qu’il a été convenu d’appeler "la théorie des dominos" comme le rappelle Chomsky:"Cette constante préoccupation constitue la forme rationnelle de la "théorie des dominos, qu’on désigne souvent, de manière plus précise, sous le nom de "menace d’un bon exemple". Ainsi, le moindre écart de conduite est considéré comme une menace vitale appelant une riposte sans merci: paysans de localités reculées du Laos qui s’organisent, coopératives de pêcheurs à Grenade, et ainsi de suite partout dans le monde. Dans les termes des stratèges de haut niveau, l’essentiel est de prévenir toute "contagion" par le virus du développement autonome, de faire en sorte qu’aucune "pomme pourrie" ne "gâte le panier"". (Futurs proches, p.147-148)
Dans la propagande d’Etat largement relayée par les médias comme l’analysent minutieusement Chomsky et Herman, il s’agissait de mener un combat pour la liberté contre l’agression communiste dont le Sud Vietnam était victime. Le point de vue dissident sera de dire, au contraire, que l’agresseur, c’était les Etats-Unis qui avaient installé un régime fantoche, de plus en plus impopulaire, à sa botte au Sud Vietnam, qu’ils essayaient de sauver contre une insurrection qui bénéficiait, elle, d’un large soutien populaire. La stratégie de la terreur conduite au Sud Vietnam comme en bien d’autres régions du monde n’était donc pas gratuite; elle obéissait à un objectif précis (1) dont l’éclairage met en lumière le caractère grandguignolesque de la "promotion de la démocratie" dans le monde par les puissances occidentales. Rien ne le montre mieux que le contraste saisissant entre le caractère populaire du FNL que combattait les américains et celui impopulaire du régime militarisé de Diem que les Etats Unis soutenaient dans le pays:"Le régime de Diem devint de plus en plus impopulaire. Ngo Dinh Diem était catholique dans un pays en grande partie bouddhiste, et proche des grands propriétaires terriens dans un pays essentiellement peuplé de petits paysans.[…] Il remplaça les chefs de province locaux par ses propres hommes. En 1962, 80% de ces chefs de province étaient des militaires. Diem emprisonna massivement les opposants qui l’accusaient de corruption ou d’immobilisme dans les réformes." (H. Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, p. 534-535) Au contraire, le large soutien populaire dont bénéficiait les divers mouvements insurrectionnels dans cette région du monde, quoiqu’on les qualifia de communistes pour effrayer les moineaux, était justement le gage de leur caractère démocratique si les mots ont un sens qui n‘est pas orwellien; il était, en même temps, le plus sérieux obstacle aux intérêts stratégiques américains. La raison pour laquelle ces mouvements étaient populaires ne sera jamais aussi bien donnée que par les gens du peuple eux-mêmes, par exemple, par la voix de cette femme issue des couches paysannes pauvres du Laos, et dont Howard Zinn rapporte le témoignage à propos de son ralliement au Neo Lao, le mouvement révolutionnaire laotien que le déluge de bombes des B-52 américains cherchait aussi à anéantir, comme au Vietnam, le FNL :"[…] lorsque le Neo Lao a commencé à gouverner la région[…], cela s’est mis à changer […] Ils nous disaient que les femmes devaient être aussi braves que les hommes. Par exemple, même si j’étais allé à l’école auparavant, les aînés voulaient m’empêcher de continuer. Ils m’avaient dit que cela ne me servirait à rien puisque je ne pourrais jamais espérer, même avec des diplômes, obtenir un des postes élevés qui étaient réservés aux enfants de l’élite riche. Mais le Neo Lao disait que les femmes devaient avoir la même éducation que les hommes et ils nous accordaient les mêmes avantages à tous et ne permettaient à personne de nous exploiter. […] Ils ont changé la vie des plus pauvres.[…] Parce qu’ils partageaient les terres de ceux qui possédaient de nombreuses rizières avec ceux qui n’en avaient pas.""(ibid., p.545) Ou encore, le témoignage de ce jeune de17 ans qui raconte l’arrivée de l’armée révolutionnaire du Pathet Lao dans son village:"Certains avaient peur. En particulier, ceux qui avaient de l’argent. Ils offraient des vaches aux soldats du Pathet Lao pour qu’ils puissent manger, mais les soldats refusaient de les prendre. Et lorsqu’ils les prenaient, ils en offraient un prix raisonnable. En vérité, ils incitaient la population à ne plus avoir peur de rien. Après, ils ont organisé l’élection du chef du village et de district. C’étaient les gens qui choisissaient eux-mêmes." (ibid., p. 545)
De la même façon le FNL était populaire au Vietnam et le contraste était saisissant avec le régime fantoche installé par les Etats Unis qui profitait essentiellement aux grands propriétaires fonciers. Douglas Pike, un conseiller auprès du gouvernement américain, qu’on ne peut soupçonner de sympathie communiste, parlait en ces termes de l’enracinement populaire du FNL:"Ce qui m’a le plus surpris avec le FNL, c’est qu’il place la révolution sociale avant la guerre.[…] Le paysan vietnamien n’était pas considéré comme un simple pion dans le rapport des forces mais comme un élément actif de la dynamique. Il était cette dynamique elle-même.[…] L’objectif de cet effort d’organisation était […] de reconstruire l’ordre social du village et de former les communautés villageoises à se prendre en main. C’était là l’objectif premier du FNL depuis le début et certainement pas de tuer des soldats de Saïgon, d’occuper le territoire ou de préparer quelque bataille. Non, il s’agissait avant tout d’organiser en profondeur la population rurale par le biais de l’autogestion." (cité par Howard Zinn, ibid., p.535) De la même façon, un rapport confidentiel de l’administration américaine  "reconnaissait que les Viêt-congs (2) distribuaient cinq fois plus de terres aux paysans que le gouvernement sud-vietnamien. […] Ce rapport ajoutait que "les Viêts-congs [avaient] aboli la domination des propriétaires terriens et alloué les terres appartenant à des propriétaires absentéistes et au gouvernement vietnamien aux paysans sans terre et à ceux qui [coopéraient] avec les autorités viêts-congs."" (cité par H. Zinn, ibid., p. 543) Quand des sources aussi diversifiées convergent toutes vers une même conclusion qui est de dire que le FNL que combattait l’armée américaine était infiniment plus populaire, ce qui revient à dire bien plus démocratique que le régime-client des Etats Unis à Saïgon, on peut la tenir raisonnablement comme établie.
La résistance étonnante des forces du FNL qui décourageait tant l’armée américaine et ses stratèges trouve ici son explication qu‘il était impossible d‘admettre et de reconnaître pour la propagande américaine: il bénéficiait d’un appui suffisamment profond dans la population rurale du pays pour l’ aider à soutenir une guerre de libération (ce que la propagande américaine appellera "agression communiste" au Sud Vietnam) contre un ennemi à la puissance de feu pourtant incommensurablement supérieure. Sa popularité était aussi bien le gage de son caractère démocratique que de sa force de résistance quasi indestructible comme devait se résigner à le constater le général américain Maxwell Taylor fin 1964:"Les capacités du Viêt-cong à renouveler continuellement ses unités et à tirer avantage de ses pertes est un des mystères de cette guerre de harcèlement. […] Non seulement les troupes du Viêt-cong renaissent de leur cendre tel un phénix, mais elles ont une stupéfiante capacité à garder un moral élevé. Rares ont été les occasions où nous avons pu constater une dégradation du moral chez les Viêt-congs capturés ou à la lecture des documents saisis chez eux." (cité par H. Zinn, ibid., p.538)


Logique de la terreur: la montée aux extrêmes.

Le terrorisme des puissances dominantes obéit à une stratégie de militarisation des conflits politiques entraînant la montée aux extrêmes jusqu’à la terreur sans limite. Il s’agit là d’un principe qui a une portée très générale: en matière de relations internationales, lorsqu’on se retrouve politiquement en situation d’infériorité dans un conflit politique, l’échappatoire consistera à tout faire pour le militariser; on parvient ainsi à déplacer le conflit d’un plan où l’on est en infériorité, par manque de soutien populaire, au plan militaire où l’on est sûr d’avoir l’avantage ( à condition bien sûr d‘être certain de disposer d‘un écrasant avantage militaire; mais vu les sommes défiant l‘imagination que l‘administration américaine consacre à son budget militaire, ceci n‘est  évidemment pas un problème). Les analyses que font Chomsky et Herman de la guerre du Vietnam dans La fabrication du consentement conduisent également à comprendre ainsi la stratégie américaine. Ce qui finit de rendre convaincante cette thèse, c’est le fait qu’ il y eu des négociations conduites sous la supervision du secrétaire général de l’ONU qui aboutirent en 1964 aux accords de Genève qui prévoyaient l’organisation d’élections pour aboutir à une résolution pacifique du conflit. Les Etats-Unis refusèrent ces accords car ils savaient très bien que le régime client qu’ils entretenaient au Sud Vietnam perdrait les élections faute de disposer du soutien populaire nécessaire:" Ils se tournèrent donc de plus en plus vers une politique de généralisation du conflit, dans l’espoir que celle-ci compenserait leur faiblesse sur le plan politique." (FDC, p. 381) c’était déjà le cas en 1954 où des accords prévoyaient la réunification du Vietnam et la tenue d’élections grâce auxquelles les Vietnamiens choisiraient leur propre gouvernement. Il fallait, pour l’état major américain, à tout prix, empêcher cela car les données de leur service de renseignement étaient sans équivoque:"un règlement de la situation par l’intermédiaire d’élections libres entraînerait presque à coup sûr le passage sous contrôle communiste des Etats associés [Laos, Cambodge et Vietnam]"
Ne restera donc plus, en dernier recours, que la stratégie de la terreur pour tenter d’inverser le rapport de force: on vaccinera la population contre le virus de la démocratie et de l‘indépendance par une campagne de "bombardements illimités" qui ne laissera plus rien subsister de la société civile. Nous aboutissons alors au terrorisme sous la forme la plus extrême que nous puissions rencontrer dans l’histoire et à coté de laquelle les attentats aux explosifs de quelques fondamentalistes religieux font figure d’aimables jeux d’enfants.
Au Vietnam, de 1964 à 1975, c’est une véritable guerre d’anéantissement qui a été conduite. Comme le note un conseiller du gouvernement américain comme Arthur Schlesinger, la stratégie conduite découlait de "la décision de mener une guerre aérienne illimitée, à l’intérieur [ du Vietnam du Sud], au prix de sa dévastation totale ."(Cité par Chomsky, Futurs proches, p. 154) Cela correspondait, de façon pragmatique, à des ordres comme celui que donnait Henri Kissinger ( récompensé du prix Nobel de la paix en 1973!) aux bombardiers américains: "Tout ce qui vole contre tout ce qui bouge." Le Vietnam ne sera plus, au sortir de cette guerre, comme le note encore Schlesinger, que ""ce tragique pays éviscéré et dévasté par les bombes, brûlé par le napalm, stérilisé par le défoliant chimique, une terre en ruines, une épave" dont le "tissu politique et institutionnel" aura été pulvérisé." (Cité par Chomsky, ibid., p.155) Howard Zinn donne le chiffre effarant de "sept millions de tonnes de bombes […] larguées sur le Vietnam- plus de deux fois la quantité de bombes tombées en Europe et en Asie pendant la Seconde Guerre mondiale. On estime à une vingtaine de millions le nombre de cratères formés par ces bombes dans le pays." (Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats Unis, p. 540-541) Bernard Fall pouvait ainsi parler de la situation en ces termes en 1967:"le Vietnam comme entité culturelle et historique[…] est menacé d’extinction [tant] les campagnes agonisent littéralement sous les coups de la plus énorme machine militaire qui se soit jamais déchaînée sur une région de cette taille." (Last Reflections on a War cité dans Chomsky et Herman, La fabrication du consentement, p. 369)


L'invasion de l'Irak
Resituons d'abord ce cas dans le contexte géo-politique de l'époque, la fin de la Guerre froide avec l'effondrement du bloc soviétique. Jusque là, partout dans les monde où les intérêts stratégiques des Etats-Unis étaient menacées par l’aspiration à l’indépendance des populations, la propagande pouvait invoquer le péril de la menace communiste en agitant l’épouvantail de l’Empire totalitaire soviétique pour livrer des guerres sans merci (3) Le général américain des marines Gray confirme lui-même le caractère fallacieux de ce prétexte lorsqu’il déclarait en guise de bilan de cette période en 1990:"En fait, dans la majorité des crises auxquelles nous avons réagi depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique n’était pas directement impliquée." (cité par Noam Chomsky, Les Etats manqués, p. 176) Sans doute pensait-il aux interventions en Chine, en Corée, en Indochine, aux Philippines, liste non exhaustive… De la même façon, Harry Rositzke qui travailla à la CIA pendant 25 ans expliquait en 1980 que "pendant toutes ces années […] [il n’avait jamais vu] le moindre rapport d’espionnage qui expliquerait pourquoi l’Union soviétique aurait intérêt à envahir l’Europe de l’Ouest ou à attaquer les Etats Unis."(cité par H. Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, p.655) Il suffit d’ailleurs de remarquer qu’avec la fin de la guerre froide et la chute de l’Empire soviétique, il n’y eut pratiquement aucune révision à la baisse du budget militaire des Etats Unis. L'intérêt du signifiant "communisme" tel qu'il est manipulé par la langue du pouvoir réside comme un bon slip dans son caractère extensible de sorte qu'on pourra y faire rentrer quiconque s'oppose aux intérêts stratégiques de la puissance américaine.
Il fallu donc à la fin de la guerre froide, trouver un nouvel épouvantail à agiter devant l’opinion internationale. Le général Colin Powell notait ainsi en 1991: "Je suis à court de démons, et à court de traîtres. Je dois me contenter de Castro et Kim Il Sung."(cité par H. Zinn, ibid., p.720) L'Irak du tyran Saddam Hussein vint à point nommé sur le devant de la scène comme le rapporte encore Howard Zinn:"Un membre de l'administration Bush ne déclara-t-il pas au New York Times , le 2 mars 1991: "Nous devons une fière chandelle à Saddam: il nous évité le débat sur les "dividendes de la paix".""(ibid., p. 702) Le cas actuel de l’Irak est donc un des derniers de la longue liste de ces effroyables guerres terroristes; la liste des atrocités serait longue à développer; elle aboutirait à ce bilan que dressait le journaliste Nir Rosen dès 2007 dans un article intitulé "la mort de l’Irak":"L’Irak est mort, écrivait-il, et ne se relèvera pas. L’occupation américaine a été plus désastreuse que celle des Mongols qui avaient saccagé Bagdad au XIIIème siècle. […] Seuls les idiots osent encore parler de "solutions". Il n’y a pas de solution. Le seul espoir qui reste, c’est celui de limiter les dégâts."(Cité par Chomsky, Futurs proches, p.160) Vont dans le même sens les déclarations de diplomates onusiens aussi respectés que Denis Halliday et Hans von Sponek démissionnaires de leur poste d’administrateur à l’ONU; suite à l’embargo décrété sous la dictée des américains, le premier l’a fait "en guise de protestation, ayant constaté que ces politiques étaient "génocidaires". Il jugeait que les sanctions qu’il avait été chargé d’appliquer "avaient été conçues et maintenues dans le but de tuer des civils, en particulier des enfants", et qu’on avait laissé mourir plus d’un million de personnes des suites des sanctions imposées par l’ONU. […] Le successeur de Halliday, Hans von Sponeck, a démissionné au bout de deux ans, ayant conclu que les sanctions violaient la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide." (Chomsky, ibid., p.162) Comme le conclut avec une implacable logique Chomsky, s’il fallait appliquer les critères qui étaient ceux du procès de Nuremberg pour juger des criminels de guerre nazis comme von Ribbentrop, les plus hauts responsables américains devraient se retrouver aujourd’hui avec une corde autour du cou.
Cette stratégie de la terreur se trouve parfaitement exposée dans un rapport du Stratcom, un organisme de l’armée américaine, paru en 1995 et intitulé, "Eléments essentiels à la dissuasion dans l’après guerre froide" que Chomsky qualifie sobrement de "stupéfiant":L’évolution de la situation internationale y est décrite en des termes qui ne laisse guère de place pour de doux rêves de paix: on est ainsi passé d’un «milieu riche en armes [l’URSS] à un milieu riche en cibles [le tiers-monde] » (cité par Chomsky, Futurs  proches, p.208) Dans ce contexte, poursuit le rapport, il serait "dommageable de donner de nous-mêmes une image trop rationnelle et modérée." Il faut faire comprendre au monde, geste à l’appui, "que les Etats Unis peuvent se montrer irrationnels et vindicatifs si l’on s’en prend à leurs intérêts vitaux et que certains de leurs éléments pourraient perdre toute retenue."(ibid., p.208) Le chef de l’état major américain Colin Powell était sur la même longueur d’onde lorsqu’il déclarait à cette époque, en écartant toute idée d'une baisse significative du budget militaire:"Je veux que le reste du monde demeure terrifié. Et je ne dis pas ça de manière agressive.(sic)" (cité par Howard Zinn, ibid., p.666)



(1) C’est le cas ici de mentionner la différence qui sépare cette terreur de celle que le système totalitaire nazi a pu faire régner. La singularité du génocide nazi réside en ceci qu’il n’obéissait à aucune logique militaire ou économique; pire même, il allait à l’encontre de toute logique de cet ordre ce qui faisait, par exemple, que les convois de déportés parfaitement inoffensifs vers les camps de concentration et d'extermination étaient prioritaires sur les convois soutenant l’effort de guerre sur le front de l’Est où la situation était pourtant de plus en plus critique. La terreur de l’impérialisme de type capitaliste obéit, quant à elle, toujours à une logique qui est celle de la valorisation illimitée du capital. Si la terreur nazi a quelque chose d’inédit, elle n’en a pas moins pu puiser dans l’histoire de l’Occident les matériaux de sa création. La terreur totalitaire du nazisme est certes une création tout à fait singulière du XXème siècle mais, qui, comme toute création, a puisé dans l’héritage social historique de l’Occident des éléments de terreur et de propagande qui allaient pouvoir l’inspirer pour leur donner une nouvelle forme, comme la longue tradition barbare du système de l’esclavagisme, du colonialisme et des pratiques génocidaires qui les avaient accompagnées pendant des siècles en témoignent.


(2) Terme à connotation extrêmement péjorative (de la même veine que "bougnoule", "négro", "rital", etc..) qui était systématiquement utilisé dans les médias américains pour désigner l'ennemi. C'est un des grands principes de la propagande de guerre qui avait commencé à servir en 1914-18 de ne pas désigner l'ennemi par le nom qu'il se donne à lui-même (ici le FNL= Front National de Libération, terme qui connote de façon éminemment positive la cause de l'ennemi) mais par un nom qui en fait quelque chose de méprisable: le "Viêt-cong". Le terme "boche" servait de la même façon en 1914-18 à susciter à l'égard de l'ennemi allemand des affects de haine. 

(3) Cette propagande marche évidemment dans les deux sens. C’est au nom de la menace des puissances impérialistes de l’Ouest que le régime totalitaire de Moscou a pu réprimer les mouvements populaires dans son propre Empire, comme en Hongrie en 1956, à Prague en 1968 etc. De ce point de vue les élites qui s’affrontent sur la scène  internationale l’ont toujours fait sur le fond d’un accord tacite, jamais explicité mais toujours présent qui est de  penser que la menace commune qu’ils ont à conjurer ce sont d'abord les mouvements populaires  dans leur empire respectif, et que, dans cette mesure, malgré toutes leurs divergences, ils ont un terrain sur lequel s’entendre. C’est le sens de la remarque que faisait Castoriadis à propos de la Révolution hongroise de 1956:" Il fait peu de doute que Reagan et Brejnev tomberaient d’accord sur la Hongrie."  ( Pour le texte entier, cf. ici.)
 

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