jeudi 8 septembre 2011

1) Eléments d'auto défense intellectuelle: sur le signifiant "terrorisme"

Qu'est-ce que l'auto défense intellectuelle?
L’intellectuel américain dissident Noam Chomsky soutient qu’une école démocratique qui prétend faire de l’instruction pour tous (en un sens non orwellien, cela s'entend) devrait mettre au cœur de ses dispositifs d’enseignement des cours d’auto défense intellectuelle. Comme il existe des techniques pour se défendre en cas d’agression physique, il existe aussi un certain nombre d’outils intellectuels qui permettent de se protéger contre les agressions que nous subissons quand nous sommes l’objet d’opérations de propagande visant à formater notre opinion. Ces outils, en particulier, doivent permettre d'analyser de façon critique la langue du pouvoir appelée aussi "langue de bois" dont le principe avait été clairement énoncé par un grand maître dans son maniement, Joseph Goebbels: "Nous ne parlons pas pour dire quelque chose mais pour produire un certain effet." Le vocable "terrorisme" aussi bien que l'expression "guerre contre le terrorisme" tels qu'ils sont utilisés actuellement fourniront une bonne illustration de ce qu'est une  langue qui fonctionne comme machine à produire des effets.

Le signifiant "terrorisme"
Proposition
La réduction métonymique
Concernant le terme même de "terrorisme", la première des précautions est de prendre garde à sa réduction métonymique (la métonymie, au sens premier du terme, est une figure de style employée, en particulier, dans la poésie, pour, par exemple, désigner le tout par la partie; exemple:"une aile vole" pour "l’oiseau vole") Systématique dans les médias dominants elle signifie que "terrorisme" ne finit plus que par désigner la violence des dominés et les attentats de quelques groupuscules extrémistes et, par contre coup, fait disparaître d‘un coup de baguette magique de la représentation symbolique, toute l‘effroyable terreur que les puissants déclenchent dans le même temps: nous sommes alors réduits à l‘impuissance pour la penser et nous finissons vite par l‘ignorer purement et simplement. Les jeunes palestiniens qui lancent des pierres contre les chars israël
iens  seront ainsi perçus comme des "terroristes" tandis que les bombardiers américains déversant des bombes au phosphore blanc, en principe interdites par les conventions internationales, sur des populations civiles à Falloujah ou ceux massacrant des femmes et enfants sans défense à Haditha apparaitront comme les instruments du combat pour la liberté et la démocratie dans le monde.
Si on part du verbe, on tombera moins facilement dans le piège et on verra que le terrorisme est d‘abord l‘œuvre des puissances dominantes dans l‘histoire car elles seules détiennent le pouvoir de  déclencher la terreur sur une vaste échelle.


Scolie
Le terrorisme réside dans l’action de terroriser une population dépourvue de moyens de défense pour la réduire à l’impuissance et la soumettre ou parce qu‘on a un intérêt quelconque, politique, économique, à produire une situation de chaos. De ce point de vue, l’histoire du colonialisme, celui, par exemple, qu’a pu conduire l’Occident, obéit rigoureusement à cette définition de sorte qu’on peut en faire le prototype du terrorisme des puissances dominantes de l’histoire. Colomb, Cortès, Pizzaro, les premiers colons puritains anglais en Virginie, etc. tous ces gens que nous célébrons aujourd’hui comme des héros de la civilisation occidentale sont de parfaits terroristes dans l'acception la plus rigoureuse du terme. Observons, pour l’étayer, la stratégie de la terreur qu'ils ont conduit pour conquérir les terres qu’ils convoitaient. Parlant de la guerre que les Anglais menaient contre les Indiens Pequots en Amérique, Howard Zinn attire l’attention sur le fait que " les anglais mirent en place une stratégie déjà utilisée par Cortès et largement reprise plus tard au XXème siècle: agressions délibérées sur les populations civiles dans l’objectif de terroriser l’ennemi." (Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, p. 21) C’est, par exemple, le sens de l’attaque du capitaine Mason contre un village Pequot:"Mason proposa d’éviter l’affrontement direct avec les guerriers Pequots afin de ne pas mettre en avant ses troupes trop peu aguerries et trop peu fiables. Le combat, en tant que tel, n’était pas son objectif premier. Ce n’était qu’un moyen parmi d’autres de saper l’ardeur combative de l’ennemi. Le massacre permettant d’obtenir le même résultat en prenant moins de risques. Mason opta pour la massacre." ( Francis Jennings, The invasion of America: Indians, Colonialism, and the Cant of Conquest cité par Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis)
Le massacre se distingue du combat en ce sens qu’il se fait contre la population sans défense des enfants, des femmes et des vieillards.Tous les ingrédients du terrorisme sont réunis: on s’attaque lâchement et en priorité à des victimes sans défense et sans la moindre once de pitié le but étant d’instiller un état permanent et profond de terreur pour soumettre la population.
L’intérêt  de cette stratégie de la terreur est aussi de déshumaniser le plus complètement possible l’indigène pour du même coup permettre à l’idéologie raciste de coloniser l'imaginaire de celui qu'on veut soumettre au point qu'il se regarde lui-même comme son maître le considère: parmi les innombrables témoignages qu‘on peut trouver, citons en deux qui abondent dans ce sens. Celui de Las Casas que rapporte ainsi Chomsky: "Il était de règle chez les Espagnols d’être cruels (…) pas simplement cruels, mais extraordinairement cruels afin que les traitements durs et sévères qu’ils infligeaient aux autochtones les empêchent d’oser se considérer comme des êtres humains ». (souligné par moi) Se voyant mourir à chaque jour par suite des traitements cruels et inhumains que leur infligeaient les Espagnols, piétinés par les chevaux, passés au fil de l’épée, mordus et déchirés par les chiens et, pour beaucoup, enterrés vifs après avoir dû subir toutes sortes de tortures raffinées [...], [ils] décidèrent de s’abandonner à leur triste sort sans lutter davantage, se livrant à leurs ennemis pour qu’ils fassent d’eux ce qu’ils voulaient. "

Le traitement que les colons esclavagistes français firent subir aux esclaves noirs en Haïti est de la même veine comme en témoigne ce récit d'un ancien esclave:"[ils] pendaient les gens tête en bas, les noyaient dans des sacs, les crucifiaient sur des planches, les enterraient vivants, les écrasaient dans des mortiers [...], les forçaient à manger de la merde, [...] les jetaient vivants pour être dévorés par les vers, ou sur des fourmilières, ou encore les attachaient solidement à des piquets dans les marécages pour être dévorés par les moustiques, [...] les jetaient dans des chaudrons de sirop de canne en ébullition » – quand on « ne les écorchait pas à coups de fouet » pour extraire la richesse qui a contribué à donner à la France son billet d’entrée dans le club des riches." (Cité par Chomsky, La tragédie d'Haïti) Ce que Rousset disait de la terreur nazi dans les camps d'extermination peut aussi parfaitement s'appliquer ici par où l'on voit que la barbarie de ce régime a pu s'appuyer sur une longue tradition de la terreur en Occident, ce que l'histoire écrite sous la dictée des vainqueurs  prendra bien soin d'oublier:"Le triomphe des SS exige que la victime torturée se laisse conduire à la corde sans protester, renonce, s'abandonne, dans le sens où elle cesse de s'affirmer. Et ce n'est pas pour rien. Ce n'est pas gratuitement, par sadisme uniquement, que les SS veulent cette défaite. Ils savent que le système qui réussit à détruire la victime avant qu'elle monte sur l'échafaud est le meilleur, incomparablement, pour maintenir un peuple en esclavage." (David Rousset, Les jours de notre mort, cité par Arendt dans Les origines du totalitarisme)
Cette stratégie de la terreur joue sur  des mécanismes psychologiques que la psychatrie au XXème a cherché à mettre en lumière, notamment avec quelqu'un comme Ewen Cameron. Ce pyschiatre dont les travaux ont été financés par la CIA prétendait chercher à guérir des individus atteints de troubles psychiques en leur administrant des chocs (électriques, prises de substances pyschotropes comme le LSD). En réalité, d'un point de vue thérapeutique, ces travaux n'ont rien donné sinon finir de détruire psychologiquement ses patients. En revanche, ils ont  servi à donner une base scientifique à la technique de la torture en montrant qu'en imposant à un individu des chocs répétés et violents , on parvient à le faire régresser à un stade infantile de son développement psychique qui le rend totalement malléable et docile pour celui qui veut le soumettre à sa volonté.
Ce principe a une immense portée touchant la conduite des affaires du monde par les puissances dominantes. C'est du moins la thèse de Naomi Klein qu'elle a développé dans son ouvrage, La stratégie du choc. Ce qui tiendra lieu de "choc" dans la conduite des affaires du monde ce sont de grandes catastrophes plongeant la population dans un état traumatique qui la rendra docile et prête à accepter n'importe quelle mesure que le pouvoir jugera bon d'imposer. L'illustration qu'en donne Naomi Klein est celle d'un théâtre en feu dans lequel s'élève une voix pour dire: "C'est par là, c'est par là la sortie!" et laquelle tout le monde se raccrochera.




A voir en complément ces interventions de Chomsky tirées du documentaire Pouvoir et terreur à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats Unis:






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