Mise à jour, 12-06-20
Introduction
Pour poser le problème.
La thèse (oui la liberté c'est...) ici est celle de l'opinion courante sur la liberté que presque tous les élèves ont dans la tête (à part ça, chacun est libre de penser ce qu'il veut, un autre poncif: c'est sûrement juste une coïncidence que presque tout le monde en vienne à penser la même chose!) Celle-ci conduit pourtant très vite à des impasses et des contradictions dès lors que l'on commence à l'examiner: le drogué, dès lors qu'il dispose des moyens, est-il libre de prendre sa dose tous les jours, qui l'entretient dans sa dépendance alors même qu'elle lui procure tout le plaisir qu'il souhaite? "Faire ce qui nous plaît" sans limite ne constitue-t-il pas un phantasme qui s'enracine dans les traits les plus infantiles de la psyché (âme) humaine et que toute société se doit de rectifier sous peine de plus pouvoir fonctionner tout simplement? Le problème est alors de déterminer dans quelle mesure la nécessaire institution de la loi peut se concilier avec les exigences pulsionnelles de la vie psychique basées sur le principe de plaisir? Car, il faut bien concéder aussi à l'opinion commune qu'une vie passée à faire des choses dont on ne retire pas de plaisir se déroulerait sur le registre de la contrainte, et non pas de la liberté.
Démarche: on part de l'opinion courante pour la soumettre à la critique puis la rectifier en montrant qu'elle en reste à un stade tout à fait infantile de compréhension de la liberté. Pour autant, il ne s'agira pas de renoncer au principe de plaisir mais de montrer que finalement la capacité à faire ce qui nous plaît n'est viable socialement comme concept de la liberté que si elle a pour condition la sublimation de la vie psychique des individus, c'est-à-dire, l'élévation du plaisir à un niveau supérieur qui fait que l'individu peut parvenir à investir affectivement des activités culturelles comme le sport, l'art, la philosophie, la science, la spiritualité, etc., pour trouver son plaisir, en leurs domaines très variées, suivant ses dispositions.
I Thèse:la morale hédoniste .
a) Hédonisme vulgaire et hédonisme philosophique
Pour l'hédonisme, le sens de la vie est en dernière instance la quête du plaisir et l'évitement du déplaisir pour poser la double équivalence plaisir=liberté et déplaisir=contrainte. Nous nous sentons libres quand nous pouvons faire ce qui nous plaît (loisirs,vacances) et contraints dans le cas contraire: devoir se lever à 5 heures du matin tous les jours ou faire les trois 8 pour aller travailler à l'autre bout de la ville, aller à l'école, faire ses devoirs etc.
Mais, pour éviter les pires confusions, il est essentiel de commencer par distinguer deux formes d'hédonisme: une forme limitée correspondant à l'hédonisme philosophique dont la morale épicurienne constitue le prototype (d'Epicure, philosophe de l'antiquité grecque) et la forme illimitée, l'hédonisme vulgaire, celui qu'on peut illustrer, pour montrer l'impasse qu'il constitue, par le cafard, qu'on éradique par la stimulation continue de la zone du système nerveux liée à l'appétit sexuel par absorption d'une molécule: au bout du compte les cafards meurent d'épuisement. La morale de cette histoire c'est que la jouissance sans limite ne peut qu'entraîner la mort. J'ai tout de même eu l'occasion, un jour, d'entendre une élève me répondre, à propos de cette méthode d'extermination quelque chose comme:"Mais, c'est cool de mourir comme ça!"Après mûre réflexion, j'en suis venu à penser qu'elle exprimait effectivement une profonde vérité se rapportant à quelque chose logée au coeur de l'imaginaire des sociétés actuelles; mais, ce qu'elle ne pouvait intégrer, c'est le fait que c'est précisément cette chose là qui les conduit droit à leur perte, une façon de sous-entendre, sans en avoir véritablement conscience: j'en profite un max. et"après moi le déluge!", pour reprendre la formule qu'on trouve dans l'oeuvre de Marx, ou, pour reprendre celle de la bourgeoisie anglaise de la même époque, elle-même, "Chacun pour soi et le diable emportera le dernier" (Cité par E. Hobsbawn, L'ère des révolutions, p. 258), version tout de suite plus brutale et sans doute aussi plus réaliste que sa forme connue, "Chacun pou soi et Dieu pour tous". Il faudrait ici méditer ce somptueux rétable de J. Bosch, Le jardin des délices, un peintre, qui, ce n'est sûrement pas un hasard, vivait dans la Hollande du XV-XVIème siècle, ce pays qui était alors à l'avant-garde de ce qui donnera naissance plus tard au capitalisme. Comme Aristote, en son temps, l'avait fait sur un plan philosophique, à l'époque de l'antiquité tardive où l'on trouvait déjà des premières ébauches de ce système économique, on peut soutenir l'idée que Bosch a anticipé, sur le plan pictural, à quoi conduirait dans sa forme achevée ce qu'il voyait poindre sous ses yeux, qui nous renvoie au panneau latéral de droite en lui faisant face et qui n'a manifestement rien de "cool", sans qu'il y ait besoin d'imaginer un quelconque châtiment divin pour cela:
En tous les cas, il ne fait guère de doute que si les formes d'humanité qui nous ont précédé depuis trois millions d'années avaient épousé ce genre de mode de vie, nous n'aurions pas le luxe d'exister aujourd'hui pour le faire nôtre. Voilà qui fait penser à la situation d'un fils de famille qui dilapiderait pour son bon plaisir un héritage familial, transmis le long de 96 000 générations, approximativement le nombre qui nous fait remonter aux premiers représentants du genre humain.
L'hédonisme, tel que l'a pensé la tradition philosophique est donc toute autre chose. Epicure le dit bien: la maximisation du plaisir suppose le développement d'une culture de la limitation des désirs. Plus un individu a un mode de vie fondé sur la simplicité dans lequel ses priorités vont aux choses essentielles dont il a besoin et plus il réduit les sources potentielles de souffrance liées à la sensation d'un manque. Plus aussi, il peut consacrer l'essentiel de son énergie à ce dont il a véritablement besoin plutôt qu'à des désirs que la société aura artificiellement suscité en lui via le matraquage publicitaire dans nos sociétés. Au contraire, plus il multiplie les désirs à l'égard de choses dont il n'a aucun besoin et plus sa frustration sera exacerbée car plus il aura d'occasions de stimuler la sensation de manque. Voilà pourquoi le terme "d'hédonisme" est, en réalité, tout à fait impropre pour caractériser l'éthique de l'individu de la société de consommation de masse moderne. Bien au contraire:"La meilleure description qu'on puisse donner de l'état d'esprit que promeut le consumérisme est celle d'un état de malaise et d'anxiété chronique." (Christopher Lasch, The minimal self) Cette analyse trouve sa parfaite illustration dans un fait divers comme celui-ci attestant des formes pathologiques extrêmes que produit ce consumérisme de masse:Un homme meurt écrasé par une foule d'acheteurs à New York. ( Voir aussi ce fait divers tel que le relate le documentaire Psywar à 1h 20' 30")
Voilà pourquoi aussi, les sociétés modernes sont de fausses sociétés d'abondance. Comme l'analyse l'anthropologue américain Marshall Sahlins, une société d'abondance suppose deux choses: des besoins limités et des ressources dont on assure la pérennité (durabilité). De ce point de vue, les seules sociétés d'abondance que l'humanité ait connu jusqu'à présent sont celles primitives des chasseurs-collecteurs comme, par exemple, celles des tribus d'amérindiens des grandes plaines de l'Amérique du nord avant d'être colonisées par les Blancs: des besoins limités et d'immenses réserves de chasse et de cueillette sciemment sous exploitées. Les sociétés modernes font tout juste l'inverse: une multiplication sans limite des besoins et des ressources allant en se raréfiant, particulièrement sous ses deux aspects les plus critiques, l'épuisement des sols et l'effondrement de la biodiversité (sans parler du réchauffement climatique...) Certes, personne ne pourra nier que l'âge inauguré par la Révolution industrielle au XIXème siècle a libéré sans précédent et dans des proportions fantastiques le développement des forces productives, lui conférant un formidable pouvoir de séduction. Mais, ce qu'il cache, c'est le prix à payer. Les besoins augmentant, le poids des nécessités de la vie continue à se faire durement ressentir d'autant plus dans un contexte où l'épuisement des ressources naturelles rend de plus en plus problématique les perspectives de croissance, comme les indicateurs économiques le laissent penser (dès le début des années 1970, le Rapport du Club de Rome intitulé, Les limites de la croissance, mettait d'ailleurs en garde).
Introduction
Pour poser le problème.
La thèse (oui la liberté c'est...) ici est celle de l'opinion courante sur la liberté que presque tous les élèves ont dans la tête (à part ça, chacun est libre de penser ce qu'il veut, un autre poncif: c'est sûrement juste une coïncidence que presque tout le monde en vienne à penser la même chose!) Celle-ci conduit pourtant très vite à des impasses et des contradictions dès lors que l'on commence à l'examiner: le drogué, dès lors qu'il dispose des moyens, est-il libre de prendre sa dose tous les jours, qui l'entretient dans sa dépendance alors même qu'elle lui procure tout le plaisir qu'il souhaite? "Faire ce qui nous plaît" sans limite ne constitue-t-il pas un phantasme qui s'enracine dans les traits les plus infantiles de la psyché (âme) humaine et que toute société se doit de rectifier sous peine de plus pouvoir fonctionner tout simplement? Le problème est alors de déterminer dans quelle mesure la nécessaire institution de la loi peut se concilier avec les exigences pulsionnelles de la vie psychique basées sur le principe de plaisir? Car, il faut bien concéder aussi à l'opinion commune qu'une vie passée à faire des choses dont on ne retire pas de plaisir se déroulerait sur le registre de la contrainte, et non pas de la liberté.
Démarche: on part de l'opinion courante pour la soumettre à la critique puis la rectifier en montrant qu'elle en reste à un stade tout à fait infantile de compréhension de la liberté. Pour autant, il ne s'agira pas de renoncer au principe de plaisir mais de montrer que finalement la capacité à faire ce qui nous plaît n'est viable socialement comme concept de la liberté que si elle a pour condition la sublimation de la vie psychique des individus, c'est-à-dire, l'élévation du plaisir à un niveau supérieur qui fait que l'individu peut parvenir à investir affectivement des activités culturelles comme le sport, l'art, la philosophie, la science, la spiritualité, etc., pour trouver son plaisir, en leurs domaines très variées, suivant ses dispositions.
I Thèse:la morale hédoniste .
a) Hédonisme vulgaire et hédonisme philosophique
Pour l'hédonisme, le sens de la vie est en dernière instance la quête du plaisir et l'évitement du déplaisir pour poser la double équivalence plaisir=liberté et déplaisir=contrainte. Nous nous sentons libres quand nous pouvons faire ce qui nous plaît (loisirs,vacances) et contraints dans le cas contraire: devoir se lever à 5 heures du matin tous les jours ou faire les trois 8 pour aller travailler à l'autre bout de la ville, aller à l'école, faire ses devoirs etc.
Mais, pour éviter les pires confusions, il est essentiel de commencer par distinguer deux formes d'hédonisme: une forme limitée correspondant à l'hédonisme philosophique dont la morale épicurienne constitue le prototype (d'Epicure, philosophe de l'antiquité grecque) et la forme illimitée, l'hédonisme vulgaire, celui qu'on peut illustrer, pour montrer l'impasse qu'il constitue, par le cafard, qu'on éradique par la stimulation continue de la zone du système nerveux liée à l'appétit sexuel par absorption d'une molécule: au bout du compte les cafards meurent d'épuisement. La morale de cette histoire c'est que la jouissance sans limite ne peut qu'entraîner la mort. J'ai tout de même eu l'occasion, un jour, d'entendre une élève me répondre, à propos de cette méthode d'extermination quelque chose comme:"Mais, c'est cool de mourir comme ça!"Après mûre réflexion, j'en suis venu à penser qu'elle exprimait effectivement une profonde vérité se rapportant à quelque chose logée au coeur de l'imaginaire des sociétés actuelles; mais, ce qu'elle ne pouvait intégrer, c'est le fait que c'est précisément cette chose là qui les conduit droit à leur perte, une façon de sous-entendre, sans en avoir véritablement conscience: j'en profite un max. et"après moi le déluge!", pour reprendre la formule qu'on trouve dans l'oeuvre de Marx, ou, pour reprendre celle de la bourgeoisie anglaise de la même époque, elle-même, "Chacun pour soi et le diable emportera le dernier" (Cité par E. Hobsbawn, L'ère des révolutions, p. 258), version tout de suite plus brutale et sans doute aussi plus réaliste que sa forme connue, "Chacun pou soi et Dieu pour tous". Il faudrait ici méditer ce somptueux rétable de J. Bosch, Le jardin des délices, un peintre, qui, ce n'est sûrement pas un hasard, vivait dans la Hollande du XV-XVIème siècle, ce pays qui était alors à l'avant-garde de ce qui donnera naissance plus tard au capitalisme. Comme Aristote, en son temps, l'avait fait sur un plan philosophique, à l'époque de l'antiquité tardive où l'on trouvait déjà des premières ébauches de ce système économique, on peut soutenir l'idée que Bosch a anticipé, sur le plan pictural, à quoi conduirait dans sa forme achevée ce qu'il voyait poindre sous ses yeux, qui nous renvoie au panneau latéral de droite en lui faisant face et qui n'a manifestement rien de "cool", sans qu'il y ait besoin d'imaginer un quelconque châtiment divin pour cela:
En tous les cas, il ne fait guère de doute que si les formes d'humanité qui nous ont précédé depuis trois millions d'années avaient épousé ce genre de mode de vie, nous n'aurions pas le luxe d'exister aujourd'hui pour le faire nôtre. Voilà qui fait penser à la situation d'un fils de famille qui dilapiderait pour son bon plaisir un héritage familial, transmis le long de 96 000 générations, approximativement le nombre qui nous fait remonter aux premiers représentants du genre humain.
L'hédonisme, tel que l'a pensé la tradition philosophique est donc toute autre chose. Epicure le dit bien: la maximisation du plaisir suppose le développement d'une culture de la limitation des désirs. Plus un individu a un mode de vie fondé sur la simplicité dans lequel ses priorités vont aux choses essentielles dont il a besoin et plus il réduit les sources potentielles de souffrance liées à la sensation d'un manque. Plus aussi, il peut consacrer l'essentiel de son énergie à ce dont il a véritablement besoin plutôt qu'à des désirs que la société aura artificiellement suscité en lui via le matraquage publicitaire dans nos sociétés. Au contraire, plus il multiplie les désirs à l'égard de choses dont il n'a aucun besoin et plus sa frustration sera exacerbée car plus il aura d'occasions de stimuler la sensation de manque. Voilà pourquoi le terme "d'hédonisme" est, en réalité, tout à fait impropre pour caractériser l'éthique de l'individu de la société de consommation de masse moderne. Bien au contraire:"La meilleure description qu'on puisse donner de l'état d'esprit que promeut le consumérisme est celle d'un état de malaise et d'anxiété chronique." (Christopher Lasch, The minimal self) Cette analyse trouve sa parfaite illustration dans un fait divers comme celui-ci attestant des formes pathologiques extrêmes que produit ce consumérisme de masse:Un homme meurt écrasé par une foule d'acheteurs à New York. ( Voir aussi ce fait divers tel que le relate le documentaire Psywar à 1h 20' 30")
Voilà pourquoi aussi, les sociétés modernes sont de fausses sociétés d'abondance. Comme l'analyse l'anthropologue américain Marshall Sahlins, une société d'abondance suppose deux choses: des besoins limités et des ressources dont on assure la pérennité (durabilité). De ce point de vue, les seules sociétés d'abondance que l'humanité ait connu jusqu'à présent sont celles primitives des chasseurs-collecteurs comme, par exemple, celles des tribus d'amérindiens des grandes plaines de l'Amérique du nord avant d'être colonisées par les Blancs: des besoins limités et d'immenses réserves de chasse et de cueillette sciemment sous exploitées. Les sociétés modernes font tout juste l'inverse: une multiplication sans limite des besoins et des ressources allant en se raréfiant, particulièrement sous ses deux aspects les plus critiques, l'épuisement des sols et l'effondrement de la biodiversité (sans parler du réchauffement climatique...) Certes, personne ne pourra nier que l'âge inauguré par la Révolution industrielle au XIXème siècle a libéré sans précédent et dans des proportions fantastiques le développement des forces productives, lui conférant un formidable pouvoir de séduction. Mais, ce qu'il cache, c'est le prix à payer. Les besoins augmentant, le poids des nécessités de la vie continue à se faire durement ressentir d'autant plus dans un contexte où l'épuisement des ressources naturelles rend de plus en plus problématique les perspectives de croissance, comme les indicateurs économiques le laissent penser (dès le début des années 1970, le Rapport du Club de Rome intitulé, Les limites de la croissance, mettait d'ailleurs en garde).
En outre, contrairement à un préjugé partout répandu, l'entrée de l'humanité dans le néolithique avec la sédentarisation, autour de - 10 000 ans, a dû sensiblement contracter l'approvisionnement alimentaire; ce qui le montre, c'est la diminution de la taille que l'on a pu mesurer sur la base de données archéologiques: alors que les premiers hommes de Cro-Magnon ayant peuplé le territoire qui correspond aujourd'hui à la France, autour de - 50 000 ans, mesuraient, en moyenne, 1 m 79 pour un poids de 67 kg (la femme 1 m 58), au néolithique, l'homme ne mesurait plus que 1 m 66, en moyenne (voir, le préhistorien P. Depaepe qui détaille ces données, à partir de 54'50, dans cette conférence, La modernité de l'homme préhistorique) Ce qui va tout à fait dans le même sens que ces données de la préhistoire, c'est ce que les anthropologues ont pu recueillir comme témoignages d'individus appartenant à des sociétés nomades de chasseurs-collecteurs, vivant encore au XXème siècle, qui leur expliquaient pourquoi ils s'obstinaient à ne pas vouloir se convertir à la révolution néolithique, comme le faisaient la plupart de leurs voisins, et en rester ainsi à une forme de vie que nous qualifions d'ordinaire de "primitive". Par exemple, les Hadzas d'Afrique noire arguaient du fait que cela entraînerait trop de travail et par voie de conséquence une vie bien plus pénible. Dans le même sens et venant de la même aire géographique, les Bochimans étaient tout à fait explicites à ce sujet:"Pourqioi planterions-nous, lorsqu'il y a tellement de noix de mongo-mongo dans le monde?" (Cité par Sahlins, Age de pierre âge d'abondance, p. 67) On ne peut mieux imager le fait que la pénurie pour l'humanité n'est pas nécessairement là où on est habitué à la situer, dans les temps de l'ancien âge de pierre, avant la sédentarisation et le développement de l'agriculture.
b) Les racines psychologiques de l'hédonisme sans limite
La définition la plus rudimentaire de la liberté comme pouvoir de faire ce qui nous plaît sans limite s'enracine dans les traits les plus infantiles de la psyché (âme) qui doivent nécessairement être rectifiés pour la transformer en un individu apte à vivre en société et même à vivre tout court.
Pour commencer à en apercevoir les raisons, il faut noter qu'un des traits caractéristiques de la psyché humaine est de former ses représentations pour en faire des sources de plaisir sans tenir aucun compte de leur conformité à la réalité. C'est sur ce mode que fonctionne notre inconscient. Dans ce trait s'enracine le phantasme de toute puissance ou ce que Freud, l'inventeur de la psychanalyse, avait appelé "le pouvoir magique de la pensée", la croyance complètement illusoire du nourrisson (le bébé) que c'est par la seule puissance de son cri que le sein surgit pour combler son besoin. Il est entendu que l'enfant ne sera apte à vivre qu'en rectifiant ce trait infantile de sa psyché par l'intégration d'un principe de réalité qui doit l'amener à former ses représentations non pas seulement en fonction de ses désirs mais aussi d'après l'ordre réel des choses. Si toutes nos représentations étaient fausses, non conformes à la réalité, nous ne pourrions survivre ne serait-ce qu'une journée. Ce sera le rôle de la fonction paternelle que l'on ne trouve guère que chez l'être humain de sortir le nourrisson de cet état primordial en opérant la rupture de la totalité fusionnelle qu'il forme originellement avec sa mère. Elle le fait en posant le premier de tous les interdits, celui que l'on retrouve dans toutes les cultures humaines, comme la bien montré l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, celui de l'inceste.
En ce sens, toute forme d'éducation, même la moins répressive, implique, d'une façon ou une autre, une violence faite à la psyché pour rompre la fusion avec la mère, état dans lequel le désir de l'enfant est immédiatement comblé sans avoir à faire le moindre effort pour cela.
L'enfant franchit une étape absolument décisive de son évolution à partir du moment où il apprend à différer (retarder) la satisfaction de ses désirs. C'est ainsi seulement qu'il sort de l'illusion dans laquelle il est initialement pris, comme l'a montré Freud, de croire que le simple cri qu'il pousse fait surgir le sein qui va apaiser sa faim: c'est la croyance au "pouvoir magique de la pensée" qui stimule en lui un phantasme de toute puissance. Si rien ne le sort de là, Il restera enfermé, de cette façon, dans une représentation totalement délirante en croyant que le monde tourne entièrement autour de lui pour combler ses désirs sans qu'il ait à faire le moindre effort pour cela. L'humanité commence là où l'enfant apprend à sortir de cet état et fait intervenir la médiation de son propre effort entre lui et la satisfaction de son désir. Mais, spontanément, il ne le fera pas car il est guidé par un principe d'économie d'énergie qui est la loi qui gouverne l'inconscient tel que Freud en a fait la théorie et qui fait qu'il suivra inconsciemment la pente du moindre effort. Pour lui ouvrir le chemin d'une vie future épanouie, il faudra nécessairement lui apprendre le sens des médiations intermédiaires entre lui et ses désirs. Ce qu'il faut bien voir, c'est qu'on tient là la règle de base pour avoir une chance d'une vie future heureuse. Pour une preuve expérimentale, voir le Test de la guimauve, exposé à partir de 11'40 dans ce documentaire, Le cerveau et ses automatismes. Les enfants qui ont résisté à la tentation de manger immédiatement le bonbon sont ceux qui auront la meilleure vie une fois adulte et ce sur tous les plans, affectif, intellectuel, social, professionnel etc.:
Qu'un des secrets de la liberté, ce soit d'être capable de se dominer soi-même et non pas les autres, cela pouvait être montré par le biais de la philosophie de Hegel (XVIII-XIXème siècle) Dans le rapport maître-serviteur, qui représente un certain stade du développement social de l'humanité, c'est le serviteur qui va acquérir la véritable liberté qui est, pour partie, la maîtrise de soi (l'autre passant par la maîtrise des impératifs de la technique que le serviteur développe aussi par son travail), en étant conduit à s'auto-discipliner tandis que le maître oisif devient l'esclave de ses appétits et désirs et régresse ainsi à un stade infantile de son évolution: historiquement, c'est par exemple la décadence et décomposition de l'Empire romain tardif avec une aristocratie qui avait complètement dégénéré en versant dans l'appétit illimité de la richesse.
II La liberté suppose l'autonomie.
a)Autonomie vs hétéronomie
Si l'institution de la loi est nécessaire pour rendre viable la vie humaine, la réflexion, ne peut pas s'arrêter là comme c'est le cas pour trop de copies. Il faut encore apercevoir que l'institution de la loi peut se faire suivant deux régimes fondamentalement opposés: le régime de l'hétéronomie dans lequel la loi est subie et imposée et le régime de l'autonomie dans lequel la loi procède de celui-là même qui doit lui obéir. C'est suivant cette dernière modalité seulement que l'institution de la loi peut se concilier avec l'aspiration humaine à la liberté.
Définir précisément et distinctement la notion d'autonomie,ça veut dire faire au moins deux choses.
Partir de l'étymologie grecque : auto (= par soi-même) + nomos (= la règle instituée par les hommes par opposition aux lois de la nature) ce qui donne ici une définition de la liberté compatible avec l'obéissance à des lois. Montrer ensuite que l'autonomie doit s'entendre en deux sens qui se complètent et qui réunis donnent le sens plein de ce qu'elle est. Un sens moral qui renvoie à l'autonomie individuelle: celle, par exemple, du héros du roman de Victor Hugo, Les Misérables, Jean Valjean face à la loi morale, lorsqu'il doit se décider s'il va ou non se livrer à la justice pour éviter qu'un innocent avec lequel on l'a confondu soit condamné à sa place. Mais un individu autonome ne pourra avoir toutes les chances de se former qu'au sein d'une société elle-même autonome ce qui renvoie à la dimension collective et politique de la notion: premièrement, est autonome une société qui a reconnu que les lois qui l'organisent ne viennent pas d'une puissance extérieure et surnaturelle (un dieu le plus souvent) mais d'elle-même. Deuxièmement, est autonome une société, qui, partant de là, fera participer à titre d'égaux, chaque citoyen à l'élaboration, discussion et vote des lois. C'est ce que les Grecs de l'antiquité avaient commencé a inventer avec la démocratie et dont nous sommes encore très loin contrairement aux balivernes qui sont racontées sur notre propre société.
b) L'autonomie individuelle
On peut lui faire correspondre les deux types d'impératifs ou de règles que se donne la volonté décrits par Kant, hypothétiques et catégorique. Pour les hypothétiques, ils se subdivisent eux-mêmes en deux sous catégories. Les impératifs de la prudence qui ont pour but le bonheur et ceux de la technique comme fabriquer un angle droit ou un mur etc. Ce sont les premiers qui vont nous retenir ici puisque ce sont eux qui mettent en jeu le principe de plaisir gouvernant l'inconscient.
Prenons un sportif de haut niveau qui croit trouver son bonheur dans l'objectif de la conquête d'un titre de champion olympique. S'il veut réaliser sa finalité, il devra nécessairement s'imposer une stricte discipline qui passe par l'obéissance à des règles de de vie, d'hygiène, de diététique, d'entraînement etc. Mais dans la mesure où il a voulu lui-même cet objectif, l'obéissance à ces règles est, en un sens, autonomie, expression de sa propre volonté. Elles ne sont donc en aucun cas contradictoires avec l'affirmation de la liberté humaine; bien au contraire, elles en constituent les conditions nécessaires. Plus généralement, personne au monde ne serait capable de réaliser le moindre de ses objectifs dans la vie s'il cédait à tous les caprices que lui inspirent ses désirs.
Il y a une donnée essentielle de la psychologie humaine d'où il faut partir pour comprendre la nécessité pour n'importe quel être humain de s'imposer des règles. Mais ces impératifs hypothétiques n'ont aucune valeur morale qui oblige absolument. Leur valeur est conditionnée par le fait de trouver son bonheur dans la gloire:"si tu veux être champion olympique alors tu dois ...." Rien n'oblige absolument à vouloir être champion olympique.
Seul l'impératif catégorique oblige moralement sans condition. C'est le sens le plus fondamental de l'autonomie individuelle et sa condition négative l'indépendance de la volonté à l'égard du principe de plaisir qui gouverne la visée du bonheur. Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo est le symbole parfait qui fait ressortir le sens de l'impératif catégorique. Rien n'oblige juridiquement le héros à aller se livrer à la justice pour que l'innocent avec lequel on l'a confondu ne soit pas condamné à sa place. Si la volonté de Valjean n'était déterminée que par des motivations qui ont trait à la visée du bonheur, il serait resté tranquillement chez lui pour échapper au bagne. Mais en suivant la loi morale émanant de sa propre volonté qui lui dit d'aller se dénoncer il témoigne de sa pleine autonomie morale. Il n'obéit qu'à une loi qu'il veut lui-même sans condition, cette fois: tu dois le faire car telle est la pure forme de la loi.
Mais, l'autonomie individuelle ainsi entendue ne peut être séparée de son sens politique, collectif comme nous l'avions annoncé. Je ne serais incité à avoir un tel comportement moral que dans une société où je pourrais me reconnaître dans les lois juridiques (le droit) qui ont cours ce qui suppose que j'ai pu participer activement à leur institution. Une société où les lois juridiques ne seraient que l'expression de rapports de domination de certaines classes sociales sur d'autres décourageraient toute attitude de ce type. Valjean est une figure très idéalisée qu'a crée le poète dont on ne peut raisonnablement attendre qu'elle représente le type majoritaire dans le cadre de sociétés hiérarchisées. Qu'elle ait des chances de se généraliser n'est envisageable que dans une société qui s'est organisée politiquement sur les bases d'une véritable démocratie dans laquelle, en tant que citoyen j'ai un véritable pouvoir législatif qui fait que je peux donc reconnaître les lois comme la manifestation de mon propre vouloir. Est-ce bien le cas dans nos sociétés?
c) L'autonomie politique.
Sur l'aspect politique de la question, un esprit critique devra être capable de questionner les habituelles platitudes du catéchisme républicain comme celle voulant que "ma liberté s'arrête là où commence celle des autres". Le concept de liberté impliqué dans cette formule, est celui d'une société bourgeoise où chacun tend à vivre replié sur ses intérêts privés. Il exprime donc, sur le plan du droit, la domination de la bourgeoisie sur l'ensemble de la société. Le schéma de pensée qui commande ce concept est celui de la propriété privée de l'individu: là où ma propriété s'arrête commence celle d'un autre. Il est impossible, sur cette base, d'édifier une véritable démocratie qui suppose, au contraire, l'existence d'un espace commun suffisamment étendu où peuvent exister des institutions concrètes au sein desquelles participer activement en tant que citoyen aux discussions et votes des lois. Pour un Athénien de l'époque de l'antiquité grecque démocratique, cette formule bourgeoise de la liberté aurait paru comme un non sens et il aurait plutôt énoncé quelque chose comme:"ma liberté commence avec celle des autres citoyens dans l'action et la délibération collective." Sans cela, il ne faut pas espérer, même en rêve, avoir une démocratie si les mots ont un sens (démos = le peuple et kratos = le pouvoir, le pouvoir législatif, judiciaire et exécutif exercés par le peuple lui-même et non des représentants qui le font à sa place).
Le problème n'est pas là où les élèves le situent en général: il n'est pas celui d'avoir à obéir à des lois qui nous priveraient de notre liberté. L'espèce humaine ne serait tout simplement pas en mesure de subsister et serait vouée à l'extinction si n'étaient instituées les règles qui vont orienter les comportements car fait défaut à l'humain les mécanismes instinctifs qui régulent le comportement des animaux pour l'essentiel, ceci en raison, fondamentalement de sa néoténie qui en fait un être inachevé biologiquement. Le véritable problème politique n'est pas le fait qu'il existe des lois qui nous obligent. Il est de savoir si ces lois sont reconnues dans leur origine purement sociale. Autrement dit, la loi est-elle instituée suivant le régime de l'autonomie ou de l'hétéronomie? Et si, partant de là, les citoyens eux-mêmes ont le pouvoir de la faire et de la décider?
L'autonomie ainsi définie dans sa double dimension individuelle et collective suppose donc de renoncer à une conception naïve et enfantine qui croit voir dans l'expression de mon simple bon plaisir la liberté. Pourtant, on ne peut pas non plus renoncer complètement à intégrer quelque chose du principe de plaisir dans le concept de liberté. Je ne peux me sentir pleinement libre là où je me sens contraint de suivre des règles en devant me faire violence. C'est le sens du reproche qu'adressait le poète et philosophe Schiller à la morale kantienne: si l'accomplissement de la loi morale doit supposer de faire violence à ma propre nature sensible, il sera toujours vécu comme une contrainte qu'exerce ma nature raisonnable sur ma nature sensible. La contrainte, en réalité, fonctionne dans les deux sens: quand pour suivre la loi je dois contraindre ma nature sensible mais aussi en sens inverse, quand, en suivant ma nature sensible, j'éprouve de la honte à enfreindre la loi morale. Comment arriver à faire en sorte que ces deux natures qui me constituent reforment une unité qui constituera alors la pleine et entière liberté?
III Synthèse: comment concilier dans la liberté les visées du plaisir et de de la loi?
a) La réunification de nos deux natures à travers l'œuvre de sublimation.
L'outil intellectuel indispensable pour penser une synthèse entre le droit fait aux individus de pouvoir retirer du plaisir de ce qu'ils font et les exigences de la nécessaire institution des lois aussi bien juridiques que morales tient dans le concept clé de sublimation.
Au sens premier du terme, c'est un concept utilisé en chimie qui signifie la dématérialisation d'un corps, son passage d'un état solide à un état gazeux. Appliqué à la psychologie humaine, il faudra alors entendre un processus similaire de dématérialisation du désir qui n'est, en réalité, qu'une façon d'approfondir ce que nous avions déjà compris comme la nécessité d'apprendre à retarder sa satisfaction. Prenons un exemple basique comme celui que donnait la psychanalyste Françoise Dolto: quand un enfant réclame un bonbon, il ne faudra, d'une façon générale, ni réprimer son désir ni lui céder mais le sublimer ce qui voudra dire très concrètement lui faire, par exemple dessiner, sculpter, imaginer etc. le bonbon qu'il désire. C'est uniquement de cette façon que je peux élever sa sensibilité à un niveau supérieur d'existence et lui ouvrir les portes de la culture qui autrement lui resteraient fermées s'il n'était centré que sur son tube digestif quand il s'assimile le bonbon.
C'est là que devient concrètement possible cet idéal d'humanité où ce qui me plaît tend à converger avec ce que ma raison me montre comme étant juste. Schiller dans ses Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme, accordait très logiquement à l'art une place centrale dans l'éducation dans la mesure où il est, par excellence, cette forme de pratique universelle, commune à toutes les sociétés, par quoi peuvent s'harmoniser les deux natures en nous :sensible et raisonnable. C'est à condition seulement de mettre en œuvre chez l'enfant ces mécanismes de sublimation que l'on peut espérer qu'il puisse parvenir à investir affectivement les formes les plus élevées de la culture: retirer du plaisir à dessiner, chanter, danser, sculpter, jouer d'un instrument etc. Ce qui nous plaît tend, au bout du compte, vers des activités qui peuvent être socialement valorisées. Comme l'énonçait Castoriadis, un processus de socialisation réussie suppose que la psyché parvienne à faire des institutions de sa société " des supports, causes, moyens de plaisir." C'est la condition indispensable pour qu'une société fonctionne bien et que les individus qui la forment s'y sentent bien. Une société qui tourne rond est une société où les individus peuvent apprendre à aimer leur langue, leur quartier, leur travail (sic), leur école (resic), leurs institutions d'une façon générale. Le droit fait au principe de plaisir a cessé alors d'entrer en contradiction avec les exigences de la vie sociale. On aura deviné qu'à l'aune de ce critère, notre société est loin du compte. Il convient d'en préciser les raisons alors.
b) La crise anthropologique (culturelle) des sociétés marchandes: "la désublimation répressive du désir"
La désublimation répressive du désir est un concept emprunté au philosophe Herbert Marcuse pour penser le processus en cours dans les sociétés marchandes comme la nôtre qui est donc exactement l'inverse de celui de la sublimation: il renverra à des formes de régression du désir vers un stade infantile de développement qui rendent très compliqué pour les enfants de grandir et pour les adultes d'assumer leur statut d'adultes. Ce qui est en cause, c'est cette deuxième phase amorcée dans le premier quart du XXème siècle, dans le développement du capitalisme moderne qui, après avoir eu besoin de dresser les travailleurs à la discipline du salariat, a eu besoin plus tard de former des consommateurs compulsifs pour écouler toute l'énorme surproduction de l'appareil industriel. Tout le monde se rend bien compte que si les parents suivaient les recommandations de Françoise Dolto, c'est toute l'industrie du bonbon qui ferait faillite. Ce simple exemple peut être généralisé sans problème à l'ensemble des branches de la production. Ce processus est dit "répressif", car sous ses apparences permissives, il exerce, en réalité, une violence terrible entravant le développement psycho affectif des enfants comme nos analyses précédentes l'ont étayé. En réalité, il a bien plus d'affinité avec la méthode d'éradication des cafards par la jouissance sans limite qu'avec la visée du bonheur: l'enfant désire le bonbon, il l'obtient immédiatement, systématiquement et sans effort. Les expériences faites sur les cafards peuvent être complétées par l'image de la grenouille qu'on veut ébouillanter. Il y a la manière forte ou douce de s'y prendre. Dans le premier cas, on la plonge directement dans l'eau bouillante. Avertie par les affects de douleur, elle va alors chercher à en sortir tout de suite. Cette méthode pourrait symboliser les formes punitives d'éducation de l'ancien temps. Au moins, dans ce cadre, on savait ouvertement à quoi on avait affaire ce qui laissait sûrement plus de possibilités de se défendre. Et puis il y a la façon "douce" par élévation insensible de la température. Là, la grenouille va se laisser faire et ne bénéficiera pas des affects de douleur pour l'avertir du danger. On voit bien que c'est cette dernière méthode qui est la plus efficace. De façon semblable, en achetant à l'enfant tout ce qu'il désire, on le cuit à petit feu dans une ambiance très agréable. Par ce mode "d'éducation" ce que nous faisons en réalité, c'est empêcher l'enfant de grandir. Si on reprend les termes qui étaient ceux d'un humaniste comme Montaigne, à l'époque de la Renaissance (XVIème siècle), nous éteignons en lui le feu intérieur qui ne demanderait qu'à s'allumer:"le but de l'éducation n'est pas de remplir un vase mais d'allumer un feu". Le feu qu'il s'agit d'allumer est celui qui permettra à l'individu de pouvoir investir affectivement les formes supérieures de la culture et de continuer à les faire vivre par lui-même, une éducation qui éveille et souffle sur le feu du goût d'apprendre, d'explorer le monde, de créer les formes du beau, le sens de la justice etc.
c) "Un individu qui n'a pas besoin de ce qu'il désire et qui ne désire pas ce dont il a besoin"
Le type anthropologique (humain) que produit la désublimation répressive du désir a été défini très précisément par un des principaux fondateurs des techniques de propagande publicitaires au XXème siècle, Edward Bernays, qui avait la particularité d'être le neveu de Freud et d'avoir su exploiter les découvertes de son oncle dans le champ de la psychologie humaine pour s'en servir pour faire vendre aussi bien des marchandises que des hommes politiques (les techniques semblables s'appliquant dans les deux cas):" Un individu qui n'a pas besoin de ce qu'il désire et qui ne désire pas ce dont il a besoin." Il y a donc les deux parties complémentaires à comprendre dans cette formule.
-"Un individu qui n'a pas besoin de ce qu'il désire": cela renvoie au fait que dans le mode de production capitaliste, ce n'est pas le besoin humain qui commande la production, c'est tout à l'inverse, la production de valeur, c'est-à-dire d'argent, qui commande la stimulation artificielle de désirs. Pour reprendre la distinction classique remontant à Aristote (IVème siècle avant J.-C.) le but de la production en régime capitaliste n'est pas de produire des valeurs d'usage, des biens répondant à des besoins humains socialement définis mais de la valeur d'échange, c'est-à-dire transformer de l'argent en plus d'argent. L'argent qui n'est qu'un moyen est ainsi érigé à la dignité de fin. On passe alors d'une culture du besoin à une culture du désir dans laquelle les gens sont conditionnés à acheter des marchandises dont ils n'ont aucun besoin. Jusqu'au début du XXème siècle, les gens, en général, rachetaient une paire de chaussure parce qu'ils en avaient besoin du fait de l'usure des anciennes. Désormais, j'ai déjà chez moi cinq paires mais j'en vois une sixième qui me plaît alors je l'achète. Il y a trois dispositifs clés qui stimulent ainsi en permanence l'appétit d'achat de choses dont on n'a pas besoin: la publicité, le crédit et l'obsolescence programmée (on intègre dans les objets un mécanisme qui fait qu'ils ne marchent plus au bout d'un moment: les imprimantes sont, par exemple, un cas emblématique) Si l'on ne prend que la publicité, nous tendons à l'oublier car elle est devenue comme l'air qu'on respire; pour en donner un ordre de grandeur, on a pu calculer qu'en 2005 une chaîne comme M6 avait consacré 840 heures de temps d'antenne à la publicité sur une année, soit, l'équivalent de 35 journées de pub. en continu, 24 heures sur 24. Aujourd'hui, le bilan serait sûrement encore bien plus lourd, puisque sur les nouveaux réseaux numériques, les bandeaux publicitaires s'affichent en permanence, et non plus temporairement comme dans le format de la page de publicité de la télévision. L'univers de la marchandise tend ainsi à s'étendre à tous les domaines de la vie. Prenons, par exemple, la vie politique. Bernays, par exemple, comme Séguéla en France, se vendaient aussi bien à des firmes capitalistes qu'à des candidats à des élections. Ce sont des techniques très similaires qui s'appliquent à chaque fois. L'essentiel pour retenir le client comme l'électeur est dans l'apparence qu'offre le produit. Il est plus important pour un candidat aujourd'hui d'avoir un bon coiffeur qui lui donnera un look séduisant qu'un bon conseiller en relations internationales comme le montre la dernière élection présidentielle aux Etats Unis:"Le coiffeur de Sarah Palin a reçu un salaire deux fois plus élevé que le conseiller en politique extérieure de McCain..." (Chomsky, Futurs proches, éditions Lux, p. 260) Les populations, dans les élections actuelles, se décident, pour une très petite minorité, sur la base d'un programme politique. Le plus important est dans l'emballage.
-"Un individu qui ne désire pas ce dont il a besoin": l'anecdote type qui illustre la deuxième moitié de la formule est celle que relate le philosophe Gunther Anders dans L'obsolescence de l'homme, de ce taudis dans lequel vivait une famille anglaise à l'intérieur duquel trônait un magnifique poste de télévision flambant neuf alors qu'il n'y avait pas le nécessaire pour manger. Les besoins humains fondamentaux ( avoir de l'affection, manger sainement, s'instruire etc.) ne peuvent plus faire l'objet d'un investissement affectif de la part des individus. Ils ne parviennent plus à désirer ce dont ils auraient vraiment besoin.
C'est le cercle infernal dans lequel nous entraîne la société de consommation actuelle qu'on peut schématiser ainsi:
Publicité----frustration-----désir d'achat-------consommation-------désillusion-----frustration----nouveau désir d'achat etc. à l'infini. Le cauchemar du capitalisme, ce sont des gens heureux, qui ont l'essentiel de ce dont ils ont besoin et qui trouvent leur plaisir en dehors de la sphère marchande de l'existence.
Une société qui "désublime" ainsi la vie affective des individus la maintient en réalité dans ses formes les plus frustres et ne peut qu'engendrer une dramatique régression de la culture. A titre de symptôme qui mériterait une ample réflexion (cf. cours), comment une société peut élire à la tête de l'État un homme qui ne maîtrise plus les règles élémentaires de sa langue, un "analphabète secondaire" comme l'avait défini rigoureusement H. M. Enzensberger, c'est-à-dire quelqu'un qui a déjà perdu tout l'héritage des cultures de l'oral mais qui, de surcroît, tend désormais à perdre aussi celui des civilisations de l'écrit:
Ou encore qui méprise ouvertement , l'héritage de sa culture écrite:
-Rappeler que la définition de l'opinion courante de la liberté comme étant le pouvoir de faire ce qui me plaît, sans autre considération, correspond à une forme complètement infantile de développement et qu'en rester là ce serait comme condamner une plante à ne jamais pouvoir s'épanouir en fleur.
-Que la définition pertinente de la liberté nous renvoie à la notion d'autonomie entendue aussi bien en un sens individuel (moral) que collectif (politique), les deux ne devant pas être séparés.
-Qu'une authentique liberté fondée sur ce double principe d'autonomie supposerait l'existence d'une vraie démocratie et donc une remise en question radicale des institutions de notre société actuelle.
-Que l'unité entre nos natures sensible et raisonnable par quoi nous accomplissons une pleine et entière liberté ne peut se réaliser qu'en mettant en branle, dès le plus jeune âge, les dispositifs de sublimation de la vie affective et désirante des individus ce que tendent à rendre de plus en plus problématique nos sociétés actuelles prises dans la dynamique du capitalisme pour lequel le problème crucial aujourd'hui n'est plus de produire mais de vendre n'importe quoi à n'importe qui.
-La culture elle-même est désormais devenue un frein à la croissance économique sans laquelle les sociétés marchandes ne pourraient pas se reproduire, croissance qui, de toute façon, hors de toute considération humaine, est fatalement amenée à trouver sa limite ne serait-ce que d'un point de vue écologique...
et bien j'ai tout lu et j'ai trouvé ce développement très riche dans son évolution jusqu'au problème de la société ; je le ressens comme cela mais à cette lecture je réalise encore plus combien on essaie de priver la culture de son autonomie à penser et combien celle ci est orientée de façon à formater subreptissement les individus à devenir des consommateurs . merci.
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