mercredi 20 octobre 2010

3) Notes à partir d'une conférence de B. Friot sur l'enjeu des retraites: imaginer une alternative au projet gouvernemental

Pour visonner les extraits:

http://www.dailymotion.com/video/xdrf9t_intervention-bernard-friot-5eme-par_news

http://www.dailymotion.com/video/xdsmnz_intervention-bernard-friot-6-eme-pa_news


2)Etre capable d’imaginer une alternative progressiste au projet gouvernemental
Comme le dit bien Friot, si nous ne sommes pas capables d’imaginer une alternative progressiste au projet gouvernemental, c’est-à-dire, imaginer une alternative qui reprenne le fil du progrès social qui s’est enrayé depuis la fin des années 1970, l’opposition à la réforme risque de nous entraîner vers quelque chose de pire encore car il ne restera  aux gens qu‘à ruminer leur amertume.
Un des arguments souvent relayé par la propagande des réformateurs consiste à faire croire que les opposants à la réforme n’ont rien de concret à proposer à la place ce qui est totalement faux pour peu qu’on prenne le temps de s’informer en dehors du cadre des médias de masse qui n‘offrent pas l‘espace d‘expression nécessaire pour faire entendre ces alternatives.


Un des grands mérites du propos de Friot est justement de proposer une alternative progressiste au projet des gouvernants. En quoi consiste cette alternative?
Partir de ce qu’il y a déjà de révolutionnaire dans notre présent! Friot ne propose pas une utopie= on rase tout et on reconstruit quelque chose d’entièrement nouveau. Il s’agit plutôt d’envisager quelque chose de révolutionnaire= un projet de transformation de la société qui prend appui sur ce qu’il y a déjà de révolutionnaire dans notre présent, en particulier, deux institutions: le salaire à la qualification et la cotisation sociale.
 Le salaire à la qualification

La situation des retraités contient déjà quelque chose de révolutionnaire dont il faut s’inspirer pour transformer les institutions de notre société!
Si nous ne sommes pas capables de le voir c’est parce que nous sommes trop englués dans la façon de voir les choses des pouvoirs dominants et de la logique capitaliste, en particulier, dans ces croyances absurdes qui disent que: être actif= avoir un emploi=crée de la valeur/ être hors de l‘emploi= être inactif=ne crée pas de valeur / activité ayant de la valeur=activité produisant des biens et services marchands.
Il faut toujours et encore recommencer à nettoyer le langage: le retraité n’est pas un inactif ( Friot précise bien que ceci est vrai pour la moitié des retraités, ceux qui touchent une retraite décente et sont encore en bonne santé; mais ce qui est vrai pour eux devrait l’être pour le plus grand nombre!) et les diverses activités qu’il peut exercer comme la garde des petits enfants pendant les vacances scolaires sont certainement mille fois plus utiles à la société que l’activité de l’avocat fiscaliste qui place l’argent de ses clients dans des paradis fiscaux! Encore une fois, le salaire que touche le retraité n’est pas à voir comme la contrepartie du travail des cotisants comme s’ils avaient à leur charge des boulets ; il est à voir comme la contrepartie de leur activité de retraité.
Posons-nous simplement ces questions faussement naïves, car, en réalité, elles nous conduisent au cœur de ce qu’il y a déjà de révolutionnaire dans notre présent, c‘est-à-dire dans notre système de retraites.
Pourquoi le travail que font les retraités est pour eux une source d’épanouissement et non plus une contrainte? Pourquoi ils ne se sont jamais sentis aussi libres de travailler? Pourquoi ils ne connaissent pas le chômage? Pour une raison essentielle qui tient au fait que LEUR ACTIVITE EST LIBEREE DE L’EMPLOI. Pour mieux faire ressortir ce qu’a déjà de révolutionnaire la situation des retraités prenons, à l’autre extrême, un étudiant qui sort de l'université avec ses diplômes et qui ne trouve pas d'emploi; il ne peut rien faire de sa qualification dans un système qui condamne les individus  à mendier un emploi pour voir leur activité reconnue socialement.
 Au contraire, à partir du moment où on affecte un salaire à vie sur la base de sa qualification, l’étudiant en question sera libéré du marché du travail et il ne sera plus contraint d’attendre de trouver un emploi pour exprimer sa qualification ou de devoir craindre, à tout moment, de le perdre.
La conclusion importante qui s’impose est la suivante: CE QUI NOUS EMPECHE DE TRAVAILLER C’EST L’EMPLOI. Ici il faut bien voir que c’est aux opposants aux projet gouvernemental de bien prendre garde à ne pas faire le jeu des dominants en acceptant, sans s’en apercevoir, leur idéologie: ici celle de l’emploi. L’exemple des retraités nous le montre: il n’y a pas de chômage chez eux car leur travail n’est plus lié à l’exercice d’un emploi. Ce qui crée le chômage, c’est la logique de l’emploi: il n’y a de chômeurs que dans une société où les gens n'ont pas d'autres moyens que de chercher un emploi sur un marché du travail pour vivre et voir leur activité socialement reconnue. Lorsque nous réclamons aux gouvernants des emplois, sans le savoir, nous nous sommes placés sur leur terrain qui est celui de la gestion capitaliste du monde dont nous avons totalement intériorisé les normes: le système de domination capitaliste ne peut exister qu’aussi longtemps qu’il existe un marché de l’emploi où chacun est conduit à venir louer sa force de travail s‘il veut avoir de quoi vivre. Il y a un paradoxe énorme sur cette question: nous protestons contre la création d’un marché de l’eau, d’un marché de l’éducation, d’un marché du vivant, etc. ouverts aux groupes privés mais par contre nous ne songeons jamais à remettre en question l’existence d’un marché du travail qui est pourtant la source principale de notre misère car c‘est bien d’abord lui qui nous dépossède de notre existence en nous contraignant à nous louer à d‘autres pour vivre. Au contraire, nous réclamons plus d’emplois sur ce marché!
Ce que propose Friot comme alternative progressiste à la politique gouvernementale de nos élites consiste à revendiquer de sortir de la logique de l’emploi pour aller vers une logique de la qualification. Dire, par exemple, cet étudiant qui sort de l’université a droit à un salaire à vie lié à sa qualification; il a cessé d’être tributaire du marché de l’emploi pour travailler.
Ce salaire à la qualification existe déjà dans d’autres domaines que celui de l’activité des retraités. La mère de famille qui est en congé maternité reçoit bien un salaire  mais qui n’est plus lié à l’exercice d’un emploi mais à sa qualification; c’est le sens de la jurisprudence du tribunal d’appel de Paris dont parle Friot: une mère de famille avait déposé plainte contre son entreprise car elle lui refusait de la réintégrer au même niveau de salaire que ceux qui ne se sont pas arrêtés de travailler dans l’entreprise pendant qu’elle avait arrêté dix ans  pour se consacrer à ses enfants. Le jugement rendu  lui a donné raison et a obligé l’entreprise à lui verser des indemnités et à la replacer au même niveau sur la grille des salaires que ses collègues de travail. Il faut bien comprendre en quel sens un tel jugement a déjà une portée révolutionnaire qu’il suffirait d’étendre à des secteurs plus vastes de l’activité sociale: le jugement du tribunal implique de déconnecter totalement le salaire de l’emploi; en effet, si on considère que le salaire est la simple contrepartie d’un emploi, alors le jugement du tribunal serait manifestement injuste puisque cette dame a cessé d‘exercer son emploi pendant 10 ans. Ce jugement n’a de sens que si on pose que le salaire n’est pas la contrepartie d’un emploi mais d’une qualification que cette dame a exprimé pendant dix ans dans l’éducation de ses enfants plutôt que dans l’exercice d’un emploi.
Mais, si on paie les gens  sur la base de leur qualification et non plus d’un emploi ne vont-ils   pas être tentés de s’en contenter et ne plus rien fichent ?
On peut opposer deux réponses à cette objection courante.
Primo, un argument de bon sens: il vaut mieux des gens qui ne fichent rien plutôt que des gens dont l’activité est  nuisible comme c’est le cas dans l’actuel mode de production capitaliste. Comme le disait Spinoza, l’être  doué de raison, entre deux maux, choisit le moindre. Une très grande part du P.I.B intègre actuellement des activités qui sont profondément nuisibles pour les hommes. L’exemple type  ce sont les semences non reproductibles: leur fonction est de transformer en marchandise qui se vend/s’achète ce qui était jusque là le produit ancestral du savoir-faire des paysans et de leur droit de ressemer tous les ans  le produit de leur récolte: déposséder les paysans de leur semences pour les contraindre à en racheter tous les ans telle est « l‘utilité sociale» de ces biens marchands. Mais ce n’est qu’un exemple parmi une foule d’autres: la production d’eau minérale en bouteille plastique est profondément nuisible en ce sens que c’est d’avantage une usine de plastique et de solvants qu’une usine d’eau  alors qu‘il nous suffirait, à bien moindre coût, d‘ouvrir l‘eau du robinet pour en boire (cf. ce qu‘en dit Lepage dans sa conférence gesticulée sur l‘éducation nationale); c’est aussi l’avocat fiscaliste qui travaille pour éviter aux plus hauts revenus d’être taxés et de participer ainsi à l’effort de solidarité, la gamme de tous les  gadgets innombrables qu’on renouvèle d’année en année, les gens qui travaillent dans les « relations publiques » pour manipuler l’opinion des masses, la quantité astronomique d’armes de destruction massive, etc. à l’infini: Friot estime à un tiers la part du P.I.B actuel qui intègre des activités nuisibles.
Secundo, il défend un optimisme anthropologique qui pense, qu’en règle générale, les gens ne sont pas enclin à ne rien foutre; que la grande majorité a le désir de faire quelque chose de sa vie. Ce’ qu’on peut accorder à Friot, sur ce point, c’est que sans une certaine dose de foi en l ‘homme, il sera impossible d’envisager une alternative progressiste au système actuel. Ne resteront que des alternatives encore pires que ce que nous connaissons aujourd'hui. Ce qu’il faut, ce sont des institutions qui entretiennent cette aspiration à faire quelque chose de sa vie et non pas qui la décourage. Mais, justement, ce qui décourage aujourd’hui une quantité de plus en plus grande de la population de travailler, ce n’est pas un droit à la paresse, mais la contrainte de plus en plus forte du marché de l’emploi = le fait que l‘unique moyen de voir son activité socialement valorisée soit la possession d‘un emploi qui nous livre pieds et poings liés au système de domination capitaliste.
L’activité des retraités est déjà la preuve vivante  que les gens ne sont pas spontanément conduits à ne plus rien fiche une fois qu’ils ne sont plus sous la contrainte de chercher un emploi, bien au contraire!




Petit lexique des termes

Activité/ Travail /Emploi/ Qualification
Le principe  du capitalisme  consiste à dire: une activité ne peut être transformée en travail, c’est-à-dire être considérée comme ayant de la valeur  et être ainsi intégrée dans le P.I.B que si elle s’exerce dans le cadre d’un emploi produisant des biens et services marchands. Autrement dit, Il n’y a que l’emploi qui peut convertir une activité en travail. Il est capital de comprendre cela car c’est  la clef de voûte du mode de production capitaliste: le capital financier ne peut exercer une pression vers le bas sur les salaires qu‘à la condition que les gens  n‘aient d‘autre choix pour  toucher un salaire que de trouver un emploi sur un marché du travail, qu‘à condition donc d‘avoir confondu  le travail et l‘emploi: seule une activité exercée dans le cadre d’un emploi a de la valeur en régime capitaliste. Rompre avec ce principe, c’est sortir de la logique capitaliste. Mais c’est déjà ce qui existe avec les retraites si, encore une fois, on veut bien comprendre le salaire des retraités comme la contrepartie de leur activité de retraité exprimant leur qualification et non comme la contrepartie du travail des cotisants; on déconnecte de cette façon le salaire de l’emploi; le salaire n’est plus lié à un emploi mais à une qualification que je peux exprimer dans des activités autres que celles qui se font dans le cadre d'un emploi. Autrement dit pour convertir une activité en travail et lui donner ainsi une valeur  socialement reconnue, on est sorti de la logique de l’emploi qui veut que seule une activité exercée dans le cadre d’un emploi a de la valeur.
L’enjeu fondamental du combat à mener autour de la réforme des retraites, selon Friot,  peut être exposé sous la forme de cette question: il s’agit de savoir  si c’est la logique de l’emploi (=politique gouvernementale dont le sens de la gouvernance est d’assurer la gestion capitaliste du monde) ou la logique de la qualification  (=alternative progressiste qui dépasse le capitalisme) qui doit l’emporter?




A suivre...

1 commentaire:

  1. Vous ne pouvez même pas imaginer combien j'ai pu rire en lisant cet article :

    http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5h4YADhIVJSb7XwG3yx2nBssH27ww?docId=CNG.d2e899258a2811f346ba4eb2b175d257.631

    Je suis vraiment super contente de vous avoir comme prof !


    (et... mes dissertations vous parviendront d'ici la fin de la semaine, promis.)

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