Introduction
Commencer par voir que le sujet admet implicitement une chose: l'humain est un être de culture. Tout le problème étant de savoir quel sens il faut donner à cette idée. Qu'est-ce que signifie le fait de définir l'être humain par la culture? Cela va nous renvoyer d'abord à un défaut de sa nature, au fait qu'il naît fondamentalement inachevé, ce que la science aujourd'hui redécouvre sous le concept de
néoténie. La culture est ce qui vient suppléer à cet inachèvement biologique sans quoi l'être humain ne serait tout simplement pas apte à vivre. Les conditions de survie de l'espèce humaine dépendent d'abord du bon fonctionnement d'institutions que le génie humain a dû créer pour compenser l'inachèvement biologique de l'espèce.
Démarche pour traiter la question: comme pour tous les sujets qui n'appellent pas de réponse par oui/non, pensez à vous servir, si vous avez du mal à structurer votre réflexion, du
plan par analyse de niveaux. C'est celui que je suis ici.
Il faudra d'abord traiter la question sur
un plan biologique pour mettre en évidence les marques accentuées de la néoténie chez l'humain qui en font un être inachevé par nature. Nous en tirerons ensuite les implications sur différents plans.
Sur un plan psychologique: la néoténie permettra de tordre le cou à une idée reçue qui voudrait voir dans la raison le propre de l'humain; au contraire, elle rend plutôt compte de
sa folie native. S'il est un être de culture sur ce plan, c'est au sens où celle-ci vient apporter un remède pour soigner sa folie autant qu'elle peut le faire. Dans les conditions actuelles, il y a un affaiblissement certain de la culture qui tend à devenir un obstacle sur la voie de la croissance économique. Les formes actuelles de la folie humaine empruntent à ce que nous qualifierons de
"culture du narcissisme". Une crise de la culture est d'abord
une crise anthropologique; car, sur ce plan
, notre inachèvement biologique signifie que nous ne naissons pas humain; il nous faut le devenir par l'apprentissage d'une culture. La spécificité humaine liée à l'inachèvement biologique de l'espèce est de nécessiter une éducation qui transformera un être initialement inapte à la vie en un individu capable de se développer et de faire société avec les autres membres de son espèce. Si l'on peut dire que la culture constitue notre seconde nature qui vient compenser notre défaut de première nature c'est en précisant qu'il faudra renverser la perspective naturaliste habituelle que l'on a sur le processus d'hominisation; ce n'est pas la culture qui succède à la nature; il y a, à l'inverse, une antériorité de la culture qui a façonné, d'une multitude de façons, depuis, en gros, trois millions d'années, notre être biologique. C'est finalement
sur le plan pratique que se reposera la question, suivant ses dimensions
morale et politique, individuelle et collective. Sur ce plan, son inachèvement biologique destine l'humain à
l'autonomie, en ce sens qu'il lui revient de se faire à lui-même son propre plan de conduite,
comme le disait Kant, puisque la nature ne lui en a pas laissé. Cette destination pratique à l'autonomie signifiera que l' humain existe, avant tout, suivant un
projet qu'il se donne et non suivant une nature immuable qui le déterminerait une fois pour toute à être ce qu'il est. L'histoire montre combien le combat pour l'émancipation entendue en ce sens, est difficile à mettre en oeuvre. Ce qui posera surtout problème, ici, c'est le devenir adulte d'un être voué à conserver toute sa vie des marques juvéniles (jeunes)...